Le gouvernement se réfugie à Montréal. Les rumeurs les plus folles se mettent à courir. Cinquante ans plus tard, Le Soleil vous amène au cœur de l’une des saisons les plus noires de Québec.
Le mois d’octobre 1970 commence sur une note insolite. À Saint-Romuald, deux policiers aperçoivent un OVNI. L’objet très lumineux avait la forme d’un cigare et il se déplaçait en émettant un sifflement, semble-t-il. À Ottawa, un député propose une loi pour «réglementer» les machines à fabriquer... la pluie. En Écosse, le 1er octobre, des scientifiques croient avoir repéré le monstre du Loch Ness, grâce à un puissant sonar. Believe it or not, le monstre ne serait pas un solitaire! Il vivrait en couple!
Ne souriez pas. Depuis des semaines, le Québec se prépare à un affrontement majeur. «C’est la crise», proclame un éditorial du Soleil, le 2 octobre. Mais il ne s’agit pas des menaces du Front de libération du Québec (FLQ). Pas du tout. On redoute une grève des médecins spécialistes, farouchement opposés au régime d’assurance-maladie qui entre en vigueur le 1er novembre. Le gouvernement leur offre 275 millions $ supplémentaires [1,8 milliard $ en argent de 2020]. Mais ça ne suffit pas.1
La Vieille Capitale semble assoupie. On parle beaucoup de fusions municipales. Les villes de Duberger et Les Saules viennent de se joindre à Québec. «La région métropolitaine ne formera qu’une seule ville dans 10 ou 15 ans», prédit le maire Gilles Lamontagne. Le Colisée a été le théâtre d’un match hors-concours entre les Flyers de Philadelphie et les Bruins de Boston. Bobby Orr, la grande vedette des Bruins, n’était pas du voyage… ce qui n’a pas empêché le prix des billets d’atteindre 6,50 $ [43,50 $ en argent de 2020]. Un scandale.2
Tout compte fait, il vaut mieux applaudir le joueur prodige des Remparts, un certain Guy Lafleur, qui vient de marquer quatre buts dans une victoire de 10 à 6 sur le National de Rosemont...
«Pas besoin de bodyguard»
Après un été mouvementé, le FLQ se fait discret. Au début de juin, la police a déjoué un projet d’enlèvement du consul des États-Unis à Montréal, Harrison W. Burgess. Le 24 juin, une bombe a explosé au ministère de la Défense, à Ottawa, tuant une employée. À Québec, le 15 juillet, un puissant engin explosif a été désamorcé à l’Hôtel Victoria, sur la côte du Palais, l’endroit où loge le premier ministre Robert Bourassa, lorsqu’il séjourne dans la capitale.3
Dans ce contexte, l’enlèvement à Montréal de l’attaché commercial britannique James Richard Cross, le 5 octobre, soulève de l’inquiétude. Pas trop, quand même. À Montréal, la police contrôle les voitures qui franchissent les ponts. Mais à Québec, peu de gens croient que le FLQ mettra ses menaces à exécution. Le premier ministre Robert Bourassa trouve même le moyen de plaisanter, lorsqu’une meute de journalistes l’entourent. «Vous voyez bien que je n’ai pas besoin de bodyguard!»4
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/XMWM7MQCLFC75BOEGJIIDLRZJ4.jpg)
La crise? Quelle crise? Le 7 octobre, Robert Bourassa s’envole pour New York, afin de trouver les 2 milliards $ nécessaires au financement son mégaprojet hydroélectrique de la Baie James.(5) «L’affaire Cross ne semble pas affecter le niveau de confiance,» assure-t-il.6 En fait, les commentaires les plus alarmistes viennent du ministre du Travail, Pierre Laporte, le numéro 2 du gouvernement. «Un vent de folie semble souffler sur le Québec,» déclare Laporte, que le FLQ rebaptise «le ministre du chômage et de l’assimilation».7
Place à la fête. À Québec, depuis des jours, les journaux regorgent de publicités annonçant que la ville va devenir «La capitale de la joie», avec la présentation du premier Festival de la bière, dans une dizaine de bars et de restaurants. Le visiteur peut déguster une bière tout en mesurant son degré de résistance à la plus redoutable créature de l’époque : l’orchestre bavarois.
