Un Québécois à New York

«Pour un petit gars originaire de Joliette et qui jouait à Sorel, tu te rends compte que New York, c’est gros, c’est vraiment impressionnant», raconte l’ex-Rangers Lucien DeBlois.

À moins de recevoir une offre mirobolante, les Rangers de New York réclameront Alexis Lafrenière avec le tout premier choix du repêchage de la Ligue nationale de hockey, mardi. Il faut remonter loin dans le temps pour retrouver le dernier joueur québécois sélectionné le plus hâtivement par ce membre du groupe des six clubs originaux de la Ligue. Huitième choix de la première ronde en 1977, Lucien DeBlois n’a pas oublié ses premiers pas dans la Grosse Pomme, cette ville qui ne dort jamais.


«Alexis est beaucoup mieux préparé que nous ne l’étions, à l’époque. Les Rangers vont bien l’encadrer, ses conseillers l’ont bien préparé. Moi, mon agent était Rodrigue Lemoyne, il ne m’avait pas accompagné à New York. Je pense même qu’il n’est jamais venu me voir quand je jouais à Montréal», raconte en riant celui qui a disputé 993 matchs dans la LNH avec les Rangers, les Rockies du Colorado, les Jets de Winnipeg, le Canadien de Montréal, les Nordiques de Québec et les Maple Leafs de Toronto.

Comme le produit de l’Océanic de Rimouski, DeBlois avait aussi connu un brillant passage dans la LHJMQ, inscrivant 56 buts et plus de 100 points à chacune de ses deux dernières saisons avec les Éperviers de Sorel. Au moment de sa sélection par les Rangers, le natif de Joliette venait de remporter le trophée Michel-Brière, remis au joueur le plus utile, tout comme Lafrenière.

Les Rangers en avaient donc fait leur première (8e) de deux sélections en première ronde du repêchage de 1977, l’autre étant Ron Duguay (13e). En quatrième ronde, ils réclameront le défenseur des Remparts, Mario Marois, qui a aussi disputé plus de 950 matchs dans la LNH. Pour la petite histoire, Dale McCourt (Detroit), Barry Beck (Colorado) et Robert Picard (Washington) avaient été les trois premiers choix.

«Dans notre temps, on était plus laissé à nous-mêmes qu’aujourd’hui, mais il y avait quand même quelques vétérans qui s’occupaient de nous. J’ai apprécié ce que Carol Vadnais et Rod Gilbert, qui a toujours été Monsieur Rangers et avec qui je suis toujours en contact, avaient fait pour moi et Mario [Marois], même chose pour Jean-Guy Talbot et Fergy [John Ferguson], qui parlait un peu le français.»

Mario Marois a été un choix de quatrième ronde des Rangers en 1977.

Une grande ville

N’en demeure pas moins qu’on n’arrive pas à New York sans penser qu’il s’agit d’une ville comme une autre.

«Pour un petit gars originaire de Joliette et qui jouait à Sorel, tu te rends compte que New York, c’est gros, c’est vraiment impressionnant. La couverture médiatique des équipes sportives de baseball, football, basketball et de hockey est énorme, surtout pour un club fétiche comme les Rangers. Et encore là, Alexis est prêt à cela puisqu’il a été sous les feux de la rampe, entre autres avec l’équipe canadienne junior. La seule différence, c’est qu’une fois dans les rues de la ville, il y a tellement de monde qu’on te reconnaît un peu moins.»

DeBlois est débarqué à 20 ans à New York, tandis que Lafrenière y fera ses débuts à 19 ans. Ironiquement, son premier contact avec les Rangers avait eu lieu à Pointe-Claire, dans un camp des recrues. Il s’était taillé un poste malgré la présence de nombreux vétérans pour finalement aboutir à l’aile droite d’un troisième trio complété par Duguay et Pat Hickey, un ancien des Nordiques. Marois, lui, avait disputé sa première saison à New Haven, dans la Ligue américaine, avant d’être rappelé deux fois par les Rangers, la même année.

«La première fois que je suis allé à New York, j’ai vu quelqu’un de mort sur le bord de la rue. Il s’agit d’une grosse ville, c’est intimidant. Il y a beaucoup de distraction, c’est possible de ne jamais se coucher. Je me souviens que Don Murdoch avait été blessé et s’était retrouvé seul en pensant que des gens qui l’entouraient étaient ses amis… Ça peut faire la différence entre réussir ou pas ta carrière. Mais je n’ai pas peur pour Alexis, il est bien entouré, il est prêt pour ça», précise Marois, qui fut capitaine au cours de sa carrière dans la LNH, à l’instar de DeBlois.

Marois se trouvait à son camp de bois afin de respecter une quarantaine lorsqu’on lui a parlé, la semaine dernière. Il rappelait que son premier contrat comprenait trois volets : 30 000 $ s’il jouait dans la LNH, 17 000 s’il se retrouvait dans la LAH et 10 000 $ s’il jouait dans un calibre inférieur. «Lucien avait reçu le magot, nous on a eu un contrat», disait à la blague celui qui avait profité d’une avance des Rangers de 5000 $ remboursable sur chaque paie pour s’offrir un appartement.

DeBlois, lui, avait été en mesure de s’acheter une petite maison près de la mer à Long Beach, où était alors situé l’aréna de pratique de l’équipe. Ce complexe se trouve maintenant plus au Nord, près de Rye, où résident plusieurs joueurs. Quelques-uns habitent à Manhattan.

