Entre le décès du pape Jean-Paul 1er, la tentative d’assassinat sur Ronald Reagan, la découverte du sida, l’apparition des chaînes d’information en continu et la musique disco, le monde se transforme. Yann Fortier est sans équivoque : les années 80 représentent une «époque intense».
L’auteur originaire de Québec, qui avait tout près de dix ans en 1980, souhaitait replonger dans les coutumes, les technologies et la culture de son enfance pour témoigner de cette période malgré tout «insouciante» de notre histoire. Il a d’ailleurs rédigé une partie de son roman, à Lévis, avec comme paysage le Château Frontenac, les glaces qui se fracassent sur le quai de la traverse Québec-Lévis et, au loin, un bout du pont de l’Île d’Orléans.
«Je me souviens d’être sur les plaines à trois ans et d’assister à des spectacles de Robert Charlebois, de Diane Dufresne et autres, assis sur la caisse de bière de mon père. Je me souviens d’aller voir des spectacles de l’OSQ au Grand Théâtre avec ma mère et qu’elle me montre la fameuse phrase “Vous êtes pas tannés de mourir bande de caves? C’est assez!”, d’être à l’Université Laval et de voir des gros claviers analogiques qui ont des centaines de fils», se rappelle l’ancien camelot du Soleil.
Dans Né pour être vivant, Yann Fortier raconte l’histoire — fictive — de l’artiste français Antoine Ferrandez, «victime consentante» de son succès interplanétaire Born To Be, Or Not To Be (Born). Pour devenir la vedette de l’heure, le musicien délaisse malgré lui son style rock et courbe l’échine devant le rythme rapide du disco. De la Belgique à Istanbul, des Îles-de-la-Madeleine à Montréal, Ferrandez voyage et prend le pouls du monde dans lequel il vit, entre 1979 et 1981.
D’une plume vive et croquante, l’auteur inscrit de nombreuses références au contexte géopolitique de l’époque, à la culture internationale ainsi qu’à de grands personnages qui ont construit son imaginaire tel que les Beatles, Jodie Foster, Stanley Kubrick ou encore Pablo Escobar. L’histoire d’Antoine Ferrandez est, en fait, presque un prétexte pour faire des observations sur cette culture populaire française et internationale à laquelle le Québec était très attaché à une certaine époque, admet l’écrivain, également directeur général du World Press Photo Montréal.
«À cette époque, à Québec et au Québec, les gens sont davantage baignés de culture française et québécoise. […] On s’est très rapidement tourné vers la culture américaine au niveau de la musique et du cinéma. Il y a eu un grand détachement, je trouve, entre les liens qui pouvaient unir le Québec et la France d’un point de vue culturel», fait-il remarquer sans nostalgie, mais en se remémorant tout de même l’époque où les films de Claude Lelouch étaient présentés en grande pompe au Cinéma Cartier.
«Mais, attention, mon roman n’est quand même pas une thèse sur les années 80», prévient rapidement l’auteur, qui insiste sur le plaisir qu’il avait à mettre en scène Antoine Ferrandez, son clin d’œil au chanteur français Patrick Hernandez, reconnu pour son «one-hit wonder» Born to be Alive.
Une «écriture photographique»
«Je pense qu’il n’y a pas plus grande liberté que le fait d’être dans un cadre», affirme celui qui rédige ses romans avec une discipline de moine : isolé dans le silence, à Vancouver ou à Lévis, de 6h à minuit. Selon lui, rigueur et imagination peuvent aller de pair. Il n’est pas nécessaire de «penser à l’extérieur de la boîte».
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Pour Yann Fortier, qui se définit comme un amoureux de lecture, les mots sont un immense terrain de jeu qu’il peut habiter comme il le souhaite, une fois l’histoire couchée sur papier. «J’ai de la difficulté à l’expliquer… C’est comme si je photographiais les mots et les séquences. Ça m’a pris un mois écrire Né pour être vivant, souligne-t-il. Ce n’est pas très long. C’est le processus d’édition que j’aime. Je deviens un sculpteur. Le synonyme, la cooccurrence, les virgules, pour moi, c’est aussi trippant que l’écriture de l’histoire en elle-même.»