La terreur de l’anti-terreur
Le 10 octobre, l’enlèvement du ministre Pierre Laporte fait monter la tension d’un cran.8 La panique s’empare de certains élus. À Québec, les plus excités veulent relocaliser le gouvernement sur la base militaire de Valcartier. À peine revenu de New York, Robert Bourassa s’y oppose. Il ne veut pas apeurer davantage la population. Finalement, le gouvernement se réfugie à l’Hôtel Reine-Elizabeth de Montréal. Les principaux ministres se réunissent au 20e étage, transformé en forteresse.
Dans la capitale qui n’est plus tout à fait une capitale, la situation semble un tantinet confuse. Ici, le FLQ menace les médecins spécialistes, qui sont en grève depuis le 8 octobre. Un cocktail Molotov est même lancé contre la maison d’un médecin de Sainte-Foy. Dans un communiqué retrouvé près de la bibliothèque de l’Université Laval, le FLQ déplore «l’attitude criminelle des médecins spécialistes et la lâcheté du gouvernement […] qui [mettent] en danger la santé de millions de Québécois». Il donne 48 heures pour «régulariser» la situation. Sinon, il kidnappera un médecin…9
Au même moment, Québec est agitée par une épidémie d’appels à la bombe. Le Parlement, Radio-Canada, l’édifice Delta et le Capitole sont visés. On ne parle même pas de la multiplication des messages délirants. Dans la nuit du 12 octobre, sur l’avenue Cartier et la 1re avenue, on retrouve des communiqués provenant de deux mystérieuses organisations antirévolutionnaires. Le Groupe anti-révolution québécois (GARQ) et le Comité antiterroriste (CAT) menacent de s’en prendre au FLQ si James Cross et Pierre Laporte ne sont pas libérés.10
Vu la quantité impressionnante de fautes d’orthographe, la police ne prend pas les groupes «antiterroristes très au sérieux. Le Groupe anti-révolution québécois a même dû publier un second communiqué pour corriger une erreur dans un nom! Apparemment, les fautes d’orthographe sèment la terreur parmi les antiterroristes…
Les fesses de Danielle Ouimet
Au bout d’une semaine de crise, la Sûreté du Québec veut frapper un grand coup. Dans la région de la capitale, les 10 et 11 octobre, ses agents fouillent au moins 38 logements de présumés militants du FLQ. Le pont de Québec est bloqué pour des contrôles d’identité. Tous les jeunes portant la barbe ou les cheveux longs deviennent suspects. Le dimanche soir, on annonce triomphalement l’arrestation de six adolescents qui transportaient du matériel «subversif», c’est-à-dire des dépliants communistes. Mao n’a qu’à bien se tenir…
De l’avis général, l’adoption de la loi martiale n’est plus qu’une question de temps. Les autorités auraient déjà commencé à dresser la liste des personnes qui seront arrêtées.11 À Ottawa, plus de soldats gardent les édifices publics. À Québec, on voit des militaires autour du Parlement et près de l’aéroport. Tous les soirs, à la télévision, le ministre fédéral Jean Marchand presse le bouton panique. Il assure que le FLQ compte 3000 combattants armés jusqu’aux dents.
Les élus du Parti créditiste se déchaînent. À Ottawa, Réal Caouette veut fusiller les felquistes. À Québec, Camille Samson attribue la crise aux «mesures socialistes» de la Révolution tranquille. La palme de la bizarrerie revient toutefois au député René Matte, qui établit un lien entre la libéralisation des mœurs et le FLQ. Monsieur estime que grâce à l’argent du gouvernement fédéral, le cinéma québécois est passé «de La petite Aurore l’enfant martyre aux fesses de l’actrice Danielle Ouimet» [NDLR : dans Valérie, l’un des premiers films érotiques québécois].»
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/FD5DYT4A2RFTPJEXZF6ZOTGJK4.jpg)
Les rumeurs les plus folles circulent. Le journal The Gazette évoque un «rapport secret» de la GRC qui évalue les effectifs du FLQ à 130 membres aguerris et 2000 sympathisants.12 Il est aussi question d’un gouvernement parallèle et d’un camp d’entraînement dans le Nord québécois, où un avion cubain aurait multiplié les atterrissages. Finalement, un député conservateur prétend détenir une preuve «irréfutable» que la Sûreté du Québec est infiltrée par le FLQ. Cinquante ans plus tard, on l’attend encore...
