Panorama: lu, vu et entendu cette semaine

Livre

Wanted Lucky Luke *** 1/2

Bédé, Matthieu Bonhomme

Cinq ans après J’ai tué Lucky Luke, Matthieu Bonhomme s’attaque à une nouvelle relecture «adulte» du mythique personnage. C’est ce qu’il y a de fascinant dans ce deuxième essai très réussi. Le bédéiste joue des codes établis par Morris autant qu’il s’amuse à détourner ceux du western. On remarquera son travail sur la «lumière» dans les cases, majoritairement orangée du soleil couchant ou bleutée nocturne. Dans ce récit simple et dans le ton, l’homme qui tire plus vite que son ombre apprend dès le début que sa tête est mise à (fort) prix. Il doit aussi composer avec trois cow-girls (blonde, brune et rousse) qui désirent le conquérir. Les clins d’œil pullulent, tant au 7e art qu’à la série de bédés, sans jamais toutefois que ce soit une entrave pour les néophytes. Ce Wanted Lucky Luke se dévore d’un trait, mais on se surprend à le feuilleter ensuite pour admirer les détails. Éric Moreault

<em>Au nord de ma mémoire</em>, Mattia Scarpulla

Livre

Au nord de ma mémoire ***

Poésie, Mattia Scarpulla

Après son tout premier roman, Errance, publié en 2020, Mattia Scarpulla retrouve ses lecteurs avec un nouveau recueil de poésie. L’auteur d’origine italienne, qui vit au Québec depuis près de dix ans, nous revient avec une œuvre qui creuse des thématiques familières à sa plume telles que les luttes sociales, l’immigration ou encore les combats idéologiques. L’artiste ira même jusqu’à dédier un de ses poèmes aux Pussy Riot en page 33. Un élément qui peut paraître surprenant au tout début de l’ouvrage, mais qui, après lecture, a du sens dans Au nord de ma mémoire. Le fait est que Mattia Scarpulla réserve à son public de puissants passages qui ont de quoi mettre le feu aux poudres. Le court livre porte une poésie franche et prenante qui a de quoi éveiller la conscience.  Léa Harvey

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LES RECOMMANDATIONS DE LA SEMAINE PRÉCÉDENTE

Livre

La grâce *** 1/2

Bédé, Emmi Valve

Ça prend une sacrée dose de courage, certains diront d’inconscience, pour présenter un récit autobiographique basé sur sa dépression sévère, sans filtre, tabous ou pathos. Emme Valve souffre depuis son enfance d’une forme grave, appelée dépression existentielle. Pour la Finlandaise, la vie n’a aucun sens. En résulte une descente dans la noirceur que rien ne semble pouvoir freiner (d’autant que l’autrice perd parfois contact avec la réalité). L’esthétique expressionniste, crépusculaire, évoque l’univers pictural d’un Edvard Munch. Mais le lecteur assiste à une remontée vers la lumière, où les couleurs vont, peu à peu, se révéler dans la psyché de l’autrice (et par le fait même dans les dessins, qui deviennent moins chargés). La grâce s’avère un poignant récit de victoire (de rédemption?) sur la maladie.  Éric Moreault

Livre

La fée assassine ***1/2

Bédé romanesque, Sylvie Roge et Olivier Grenson

La fée assassine utilise un procédé cinématographique éprouvé au début de son récit alors que le lecteur se trouve plongé dans une tragédie aux contours flous. S’ensuit un retour en arrière qui le conduit à l’enfance de Tania et Fanny, des jumelles de sept ans. Celles-ci se retrouvent sous la coupe d’une mère qui leur reproche la perte de l’amour de sa vie. La marâtre abuse psychologiquement de ses filles, qui s’accrochent l’une à l’autre. Des traitements qui les marquent au fer rouge (la couleur symboliquement prédominante utilisée par Grenson, qui a une plume affinée d’une grande beauté). Ce polar singulier et captivant va peu à peu lever le voile, par la voix de Fanny, sur le secret familial qui a causé ce drame violent, le 24 décembre 2006… La fée assassine explore le thème du double, mais aussi toutes les questions liées à l’éducation parentale et aux conséquences de celle-ci — en bien ou en mal. Une belle réussite.  Éric Moreault

Livre

Virus ***

Jeunesse, Valeria Barattini, Mattia Crivellini et Victor Medina

Le petit virus vert paraîtra peut-être trop souriant aux yeux des adultes qui viennent de traverser une pandémie — qui n’est même pas finie. Mais pour les enfants de quatre ans et plus, le personnage principal aux allures sympathiques demeure néanmoins fort instructif. En une quarantaine de pages, le coronavirus nous apprend la façon dont il se réplique, où on peut le trouver sur la planète et comment il fait pour voyager; il souligne les «spécialités» de ses confrères ou encore son «superpouvoir» qui est de «créer» une pandémie. S’il est juste assez vulgarisé pour son public cible, ses illustrations colorées et rigolotes nous permettent d’apprendre sans dramatiser. Bref, même après plus d’un an à vivre au quotidien avec le protagoniste, Virus demeure un outil fort pratique pour les jeunes. Léa Harvey

