La nostalgie toujours gagnante en marketing

L’humain carbure à la nostalgie. C’est d’autant plus vrai en ce temps de pandémie. Comment expliquer ce qui motive les compagnies à proposer de nouveau des objets ou à axer leurs campagnes de marketing sur les souvenirs du passé?


«C’est une stratégie assez répandue. On va parler de retro branding ou retro marketing», répond Jessica Darveau, professeure adjointe au Département de marketing de la Faculté des sciences de l’administration à l’Université Laval. 

«Dans la recherche, on notait cette tendance forte au début des années 2000. Et encore, on y revient, ce qui suggère que c’est une mode.»

On a vu récemment la mise en marché entre autres de la console Nintendo Entertainment System (NES Classic) des années 1980. «Pour les consommateurs plus âgés, ce retour au passé permet de renouer avec certains souvenirs de jeunesse, incluant des moments mémorables ou des produits ou marques spécifiques. C’est la nostalgie des jours meilleurs. La consommation de produits ou de marques peut donner le sentiment de revivre ces moments», ajoute-t-elle.

Émotions agréables

Règle générale, la nostalgie sert à susciter des émotions majoritairement agréables, selon le Dr Kévin Gaudreault, psychologue et psychothérapeute. «Des études démontrent aussi que la nostalgie est une ressource. On ne parle pas de maladie, de trouble quelconque en partant», précise-t-il. 

À ce chapitre, cela ne signifie pas une représentation fidèle de la réalité de l’époque à laquelle on peut se replonger dans ses souvenirs. 

«Parce qu’il va y avoir un mélange d’ennui, de manque, mais aussi d’émotions agréables. Ce sera là la fonction de la nostalgie, et non de soulever une vision juste de la réalité. Il pourrait donc y avoir des erreurs, disons que ça pourrait biaiser la réalité du passé. Ça se peut que ça vienne déformer le souvenir réel. Donc, c’est comme des lunettes roses. On vient embellir la réalité d’une certaine manière», dit le psychothérapeute de Trois-Rivières.


Nintendo a ressorti sa console Nintendo Entertainment System des années 1980, sous le nom de NES Classic.

Cela pourrait expliquer pourquoi les publicitaires ont souvent recours à la nostalgie. 

«En ce qui concerne la technique utilisée dans les publicités, souvent on va miser sur des éléments idéalisés par rapport à l’époque en question ou à la mode en question [l’aspect vestimentaire, les arts, la technologie, etc.]. En excluant les réalités de cette époque-là qui n’était pas non plus idéale à ce point-là. Tout ça pour évoquer des émotions agréables : le réconfort, la fierté, la chaleur, la joie, la paix, la gratitude...» explique le Dr Gaudreault. «La plupart du temps, le souvenir agréable est associé à une situation où la personne était entourée. Il y avait des relations dans le souvenir.»

Période propice

L’approche du temps des Fêtes est une période propice à se replonger dans ses bons souvenirs. «Parce que, là, vous avez tous les ingrédients pour qu’une personne puisse vivre de la nostalgie. Parce que oui, souvent Noël va, selon les récits de chaque personne, être associé à un mélange de plusieurs éléments nostalgiques, tous en même temps», affirme M. Gaudreault. 

«Mais, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une émotion normale, qu’environ 80 % des gens vivent deux ou trois fois par semaine, selon des études. Mais on peut s’attendre que ça ressorte plus dans le temps de Noël», renchérit-il en ajoutant que la nostalgie est une ressource face à l’adversité.

On a vu réapparaître les Poupées Bout d’chou dans plusieurs magasins à grande surface au cours des dernières années.

Les situations suivantes sont propices au recours à la nostalgie, selon Dr Gaudreault : la solitude, l’ennui ou l’angoisse existentielle.

«Elle va servir à susciter notamment les émotions majoritairement agréables dans des moments où la personne se sent menacée. Soit des menaces existentielles, soit des menaces identitaires ou des menaces liées à sa position sociale. Comme c’est justement le cas avec la pandémie de COVID-19. La nostalgie peut être une ressource utile, mais tant que c’est passager. Tant que ça ne devient pas un mode de vie au point de régresser. Tout est dans l’équilibre.»

Tolérance

Le psychologue rappelle que le public est un peu plus tolérant face à une publicité qui fait usage de la nostalgie. Le meilleur exemple qu’on pourrait donner serait les campagnes publicitaires du lait au cours des 20 dernières années. «Devant des publicités qui ont du contenu nostalgique, il y a des études qui démontrent que les gens sont plus patients. Ils ont tendance à aller jusqu’au bout d’une publicité nostalgique de 30 secondes.»

L’exemple des publicités du lait, «ça réveille de vieux souvenirs du moment où ils ont été vécus. Là, on est en contact avec la source de la nostalgie. Ça peut être la musique. La personne, ça va lui faire revivre les mêmes émotions qu’elle avait au moment dans le souvenir de cette musique-là. Les études démontrent que dans la nostalgie, plus souvent, il y a des affects agréables que désagréables. Quand on entend l’annonce, ça va bien pendant 30 secondes. Un moment donné, ça va diminuer avec le temps», avertit le psychologue.

Recherche d’exotisme

Pour certains, la nostalgie est également synonyme d’exotisme. «Pour les consommateurs plus jeunes, ce qui est rétro et vintage peut évoquer un certain exotisme en faisant référence à une époque qu’ils n’ont pas connue, mais qu’ils peuvent idéaliser», explique Mme Darveau en citant au passage une série télévisée comme Stranger Things. Plus près de nous, C’est comme ça que je t’aime peut évoquer le même sentiment.

«Il peut y avoir de la nostalgie historique quand la personne n’a pas vécu l’époque», note le Dr Gaudreault.

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Vivre la nostalgie par procuration

Il peut arriver que la nostalgie se vive par procuration. Par exemple, voir son enfant jouer avec sa tour de contrôle Pat Patrouille et se replonger en même temps dans le souvenir des jouets de son enfance.

Cette situation est tout à fait normale, selon le Dr Kévin Gaudreault, psychologue et psychothérapeute. «La nostalgie sert à faire un lien entre le souhait du moment présent et le souhait du moment passé, explique-t-il. Donc, elle permet d’établir la continuité de l’identité de la personne. […] Dans ce cas-ci, il va y avoir un rappel d’un souvenir d’une situation qui a été vécue et dans le souvenir, ça peut arriver qu’il y ait des liens entre son soi passé et son soi présent. C’est comme une continuité de l’identité. La nostalgie peut favoriser le sens à la vie, l’impression de la continuité de l’identité.» Paul-Robert Raymond