Jongler avec la vie des autres
Fidèle à son habitude, le premier ministre Robert Bourassa veut gagner du temps. Il veut régler une crise à la fois. En commençant par les médecins. Le 14 octobre, le gouvernement revient d’urgence dans la capitale pour adopter une loi forçant leur retour au travail des 3000 spécialistes. L’Assemblée nationale se réunit au milieu d’un imposant dispositif policier.
La grève est très impopulaire. Le président de la Fédération des médecins spécialistes, Raymond Robillard, a reçu de nombreuses menaces. Il s’est réfugié dans un endroit tenu secret, en dehors de la ville. «Pendant que le FLQ jongle avec la vie de deux personnes, les médecins spécialistes jonglent avec la vie de six millions de personnes», a dit un délégué de la CSN, lors d’un congrès.13
Pour en finir, l’Assemblée nationale adopte le 15 octobre une loi spéciale. Des sanctions draconiennes sont prévues pour les médecins qui refusent de retourner au travail. Chaque jour de grève illégal est passible d’une amende de 200 à 500 $ [1336 à 3344 $ en argent de 2020], assortie d’un mois de prison...14
Les représentants des médecins sont furieux. Le Collège des médecins soutient que 1300 spécialistes ont déjà pris des mesures pour quitter le Québec...15 Mais ceux qui trouvent que le gouvernement va trop loin n’ont encore rien vu…
Un mauvais roman policier
Le 16 octobre, au petit matin, le gouvernement du Canada proclame la Loi sur les mesures de guerre. Le FLQ devient une association illégale. Ceux qui lui sont associés s’exposent à 5000 $ d’amende et à cinq ans de prison. Plusieurs droits fondamentaux sont suspendus. À Québec, en l’espace de quelques heures, 63 personnes sont arrêtées. Plus de 75 perquisitions sont effectuées. Les gens emprisonnés sont coupés du monde pour une durée pouvant aller jusqu’à 90 jours. Pas question de recevoir la visite d’un avocat ou de se servir du téléphone. Même la liste des détenus est secrète.16
Le centre-ville devient le théâtre de scènes dignes d’un mauvais roman policier. Le Soleil décrit une perquisition effectuée à la librairie Livres et périodiques progressistes, sur la rue du Pont, vers 4h du matin. Les policiers défoncent la vitre de la porte à coup de pied. L’arme au poing, huit agents s’engouffrent dans le minuscule commerce. À l’intérieur, ils tombent sur un jeune homme endormi. Le suspect a juste le temps d’enfiler un imperméable avant d’être menotté et expédié en prison. Les affiches à la gloire de Che Guevara et de Mao sont vite balancées dans des boîtes. Les livres aussi. Le «raid» dure moins de 30 minutes. Montre en main.17
Souvent, les policiers font preuve d’un zèle excessif. Les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas les seuls à le répéter. Le directeur général de la Sûreté du Québec, Maurice St-Pierre, finit par le reconnaître. Et Monsieur n’a rien d’un dangereux trotskyste, c’est le moins que l’on puisse dire! Le 26 octobre, il recommande à ses troupes de «vérifier avec soins les renseignements avant de procéder à des perquisitions». Il admet que plusieurs «descentes» ont été effectuées «sans motif valable».