«Ça coûte vraiment cher, mais les salaires ne sont plus les mêmes qu’à notre époque. Alexis va aimer ça, là-bas», note DeBois. «Il va être correct», ajoute Marois, qui aurait travaillé avec DeBlois si le projet de faire renaître les Bulldogs de Québec n’avait pas avorté, en 1998, pour des raisons financières.

Lucien DeBlois a joué deux saisons à New York avant d’être échangé à sa troisième au Colorado en retour de Barry Beck, repêché la même année que lui. Il est ensuite devenu le capitaine des Jets, pour finalement aboutir avec le Canadien, où il fut blessé plus souvent qu’à son tour. Il y a quand même savouré son unique conquête de la Coupe Stanley, en 1986. Il est ensuite retourné une deuxième fois à New York.

«Phil Esposito est revenu me chercher à l’été 1986 et j’ai signé pour trois ans, mais j’ai été pas mal blessé. La troisième saison, c’est là que “Bergy” [Michel Bergeron] est arrivé. On était plusieurs Québécois avec Guy Lafleur, Michel Petit, Marcel Dionne. C’est à ce moment-là que j’ai été converti en joueur défensif, j’ai accepté mon rôle et ça m’a permis de prolonger ma carrière de cinq autres saisons. Si j’avais essayé d’être un joueur offensif, je n’aurais pas passé», rappelait l’auteur de 249 buts et 525 points en 15 saisons.

QUÉBÉCOIS REPÊCHÉS PAR LES RANGERS EN 1re RONDE

  • 2001 (10e), Dan Blackburn, G, Montréal
  • 1996 (26e), Dan Cloutier, G, Mont-Laurier
  • 1977 (8e), Lucien DeBlois, AD, Joliette
  • 1970 (11e), Normand Gratton, AD, Montréal
  • 1969 (8e), André Dupont, D, Trois-Rivières
  • 1969 (12e), Pierre Jarry, AD, Montréal
  • 1965 (1er), André Veilleux, AD, Trois-Rivières

+

DU HOCKEY DE PÈRE EN FILS

L’univers du hockey est à la fois très grand et très petit. Lucien DeBlois a croisé plusieurs personnes, tout au long du parcours de joueur, entraîneur et dépisteur. Il a même rempli sa carte de crédit personnelle dans une aventure qui a mal tourné avec les Alpines de Moncton, qui allaient devenir les Wildcats une saison plus tard…

Et qui jouait sous ses ordres là-bas, pensez-vous? Christian Daigle, le président de la firme Momentum Hockey, dans laquelle se retrouve Émilie Castonguay, l’agente d’Alexis Lafrenière.

«Je me souviens d’avoir coaché Christian avec les Alpines et qu’on l’avait acquis en retour de David-Alexandre Beauregard», se rappelle DeBlois à propos de celui dont le groupe veille maintenant aux intérêts du meilleur espoir du repêchage.

Après sa carrière active de 15 saisons, DeBlois en a entrepris une autre derrière le banc, d’abord à titre d’adjoint avec les Nordiques, puis en chef à Moncton et enfin avec les Blades de Kansas City (Ligue internationale). Il est devenu dépisteur en 1998 avec les Mighty Ducks d’Anaheim, pour ensuite passer 12 ans dans ce rôle avec les Canucks de Vancouver.

Maintenant installé à Montréal, celui qui a soufflé sur ses 63 bougies au début de l’été a vécu pendant 10 ans à Québec, où ses trois fils y ont joué leur hockey mineur. Si Simon occupe maintenant un emploi chez Vidéotron, Dominic (agent) et Christian (dépisteur) sont encore impliqués dans le hockey.

«Je suis fier de voir aller mes fils et d’avoir pu faire toute ma carrière dans le hockey. J’aimerais ça revenir comme dépisteur à temps partiel, mais je comprends qu’aujourd’hui, les postes sont plus rares à cause de la COVID. Je ne pense pas que l’heure de la retraite ne sonnera jamais», dit celui qui fait un peu de consultation pour Dominic.

Compliqué avec la COVID

Mario Marois n’occupe plus son poste de dépisteur avec les Red Wings de Detroit depuis 2018. Il aimerait bien, tout comme son ancien coéquipier et collègue de travail avec les Canucks, revenir mettre le bout du nez dans les arénas de la LHJMQ. Il avait donné un coup de pouce derrière le banc du Drakkar de Baie-Comeau, à la fin de la saison 2018-2019.

«J’aimerais ça, mais avec la COVID, ce n’est pas facile. Comme joueur, j’aurais aimé ça atteindre le plateau des 1000 matchs [955], mais je suis content de ma carrière. Le hockey d’aujourd’hui est rapide. Dans mon temps, il y avait plus d’intimidation, tu devais avoir l’instinct de survie», note l’ancien joueur de 62 ans.

Marois ne se servait pas uniquement de son bâton pour manier la rondelle… Le robuste Willi Plett avait déjà demandé à Guy Chouinard, son coéquipier des Flames d’Atlanta et ami de Marois, «qui était ce dangereux?», en parlant du défenseur natif de L’Ancienne-Lorette.

«J’ai joué avec et contre Mario, je préférais que ce soit un autre qui reçoive le coup dans le dos», rappelait DeBlois en riant.

«La hache, maintenant, je m’en sers pour couper du bois dans mon camp», rigolait Marois. Carl Tardif