Musique

Insomnie ***

Pop-rock, Hemmen

Pour utiliser un cliché usé à la corde : l’occasion fait le larron. Comme nombre de formations, l’élan des BB Brunes, après la parution de Visage (2019), s’est brisé net sur les écueils de la pandémie. Son guitariste Félix Hemmen a décidé de ressortir ses maquettes et d’en faire un mini-album. Le résultat s’avère moins pop léchée que celle de son groupe. Les influences de New Order, mais aussi d’Indochine (sur Mirage), tracent une continuité avec les pionniers de l’electro-pop, surtout sur la très réussie pièce-titre. Pour Vraiment vraiment, d’autres l’auront remarqué, Hemman loge plutôt du côté d’Étienne Daho. Demi-lune, qui aborde avec une douceur presque mièvre la rupture amoureuse, mise sur une facture acoustique rehaussée de vibraphone. Ce fragile court essai (quatre pièces) s’avère parfait pour la rêverie d’une chaude nuit d’été…  Éric Moreault

Musique

No Gods No Masters ****

Rock, Garbage

On a appris à connaître Garbage et sa charismatique chanteuse, Shirley Manson, dans les années 90 avec des succès frondeurs comme I’m Only Happy When It Rains, sorte de baromètre d’une certaine morosité ambiante. Un quart de siècle plus tard, les capteurs sont toujours bien aiguisés chez ces vétérans, comme le prouve cet album traversé de thèmes bien présents depuis longtemps, mais qui se sont exprimés de manière criante (voire révoltante) dans ces derniers temps : sexisme, racisme, religion, capitalisme, urgence environnementale… Armé d’une brigade bien affirmée de synthés et de guitares, le groupe démontre qu’il n’a rien perdu de sa pertinence. C’est groundé tout en coulant de source et en étant mélodique à souhait. Et il y a cette voix de Mme Manson, qui n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction.  Geneviève Bouchard

Livre

Fausses routes ***1/2

Roman, Sophie Laurin

Dès les premières pages, la trame narrative de Fausses routes s’annonce comme le scénario d’un bon «film de filles» : une protagoniste début vingtaine, à l’aube de sa vraie vie d’adulte, cumule une suite d’échecs amoureux avec des garçons apeurés par l’engagement, en pleine crise existentielle. Un classique, se dit-on, mais attention : Sophie Laurin attend ses lecteurs dans le détour.  Avec ses dialogues bien ficelés, qui sont souvent des petits bijoux en soi, l’autrice d’En route vers nowhere guide son histoire là où on ne l’attend pas. En plus de l’humour et des référents culturels datant des années 2000, elle met en scène la force de l’amitié ainsi que l’importance qu’elle a à cet âge où tout est un peu cahoteux, mais ô combien formateur. Plus qu’une «belle lecture d’été», Fausses routes est un roman lumineux composé de personnages auxquels on s’attache inévitablement.  Léa Harvey

Livre

La vie secrète des arbres ****

Jeunesse, Moira Butterfield et Vivian Mineker

La vie secrète des arbres est un court, mais enrichissant voyage de quarante-huit pages. Notre guide? Cœur-de-Chêne le Brave, un feuillu qui compte des centaines d’années de croissance et qui souhaite transmettre, au «petit humain» qui lira son livre, toute la connaissance qu’il possède. Le narrateur raconte ainsi les grandes étapes de son évolution au même titre que les anecdotes qui parsèment le cours de sa vie. De sa naissance, alors qu’il n’était qu’un gland, aux transformations qu’il subit au fil des saisons. Entre les murmures que lui souffle le vent et les allées et venues des animaux se glissent des contes merveilleux où les arbres sont célébrés. De façon générale, Cœur-de-Chêne le Brave propose à son lectorat un magnifique et complet portrait de la forêt, qui allie brillamment science et poésie.  Léa Harvey

Musique

Mother Nature ****

World, Angélique Kidjo

Nous voilà devant une grande dame de la World. Les frontières, elle ne les voit pas. Elle ne s’en soucie pas davantage. Dans une époque trouble, Angélique Kidjo nous offre une autre magnifique main tendue. Il est beau, dansant, souvent, festif et toujours titillant, ce nouvel album, qui cultive encore les collaborations. Tout est basé sur l’échange, mais aussi sur la revendication, faite de la plus belle des manières. Dans la joie et l’affirmation. Les rythmes festifs n’évacuent pas le message.Il y a de la bonté et de la résilience. Elle tonne fort, cette volonté d’un monde meilleur. Ça résonne partout. On danse, et on réfléchit. Un exercice rassembleur s’il en est un. Geneviève Bouchard