Quand le Cégep de Sainte-Foy détruit le patrimoine artistique

Les années et les éléments ont fini le travail de destruction de la sculpture. 

Le Cégep de Sainte-Foy a tellement négligé une œuvre d’art public érigée pour sa fondation en 1967, qu’elle est aujourd’hui détruite, irrécupérable.


«Quelle tristesse.» Le réalisateur de Québec, Richard Lavoie, a été abasourdi quand la direction de l’établissement d’enseignement étatique l’a finalement contacté pour lui confirmer la nouvelle… après que Le Soleil ait posé des questions. Comment les autorités ont-elles pu traiter la sculpture de feue Danielle Roux — mère de ses trois premiers enfants — comme si c’était du «vieux fer»? demande-t-il, incrédule.

Ça faisait plusieurs années qu’il tentait de secouer l’équipe du Cégep pour qu’elle soigne la structure artistique commandée par l’architecte Jean-Marie Roy durant les années 1960, raconte-t-il. «J’avais fait […], depuis au moins quatre ans, de nombreuses demandes au Cégep pour qu’il s’y intéresse et que l’oeuvre soit restaurée […] et replacée dans son lieu d’origine et qu’elle soit enfin identifiée. […] Un spécialiste des métaux avait même fait une expertise aux frais du Cégep.»

Il faut dire que le Cégep ne semblait pas trop se préoccuper de la sculpture rouillée, observe le cinéaste. D’abord montée sur un socle devant l’entrée principale, elle avait été déplacée dans un secteur peu fréquenté, en bordure de la bretelle d’asphalte permettant aux étudiants et employés du collège de filer en voiture sur l’autoroute Robert-Bourassa. À côté, une borne-fontaine, de la tuyauterie, des installations électriques… 

La sculpture avait été déplacée dans un secteur peu fréquenté du Cégep, en bordure de la bretelle d’asphalte permettant aux étudiants et employés du collège de filer en voiture sur l’autoroute Robert-Bourassa. À côté, une borne-fontaine, de la tuyauterie, des installations électriques…

Pas tout à fait un lieu d’exposition pour la mettre en valeur, observe M. Roy. «La sculpture a été déplacée et remisée dans ce coin obscur à l’ouest du Cégep où seuls quelques initiés et amoureux de l’Art venaient la contempler. Elle y a stagné longtemps sans entretien et même sans aucune inscription relatant au moins le nom de l’artiste.»

Les années et les éléments ont fini le travail de destruction. 

C’est ici dans l’histoire que Le Soleil a été interpellé. Richard Lavoie venait de lire notre article sur deux œuvres de la promenade Samuel-De Champlain qui ont été retirées. 

Las de ne pas recevoir d’informations, il nous a écrit au sujet de l’œuvre sans nom de la sculptrice de Québec — «Danielle Roux détestait donner des noms à ses oeuvres. Moi je l’ai toujours appelé “Le grand oiseau”.»

«Récemment cette sculpture, amochée par le temps, est disparue. J’ai fait de nombreuses démarches infructueuses pour la retrouver.»

Et puis? Après plusieurs appels du journaliste, la direction de l’établissement a lâché le morceau. «L’œuvre a été abîmée de façon irréversible», nous écrit Mélisa Imedjdouben, conseillère en communication.

Pas d’entretien

«Nous admettons […] qu’il y a eu lacune à notre responsabilité d’entretenir et de restaurer les oeuvres d’art sur le campus par le passé», convient-elle. «L’œuvre de l’artiste Danielle Roux a été donnée au Cégep dans les années [1960]. À cette époque et jusqu’à tout récemment, il n’existait pas de plan d’entretien et de restauration des œuvres d’art au Cégep.» Cela même si l’établissement offre en son sein un cursus complet en arts visuels.

Il y a peu, le collège de Sainte-Foy a cependant décidé d’y remédier. Il a demandé conseil au Centre de conservation du Québec (CCQ). 

«Dans le cas de l’œuvre de l’artiste Danielle Roux, une sculpture installée à l’extérieur, le travail de restauration semblait être très important. Le CCQ a remis un rapport au Cégep en décembre 2019 après être venu sur place pour constater l’état de l’œuvre et en prélever des échantillons aux fins d’analyse.»

Nous avons demandé copie du rapport, mais le Cégep de Sainte-Foy exige de recevoir une requête légale pour que nous puissions le lire. 

La secrétaire générale du ministère de la Culture du Québec, Julie Lévesque, exige aussi une requête légale pour nous dévoiler l’expertise.

Mélisa Imedjdouben nous écrit néanmoins : «Le rapport d’étape du CCQ recommandait un démontage de l’œuvre, quelle que soit l’approche préconisée : restauration, copie ou aliénation.»

«Nous avons donc pris la décision de retirer l’oeuvre par mesure de sécurité en attendant l’expertise finale du CCQ. Malheureusement, lors de son transport et compte tenu de son état précaire, l’œuvre a été abîmée de façon irréversible.»

Richard Lavoie

Maquette

«Nous sommes bien conscients que rien ne saurait remplacer l’oeuvre originale, mais nous proposons en guise de réparation de faire produire une reproduction en format réduit et d’en faire l’exposition permanente à l’intérieur du Cégep dans un endroit approprié afin de reconnaître la contribution importante de l’artiste à notre établissement», conclut Mme Imedjdouben.

Richard Lavoie est néanmoins encore choqué. Personne n’est en mesure de lui dire où sont les pièces détachées de l’oiseau. Ni si elles existent encore.

Nous avons relayé la question à la directrice des affaires étudiantes et des communications du Cégep, Claude Boutin, sans succès.

Le cinéaste n’abandonne pas : «J’attends toujours des nouvelles pour récupérer la sculpture si jamais elle existe encore. C’est une honte qu’on ait laissé se dégrader une oeuvre aussi importante. […] J’ai demandé qu’on la remette à la famille de Danielle Roux, quel que soit son état.»