À Québec, les policiers ont tendance à saisir tout ce qui leur tombe sous la main, y compris des numéros d’une revue bénigne comme Le Nouvel Observateur. Quand un suspect ne se trouve à la maison, on arrête parfois son épouse ou l’un de ses enfants.18 Vrai que dans la lutte contre le FLQ, il n’y a pas de petite victoire. À preuve, la ville d’Ottawa change le nom de la rue «Chénier», qui rappelle trop le nom de la cellule du FLQ accusée de l’enlèvement de Pierre Laporte. Elle s’appellera désormais la rue des Iroquois.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/IEKDIDZDN5CO5DFSONHPR3FTXY.jpg)
Noir, c’est noir
Dans la soirée du 17 octobre, la découverte du cadavre de Pierre Laporte dans le coffre d’une automobile, sur la Rive-Sud de Montréal, résonne comme un coup de tonnerre. Jusque là, beaucoup de gens ne croyaient pas que le FLQ irait jusqu’à tuer. Le 8 octobre, la lecture de son manifeste, sur les ondes de Radio-Canada, avait même rencontré un écho favorable. Tout le monde pouvait se reconnaître dans un texte qui interpellait le pouvoir dans un langage populaire.19 Le syndicaliste Michel Chartrand pouvait même s’exclamer : «il n’y a pas de quoi brailler parce qu’un ministre du Travail est en pénitence».20
La mort de Pierre Laporte change tout. Au début, à cause des blessures que le ministre s’est infligées en essayant de s’enfuir, on pense qu’il a été torturé! À Québec, dès l’aube, des centaines de citoyens bouleversés accourent devant l’Assemblée nationale, pour se recueillir. Plusieurs ont écouté les nouvelles à la radio, toute la nuit. «À la radio, ce ne fut vraiment pas une nuit comme les autres, écrit Le Soleil. Les [stations] qui, au petit matin du dimanche entretenaient habituellement leur auditoire avec de la pop music ou de la country music diffusèrent du Mozart à plein tube.»21
La condamnation la plus impitoyable vient du chef du Parti québécois, René Lévesque. Avant, il n’approuvait pas les enlèvements, mais il trouvait que les p’tits gars du FLQ «avaient du nerf».22 Désormais, il les condamne sans appel. Il leur souhaite «de vivre assez longtemps pour voir qu’ils ne représentent rien ni personne de valable, que leur geste est non seulement criminel, mais insensé.» Il poursuit sa charge le lendemain, dans sa chronique du Journal de Montréal.23
Le choc causé par la mort de Pierre Laporte est immense. Tout le monde en parle. Les commerces se disputent l’espace publicitaire des journaux pour rendre hommage au ministre. Même le président des États-Unis, Richard Nixon, commente le triste sort du Québécois. Il voit dans la crise du Québec une justification supplémentaire de son programme basé sur la loi et l’ordre. «C’est l’irrespect de la loi qui a causé la mort de M. Pierre Laporte» assure-t-il.
La peur aidant, des citoyens se mettent à voir un peu partout le felquiste le plus recherché, Paul Rose. À plusieurs reprises, on signale sa présence sur le campus de l’Université Laval! Le 20 octobre, on croit l’avoir entrevu à Buffalo. Le 26, on estime qu’il se trouve peut-être au Michigan. Entre-temps, dans la soirée du 19 octobre, la police de Québec annonce son arrestation! Ce n’est qu’après avoir vérifié les empreintes digitales du suspect qu’on se rend à l’évidence. Il s’agit de quelqu’un d’autre!
L’alouette en colère
L’ordre règne sur Québec. Au centre-ville, des soldats montent la garde devant le Parlement, le quartier général de la SQ et le Palais de Justice. Selon la police, la surveillance est telle que le nombre de crimes se met à diminuer! Mais tout le monde ne partage pas cet enthousiaste. Plus tard, le chanteur Félix Leclerc expliquera qu’il est devenu indépendantiste le jour où il a vu l’armée canadienne fouiller des voitures dans la côte de l’île d’Orléans. «J’ai eu honte de voir que pour régler nos problèmes, il fallait appeler une armée de l’extérieur. Le même jour, j’ai écrit L’Alouette en colère,» résume-t-il.24
Il n’empêche. Après quelques jours, même les élus terrorisés reprennent du mordant. La chasse aux coupables est ouverte. Le Whip du Parti libéral du Québec, Louis Philippe Lacroix, accuse les journalistes d’être responsables de la mort de Pierre Laporte. Pour lui, les scribes ne sont que des «ratés». Non seulement ils entravent le travail des policiers, mais en plus ils collaborent avec les agitateurs. Son collègue, le député Gilbert Théberge, interpelle les journalistes. «Vous en avez eu un [Pierre Laporte], vous devez être contents?
À Radio-Canada, des indépendantistes comme la chanteuse Pauline Julien sont interdits d’antenne, même dans les jeux-questionnaires. Selon l’hebdomadaire Québec-Presse, la direction a reporté un épisode du populaire téléroman Quelle Famille! de Janette Bertrand, parce qu’il traitait d’une manifestation contre... la pollution. Les mots «manifestation» ou «contestation» ne doivent plus être prononcés en ondes.
