Les autres leaders populistes de la planète pourraient donc en conclure qu’ils sont sur la bonne voie pour se maintenir au pouvoir, mais peut-être aussi y voir un avertissement que l’électorat n’est pas prêt à tout tolérer, croient des experts interrogés par La Presse Canadienne.
«Je pense que ça leur envoie un message aigre-doux, a dit Dominique Caouette, qui est responsable des programmes de 2e cycle en science politique à l’Université de Montréal. D’un côté, ça démontre que lorsqu’ils sont confrontés aux urnes, dans les systèmes où le droit de vote est assuré, qu’il y a une limite à ce genre de régime populiste, et qu’ils peuvent devenir imputables lors des élections.
«Il y a une limite à ce qu’un régime populiste peut faire dans un contexte électoral.»
Narendra Modi en Inde, Jair Bolsonaro au Brésil, Viktor Orbán en Hongrie, Vladimir Poutine en Russie, Jaroslaw Kaczynski en Pologne, Rodrigo Duterte aux Philippines et Recep Tayyip Erdogan en Turquie ne sont que quelques-uns des leaders qui, comme M. Trump, ont pris le pouvoir, et s’y sont maintenus, en adoptant un discours populiste.
Sous leurs régimes, la dissension devient pratiquement criminelle, les médias sont diabolisés et la mondialisation est pointée du doigt. Les ennemis du peuple — ces gens ordinaires dont ils se font les champions — seront écrasés, promet-on aux électeurs.
«Il est possible d’avancer de telles politiques ces jours-ci et d’être populaire, de trouver une base électorale», a analysé Barry Eidlin, qui est professeur de sociologie à l’Université McGill.
Démocratie exemplaire
Les États-Unis, à tort ou à raison, sont souvent cités comme un modèle de démocratie que tous devraient chercher à émuler.
C’est pourtant ce système qui a permis à M. Trump de prendre le pouvoir en 2016 même si une majorité d’électeurs lui avaient préféré sa rivale démocrate Hillary Clinton.
Et une fois bien installé à la Maison-Blanche, est-il besoin de rappeler que M. Trump n’a pas témoigné d’un grand respect envers les institutions démocratiques de son pays ? Et qu’il a pu leur faire un pied de nez sans jamais avoir à en payer le prix ? Bien au contraire, cette insolence a plutôt semblé rehausser sa popularité auprès de ses partisans.
«Le message que ça se trouve à envoyer à des despotes du type de Trump, si je peux m’exprimer ainsi, est encourageant, a dit Jacques Lévesque, qui est professeur émérite à la faculté de science politique et de droit de l’UQAM. Si ça fonctionne aussi bien même dans un système comme celui des États-Unis, allons-y!
«C’est certainement un encouragement pour ce type d’animal politique que représentait Trump. Ça donne un nouveau lustre au populisme. Ça montre que même s’il n’a pas gagné, ça peut être extrêmement rentable sur le plan électoral.»
Le directeur du département d’histoire et d’études classiques de l’Université McGill, le professeur Jason Opal, abonde dans le même sens.
«L’autre message envoyé aux populistes est, à quoi bon respecter les consignes ou les lois, a-t-il dit. Il faut en quelque sorte mettre de côté le système en soi pour garder le pouvoir.»
Signal mixte
Le discours serait évidemment différent si, le 3 novembre, M. Trump n’avait récolté que 20 % du vote populaire et une poignée de grands électeurs.
La course a plutôt été serrée pendant plusieurs jours, et les deux candidats ont franchi le fil d’arrivée pratiquement au coude à coude.
«D’un côté, c’est un signal d’alarme où, au moment des élections, il n’y a rien qui vous garantit une réélection, a dit le professeur Caouette. Mais par contre, il y a une base électorale importante pour qui ce genre de leadership là semble adapté à la réalité du 21e siècle.»
La performance de M. Trump dans la défaite paraît aussi démontrer qu’une bonne partie de l’électorat semble prête à n’écouter que la partie du discours du candidat qui lui plaît, voire à carrément se pincer le nez pour appuyer un candidat dont plusieurs facettes la répugnent.
Dans la foulée du premier débat entre MM. Trump et Biden, poursuit M. Caouette, il est ainsi devenu évident que M. Trump avait dépassé une «ligne rouge» et que même les électeurs les plus à droite n’étaient pas prêts à passer l’éponge sur tout.
Cela ne l’a pas empêché de récolter 70 millions de votes et l’appui de pratiquement la moitié des Américains qui sont allés voter, faisant à nouveau mentir les sondeurs qui annonçaient une victoire écrasante de Joe Biden.
M. Trump a remporté la Floride, mais les électeurs de cet État ont aussi approuvé une mesure qui portera le salaire minimum à 15$/heure — ils ont donc voté à la fois pour un candidat de droite et pour une mesure de gauche.
M. Opal souligne ensuite que les deux comtés les plus riches de la Floride et de l’Ohio ont voté massivement pour Donald Trump, à 62 % ou 63 %.
«Ce sont des retraités, des gens très prospères, et ils soutiennent massivement Trump, a-t-il dit. Et pourtant Trump prétend défendre le peuple contre l’élite.»
M. Trump est attaché à cette vision d’une Amérique blanche, spéciale, choisie par Dieu, et ceux qui l’appuient appuient aussi cette vision; ils veulent un leader fort et autoritaire, et ils ne se soucient pas beaucoup de ses défauts personnels, a-t-il expliqué.
Émergence du Trumpisme ?
Plusieurs estiment qu’on n’a pas fini d’entendre parler du clan Trump en politique.
Donald Trump sera-t-il de retour en 2024 ? Le professeur Eidlin compte parmi ceux qui y croient. D’autres analystes entrevoient plutôt la candidature d’un de ses enfants — Ivanka ou Donald fils, par exemple.
«Lorsqu’on fait la comparaison entre quelqu’un comme Trump et ses compères, comme Orban en Hongrie ou Poutine en Russie ou Erdogan en Turquie, ils ont un peu la même approche, un côté plus autoritaire, mais eux par contre savent comment gagner les élections, a dit M. Eidlin. Ils ont plus de compétence.»
La défaite de M. Trump, croit-il, est donc davantage imputable à son narcissisme et à ses traits personnels, mais «le Trumpisme maintient un électorat possible».
«Erdogan en Turquie est devenu un populiste, mais beaucoup moins erratique et grossier que ne l’est Trump», a renchéri le professeur Lévesque, de l’UQAM.
On pourrait donc voir émerger un politicien plus aguerri, moins irascible, moins épris de Twitter, sans tous les nuages qui pèsent sur Donald Trump, qui reprendrait à son compte les piliers du «Trumpisme» pour accéder au pouvoir.
Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas l’affaire d’un seul individu, explique le professeur Caouette. Les quatre dernières années témoignent plutôt de l’existence d’une base «relativement solide et importante» qui semble prête à s’accommoder de positions identitaires plus à droite.
De tels leaders existaient dans les années 1980, rappelle-t-il, comme Suharto en Indonésie ou Marcos aux Philippines.
Aujourd’hui, «l’idée d’un leader charismatique fort, qui ne mâche pas ses mots, qui laisse transparaître ses émotions et qui n’hésite pas à prendre position» en attire plusieurs, ajoute M. Caouette.
«On peut se demander si c’est une tendance structurelle liée à une certaine désillusion des électeurs pour des politiciens qui semblent avoir la langue de bois et toujours fournir des réponses politiquement correctes, alors on va apprécier des gens qui vont prendre des positions drastiques ou souvent antagonistes», a-t-il lancé en conclusion.