Chronique|

La job de bras du BAPE

Le maire de Québec a commenté lundi le rapport défavorable du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement envers le projet de tramway.

CHRONIQUE / Si le gouvernement Legault cherchait une porte de sortie pour le tramway, il en trouvera plusieurs dans ce rapport du BAPE.


Peu probable peut-on se dire, le gouvernement ayant plusieurs fois réitéré son appui au projet.

Mais succombera-t-il aux incantations du BAPE qui l’invite à retarder le projet le temps d’entreprendre de nouvelles études?

Au coeur de la critique du BAPE : une remise en question de la pertinence même d’un tramway comme mode de transport pour Québec.

On pourrait vivre avec, si le BAPE faisait la démonstration qu’un autre mode de transport répondrait mieux aux besoins et réalités de Québec.

Mais il n’en est rien.

Le rapport BAPE nous envoie dans toutes les directions. Trains de banlieue (aussi appelés Système léger sur rail ou SLR); métro léger ou métro court; Service Rapide par Bus (SRB) ou Bus à haut niveau de Service (BHNS).

Pas de positions claires. Que des doutes et questions. Comme si le BAPE voulait faire dérailler le tramway sans avoir le courage de le dire directement.

Il est un fait connu à Québec que des députés de la CAQ sont réticents au tramway. La vice-première ministre Geneviève Guilbault elle-même entretient le doute lorsqu’elle refuse d’utiliser le mot en «T» pour désigner le projet de transport structurant de Québec.

Les élus ne sont pas insensibles aux critiques du tramway par des citoyens, par des acteurs publics et par des médias.

Ce qui étonne, c’est que le BAPE le soit autant et nourrisse les mirages en laissant croire qu’un métro n’est peut-être pas vraiment plus cher qu’un tramway.

L’administration Labeaume et les partisans du tramway doivent aujourd’hui espérer que le gouvernement Legault fera avec ce rapport du BAPE ce qu’il a fait avec celui sur le REM de Montréal en décembre 2016 : l’ignorer. L’ignorer et donner le feu vert au projet, fut-il imparfait.

Le gouvernement n’est pas lié par les avis du BAPE. La logique voudrait qu’il en tienne compte lorsque c’est raisonnable. Mais l’intérêt public commande aussi que le gouvernement prenne des décisions lorsqu’un projet est mûr et nécessaire.

Le projet de tramway de Québec n’est pas parfait.

On peut être en désaccord sur des segments du trajet ou regretter son manque d’ampleur régionale; on peut redouter le dérangement pendant la construction ou les changements à venir à ses habitudes de circulation.

On peut craindre le bruit; regretter la disparition d’arbres matures sur le trajet ou l’apparition de nouveaux fils électriques; déplorer que Québec ait renoncé à des aires de services aux stations du tramway; s’inquiéter des hausses probables de la facture à mesure que le projet va s’affiner; se questionner sur l’effet de la pandémie et du télé-travail sur l’achalandage futur des transports en commun, etc.

Le BAPE aborde ces enjeux et c’est bien ainsi.

Ce qui étonne par contre, c’est le peu de poids qu’il accorde aux promesses d’amélioration du transport en commun par le tramway : meilleures fréquences, meilleure desserte des banlieues, vitesse accrue, plus grande fiabilité, meilleur confort, etc.

Ce qui étonne encore plus peut-être, c’est le peu de crédibilité qu’il semble accorder au travail déjà fait, études, analyses, preuves scientifiques et démonstrations de toutes sortes qui ont mené Québec à faire les choix qu’elle a faits.

Le BAPE préfère donner écho aux perceptions ou doutes de citoyens qui n’ont pas d’expertise particulière, comme si ces inquiétudes avaient le même poids voire préséance sur les avis d’experts.

C’est bien de douter d’un projet. Nécessaire même. On recherche d’abord les meilleures données possibles pour étoffer les décisions, améliorer le projet ou éventuellement l’abandonner.