La radio de Radio-Canada devient si frileuse qu’elle bannit la diffusion de la chanson Mon Pays, de Gilles Vigneault et aussi — tenez-vous bien!— de L’important c’est la rose, de Gilbert Bécaud. On craint que cela soit interprété comme un appui aux frères Jacques et Paul Rose, du FLQ!25
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/GGE6QIV575GTDFGWEPVM2KIRN4.jpg)
Épilogue : La vie continue
La crise se poursuit encore durant de longs mois. Le diplomate James Richard Cross n’est libéré que le 3 décembre, après 60 jours de détention. Il faut attendre le 28 décembre pour que les ravisseurs de Pierre Laporte soient arrêtés.26 Entre-temps, le premier ministre du Canada, Pierre Trudeau, a décrit la Loi des mesures de guerre comme un peu «totalitaire». Le 28 octobre, il admet que parmi les gens incarcérés, il se trouve plusieurs personnes «innocentes et très respectables».27
À Montréal, on enregistre une baisse de 40 % de l’achalandage dans les commerces du centre-ville. Mais à Québec, la tension retombe assez vite, même si une quinzaine de personnes restent emprisonnées à la fin du mois. Dès le 21 octobre, le tout nouveau pont Frontenac est rebaptisé pont Pierre-Laporte. On songe aussi brièvement à renommer le futur Grand Théâtre en l’honneur du défunt ministre.
Bientôt, l’actualité reprend d’éternels recommencements. Québec et Ottawa se chicanent pour savoir qui va payer «l’occupation militaire», qui coûte 500 000 $ par jour.28 Le gouvernement du Québec annonce l’instauration «d’une véritable politique en faveur des personnes âgées». Il veut aussi mettre l’ordre dans les commissions scolaires, jugées inefficaces. Le hockey n’est pas oublié. De passage en ville, le président du Canadien de Montréal, David Molson, prédit que la ville de Québec héritera d’un club lors de la prochaine expansion de la Ligue nationale…29
La vie continue, même si la crise n’est jamais très loin. Comme un mauvais rêve. À l’automne 1970, le géographe Henri Dorion enseigne à l’Université Laval, en plus de présider la Commission d’étude sur l’intégrité du territoire québécois. Après avoir reçu plusieurs visites d’agents de la GRC, M. Dorion se demande si sa ligne téléphonique a été placée sous écoute. À force d’insister, il parvient à parler avec un haut fonctionnaire bien au fait de ce genre de «détails». Même s’il ne peut pas lui répondre, l’homme lui donne un conseil. Un seul.
— Surtout, ne parlez jamais de votre travail au téléphone.30
«Il y avait un grand décalage entre Québec et Montréal, se souvient le professeur émérite Florian Sauvageau, qui enseignait alors à l’Université Laval. Ça me frappait à chaque fois que j’allais à Montréal. La présence militaire y était beaucoup plus imposante.» Malgré tout, le professeur Sauvageau ne risquait pas d’oublier que le campus universitaire se trouvait sous haute surveillance. «Il y avait un policier de la GRC qui était inscrit à l’un de mes cours, explique-t-il. Je le sais, j’en suis sûr, parce qu’il était venu me le dire!31
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/BCUCPRIM4ZHWPFGIVBHSDQP52M.jpg)
+++
La crise en neuf dates
- 5 octobre : James Richard Cross, l’attaché commercial de la Grande-Bretagne, est enlevé par la cellule «Libération» du FLQ. L’organisation exige notamment la libération de 23 prisonniers politiques.
- 8 octobre : Le Manifeste du FLQ est lu à la télé de Radio-Canada. Il s’agissait de l’une des sept conditions posées par le FLQ pour libérer le diplomate Cross.
- 10 octobre : En fin d’après-midi, le gouvernement du Québec annonce qu’il ne se rendra pas aux exigences du FLQ. Quelques heures plus tard, la cellule «Chénier» du FLQ enlève Pierre Laporte, le ministre québécois du Travail et de l’Immigration.
- 11 octobre : Le FLQ transmet une lettre déchirante de Pierre Laporte au premier ministre du Québec, Robert Bourassa. «Cher Robert, j’ai la conviction d’écrire la lettre la plus importante de toute ma vie…» commence le ministre.
- 15 octobre : Le gouvernement du Québec demande l’aide de l’armée. Des milliers de soldats sont déployés autour des principaux édifices. À Montréal, lors d’une assemblée politique, plus de 3000 personnes scandent FLQ!