Mais on ne peut pas tout recommencer à chaque fois. Tout remettre en question, toujours et encore. Le BAPE agit comme s’il était le premier (ou le seul) à avoir été assez intelligent pour poser les questions de base.

Des lecteurs du rapport ont noté un décalage de ton, des contradictions et des incohérences entre le corps du rapport et le résumé des «faits saillants».

Comme si les deux documents n’avaient pas obéi au même agenda.

J’ai du mal à juger, n’ayant pas lu encore la totalité des 441 pages. Mais j’en ai lu assez pour relever moi aussi des affirmations étonnantes, pour ne pas dire invraisemblables. À la fois dans le rapport et dans les faits saillants.

1- Par exemple, la thèse voulant que les stationnements incitatifs encouragent l’étalement urbain et que leur efficacité n’est pas démontrée pour accroître l’achalandage du transport en commun.

Le BAPE s’étonne que Québec ait choisi de maintenir ces stationnements au moment où elle a coupé dans d’autres composantes du projet.

Il ne faut pas être allé au Festival d’été souvent pour penser que les stationnements incitatifs n’ont par d’effet incitatif lorsque branchés à un transport fiable et efficace.

2- Deuxièmement, cette thèse voulant qu’on devrait utiliser les voies ferrées existantes pour y faire rouler des trains de banlieues ou tramways.

Bonne idée. Sur papier.

Sauf qu’il n’y a pas de voie ferrée qui se rend à Laurier/de l’Église, à l’Université Laval, sur la Colline parlementaire, sur le Chemin Ste-Foy, au coeur de St-Roch ou dans Lebourgneuf, principaux lieux de destination aux heures de pointe.

Pas de voie ferrée pour cueillir les voyageurs dans les quartiers où ils habitent. Oups. Il y a des années que cette hypothèse a été écartée, après analyse. Le BAPE se réveille aujourd’hui pour proposer qu’on l’envisage.

3- Troisième exemple, le BAPE semble douter de l’intérêt d’une rénovation des rues de façade le long du trajet du tramway. Il évoque les coûts élevés et le dérangement.

Vrai, mais c’est décevant de voir que ce qui était un argument fort en faveur du tramway devient dans les mains du BAPE un problème ou un irritant.

***

Le BAPE est-il incompétent en matière de transport urbain, déconnecté, trop zélé, trop idéaliste ou trop politique? Je ne saurais dire.

Aurait-il outrepassé son mandat en débordant du tramway pour parler d’aménagement régional, comme plusieurs le lui reprochent.

Cette critique d’un BAPE qui outrepasse ses mandats revient souvent. On l’avait entendue par exemple après qu’il ait démoli dans son rapport le scénario initial de prolongement de la Promenade de Champlain.

La réalité est que le BAPE a un mandat très large qui intègre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques des projets, de même que les répercussions sur les milieux et la qualité de vie.

Personnellement, je préfère un organisme public qui examine les projets avec un regard large plutôt qu’avec des oeillères, comme on le voit trop souvent.

La suggestion du Conseil régional de l’environnement est intéressante. On pourrait permettre la nomination au BAPE de «commissaires ad hoc compétents», choisis pour leur connaissance du sujet à l’étude. On éviterait peut-être de tout vouloir reprendre à zéro.


Le maire de Québec a commenté lundi le rapport défavorable du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement envers le projet de tramway.

10 DOUTES ET CRITIQUES DU BAPE

1- La pertinence du tramway

Le BAPE suggère que le tramway n’est pas le meilleur mode de transport pour Québec. Insatisfait des données et études fournies par le bureau de projet, il propose de relancer des études sur des hypothèses de trains de banlieue (aussi appelés Système léger sur rail ou SLR), métro léger ou métro court, Service Rapide par Bus (SRB) ou Bus à haut niveau de Service. (BHNS).

2- Les choix de trajet

Le BAPE note que 40 % du trajet de 22 km du tramway est en zone non densifiée, laissant entendre que ce ce n’est pas un choix optimal. Vrai que les tronçons aux deux extrémités sont moins denses. C’est d’ailleurs ce qui permettra de loger l’atelier mécanique près de la rue Le Gendre, là où il y a de l’espace. Lors d’audiences publiques précédentes, beaucoup de citoyens ont demandé que le tramway aille plus loin vers les banlieues. Le BAPE ne s’en souvient peut-être pas.

3- La colonne vertébrale

Québec a choisi une ligne centrale de forte capacité (tramway) vers laquelle seront rabattues les autres lignes d’autobus. Le BAPE met en doute ce choix qui va occasionner plus de correspondances, dit-il. C’est un fait, mais au final le temps total de déplacement sera moins long, plaide le Bureau de projet. Par exemple, les autobus express en provenance du nord s’enlisent dans le trafic en arrivant au pied de la Côte d’Abraham. Une correspondance avec le tramway au pôle d’échange St-Roch permettra d’arriver plus vite sur la colline parlementaire.

4- La desserte régionale

Le BAPE voudrait une meilleure desserte de l’ensemble de la région, incluant la Rive Sud. Pas une mauvaise idée. C’est ce que prévoit d’ailleurs le plan de desserte de la couronne nord rendu public par le RTC au début de l’été, mais dont le BAPE ne parle pas. Le précédent projet de tramway/SRB incluait la Rive Sud. Ce n’est plus le cas, bien qu’il y aura une connexion par le Pont de Québec et par le troisième lien. Personnellement, j’aimais bien le scénario précédent d’un grand réseau intégré.

5- L’utilité des parcobus

Le BAPE met en doute l’utilité et l’efficacité des stationnements incitatifs prévus dans le plan du réseau structurant de Québec. Sans commentaire. (détails dans autre texte)

6- Le déneigement

Le BAPE propose de revoir les méthodes envisagées de déneigement et d’aménagement des trottoirs, notamment sur René-Lévesque, afin d’épargner le maximum d’arbres possibles. Rien contre, au contraire.

7- COVID et télétravail

Le BAPE semble croire que la pandémie et la croissance du télétravail vont réduire à jamais l’achalandage dans le transport en commun. Et de facto, le besoin pour un mode de transport de forte capacité comme le tramway. Un avis d’expert de l’Université Laval suggérant le contraire n’a pas été retenu.

8- Réduire la demande en heure de pointe

Le BAPE suggère que la ville de Québec n’a pas tout fait ce qui était possible pour réduire la demande en transport aux heures de pointe : télétravail, co-voiturage, étalement des horaires de travail, etc. En réduisant davantage la demande, un mode de transport comme le tramway ne serait peut-être pas nécessaire, sous-entend le BAPE. Dans les faits, la ville ne contrôle pas les horaires des entreprises privées. La ville pourrait cependant tarifer des stationnements en fonction des heures d’entrée afin de réduire la pression de l’heure de pointe. Dans tous les cas, la ville plaide que les mesures d’étalement de l’heure de pointe ne suffiront pas.

9- Les communications

Le BAPE note les difficultés de communication et de promotion du projet de tramway, notamment auprès des riverains du projet. C’est bien le seul sujet qui fera ici l’unanimité. L’administration Labeaume a d’ailleurs reconnu cette lacune. Là où les choses se compliquent, c’est quand le BAPE propose de faire de la «co-construction» avec les voisins du tramway.

10- Rien ne presse

Le BAPE propose de dire non au projet actuel, estimant les études insuffisantes. Cela aurait pour effet de repousser indéfiniment la réalisation la mise en chantier de tout projet de transport structurant à Québec, seule ville de sa taille au Canada à ne pas en avoir encore. Avec le risque que les coûts augmentent davantage avec le temps et que le budget de 3.3 milliards $ «verrouillé» par le gouvernement Legault force à de nouvelles coupes dans le projet.

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