- 16 octobre : À la demande de la Ville de Montréal et du gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral promulgue de la Loi sur les mesures de guerre. Plus de 500 personnes sont arrêtées. Plus de 31 700 perquisitions sont effectuées.
- 17 octobre : Le corps de Pierre Laporte est retrouvé dans le coffre d’une voiture à proximité de l’aéroport militaire de Saint Hubert.
- 3 décembre : Les membres de la cellule «Libération» et leur famille obtiennent un sauf-conduit vers Cuba. James Cross est libre après deux mois de détention.
- 28 décembre : Arrestation de Paul Rose, Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie, les quatre felquistes qui ont enlevé Pierre Laporte.
NOTES
(1) La situation dans les hôpitaux : Castonguay offrirait 275 millions $, L’Action, 6 octobre 1970.
(2) On se moque des amateurs de hockey, Le Soleil, 26 septembre 2020.
(3) Louis Fournier, F.L.Q. Histoire d’un mouvement clandestin, Québec/Amérique, 1982.
(4) L’assurance-maladie et l’enlèvement de Cross hantent le Parlement de Québec, Le Soleil, 6 octobre 1970.
(5) Octobre 70 : Fallait annuler le voyage pour New York? historiquementlogique.com, 25 mars 2018.
(6) Bourassa aux New Yorkais : le Québec peut jouer un rôle majeur dans la solution de vos problèmes d’énergie, Le Soleil, 9 octobre 1970.
(7) L’assurance-maladie et l’enlèvement de Cross hantent le Parlement de Québec, Le Soleil, 6 octobre 1970.
(8) Le FLQ s’est emparé du plus gros morceau», après Robert Bourassa, Le Soleil, 13 octobre 1970.
(9) Mesures d’urgence : les réunions du Cabinet se succèdent, Le Soleil, 13 octobre 1970.
(10) Les antiterroristes ripostent, Le Soleil, 13 octobre 1970.
(11) Les militaires n’attendent plus que l’ordre de quitter les lieux, Le Soleil, 13 octobre 1970.
(12) Louis Fournier, F.L.Q. Histoire d’un mouvement clandestin, Québec/Amérique, 1982.
(13) Les spécialistes sont comparés aux membres du FLQ par le conseil régional CSN Lac-Saint-Jean, Le Soleil, 13 octobre 970.
(14) Sévères sanctions contre les récalcitrants : La FMSQ demande à ses membres de se soumettre à la loi 41,
Le Soleil, 16 octobre, 1970.
(15) Le Québec semble disposé à laisser partir les spécialistes, L’Action, 16 octobre 1970.
(16) Jacques Lacourcière, Histoire du Québec populaire, Septentrion, 1996.
(17) Une atmosphère de roman policier entourent des événements qui font maintenant partie de la réalité, Le Soleil, 16 octobre 1970.
(18) La situation créée par les «mesures de guerres» serait empirée par les agissements des policiers, Le Soleil, 17 octobre 1970.
(19) FLQ : Manifeste, Octobre 1970, Les publications du Quartier libre, 1994.
(20) La révolution au Québec est peut-être en voie d’exécution — M. Jean Drapeau, Le Soleil, 13 octobre 1970.
(21) Le Soleil, 19 octobre 1970.
(22) René Lévesque, Attendez que je me rappelle, Québec/Amérique, 1986, p. 324
(23) René Lévesque, Chroniques, Québec Amérique, 1987.
(24) Jacques Bertin, Félix Leclerc, Le roi heureux, Boréal Compact, 1988.
(25) Selon Gérard Pelletier, Ottawa n’a pas donné d’instructions à Radio-Canada, Le Soleil, 3 novembre 1970.
(26) Paul Rose, Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie
(27) 400 personnes ont été appréhendées, mais aucune accusation n’a encore été portée, Le Soleil, 29 octobre 1970.
(28) Le prix de l’occupation : «le fédéral a déjà su ignorer le «strict légalisme» — Bourassa, Le Soleil, 30 octobre 1970.
(29) Le hockey majeur à Québec lors d’une prochaine expansion — David Molson, Le Soleil, 20 octobre 1970.
(30) Entrevue avec M. Henri Dorion, le 6 octobre 2020.
(31) Entrevue avec M. Florian Sauvageau, le 7 octobre 2020.