[QUIZ] La carrière de Robert Lepage en 7 questions

887

Le 27 septembre 1995 sort à Québec le premier long-métrage de Robert Lepage : Le Confessionnal.


Depuis, quelques autres films, de nombreuses pièces de théâtre, plusieurs mises en scène d’opéra et bien d’autres œuvres se sont ajoutées au portfolio de Lepage.

Si son talent l’a amené sur les plus grandes scènes du monde, il n’a jamais oublié sa ville natale dont il traite abondamment dans son œuvre et devant laquelle il présente la plupart de ses spectacles. 

Nous vous proposons donc un bref retour sur la carrière de ce dramaturge en sept questions à l’occasion du 25e anniversaire de la sortie de son premier long-métrage.

Pour accéder au questionnaire, il suffit de cliquer ici.

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Et en rappel pour l'occasion, redécouvrez le grand reportage du Soleil réalisé lors de la création de «887», dans lequel Robert Lepage nous guide sur les traces de son enfance à Québec.



L'ancienne école Saints-Martyrs-Canadiens

L'ENFANCE: 887, avenue Murray

Un «microcosme» de la société québécoise

Robert Lepage nous attend devant le 887 de l'avenue Murray. De la brique beige, six balcons alignés de manière bien symétrique. Rien de remarquable sur la forme. Mais un lieu chargé de souvenirs et riche en symboles pour l'homme de théâtre, qui y a grandi dans les années 60. 

«On habitait dans l'appartement 5», avance Lepage, pointant un logement du deuxième étage. «On était une famille de six au départ: le père, la mère et quatre enfants, reprend-il. À un moment donné, une grand-mère qui était atteinte d'alzheimer s'est ajoutée. C'est sûr que quand j'étais petit, je trouvais que c'était un grand appartement. Mais c'est miniature. On rentrait juste. Quand la grand-mère est arrivée, ça s'est mis à déborder...»



Robert Lepage n'a jamais remis les pieds au 887 depuis son enfance. Pas même dans la création du spectacle baptisé en son honneur: une expérience décevante dans un appart de sa jeunesse pendant le tournage du film Le confessionnal l'en a dissuadé. «C'est un souvenir d'enfant. Tu arrives là et c'est grand comme un mouchoir. Je ne fais plus ça...» confie le dramaturge et comédien. Il a néanmoins placé l'immeuble de l'avenue Murray, reconstruit comme une sorte de maquette se transformant au gré du récit, au centre de la pièce qui s'installe au Grand Théâtre dès mardi. 

«Le point de départ du spectacle, c'était vraiment le building, indique-t-il. Je savais qu'il y avait là une représentation ou un microcosme qui pouvait parler du Québec des années 60: quelques immigrants, des gens qui parlaient anglais, une majorité de francophones. On venait à peu près tous de la même classe sociale, mais il y avait quand même de petites différences. Toute la dynamique politique de l'époque se manifestait dans les différents foyers.»

Hommage au père

En explorant ses propres souvenirs d'enfance pour dépeindre sa vision de l'histoire du Québec des années 60, Robert Lepage ne croyait pas que son père finirait par prendre tant de place dans son récit. Peu instruit, mais parfaitement bilingue, ex-militaire gagnant sa vie comme chauffeur de taxi, le paternel travaillait beaucoup - «trop», au dire de son fils - et n'était pas très souvent à la maison. 

«Ç'a été l'une des surprises de la création de ce spectacle-là, avoue-t-il. J'ai réalisé à quel point mon père était présent malgré son absence. Il travaillait la nuit. Quand on le voyait, il était fatigué. C'était un homme qui parlait peu. Je n'avais pas l'impression que j'avais hérité beaucoup de choses de mon père et que j'avais plus hérité de ma mère...»

Un goût du voyage - développé dans la marine -, une grande valorisation du bilinguisme et de l'ouverture à l'autre... Le père Lepage a finalement eu un «impact énorme» sur son fils Robert. «Et il l'a fait à une époque où ce n'était pas à la mode, précise ce dernier. C'était l'époque où le mouvement souverainiste prenait naissance. Ce qui faisait partie du discours à ce moment-là, c'était de faire une distinction très claire entre la classe sociale qui parlait anglais et la classe sociale qui parlait français. Quand tu parlais anglais, tu étais un peu un traître. Alors mon père nous a imposé ça. Et je ne m'étais pas rendu compte à quel point, finalement, c'est un cadeau énorme qu'il m'a donné.»



Le parc des Braves

École des Saints-Martyrs-Canadiens

Grandir dans les deux langues

Chez les enfants Lepage, le quotidien se déployait dans les deux langues officielles: les plus vieux, adoptés dans l'est du pays, étudiaient en anglais, les plus jeunes en français. Une dualité qui se retrouvait également parmi les jeunes du voisinage, selon Robert Lepage. «Ma petite soeur et moi, on allait à l'école française, aux Saints-Martyrs-Canadiens, note-t-il. C'est sûr qu'on avait plus tendance à se tenir avec des amis francophones et mon grand frère et ma grande soeur avec des anglophones. Mais c'était quand même un mélange dans les rues de la Haute-Ville. Ce qui fait qu'à un moment donné, même si tu ne parlais pas la langue de l'autre, ça se pouvait que tu te trouves à jouer dans la même ruelle avec les mêmes jouets.»

Robert Lepage se souvient d'ailleurs d'avoir été conscient, dans une certaine mesure, des divisions politiques qui naissaient dans les années 60. «J'étais enfant, ma façon de comprendre les choses était naïve, en retrait, -observe-t-il. Mais j'étais très fasciné par tout ça. J'essayais de comprendre pourquoi, quand on est allé voir la reine d'Angleterre défiler en 1964 sur la Grande Allée, les gens s'étaient tourné le dos. Je me posais des questions. Le "Vive le Québec libre" de Charles de Gaulle, on a tous entendu ça. On a tous vu aussi l'écho que ç'a eu. Même dans notre famille, puisqu'on était une famille où les deux langues se parlaient de façon courante, je voyais les divisions et les tensions que ça pouvait créer.»

L'école Anne-Hébert

Parc des Braves

Pour sortir des ruelles...

Les jeux d'enfant de Robert Lepage se sont beaucoup déployés dans les ruelles du quartier Montcalm. «Il y avait une gang ici et un autre genre de gang dans l'autre ruelle. Tu choisissais... Il y avait des rivalités», illustre le dramaturge. S'il se souvient d'avoir construit dans la cour arrière du 887, avenue Murray une forêt avec les arbres de Noël jetés par les voisins - «L'hiver, c'était un immense banc de neige. On sculptait des villages, on faisait des routes, des cabanes...», relate-t-il -, Robert Lepage pouvait compter sur le parc des Braves, juste à côté, comme un terrain de jeu de prédilection. «C'est sûr qu'on allait souvent jouer là quand on était petits, confirme-t-il. On allait glisser l'hiver. Et c'est beaucoup là que les choses se passaient. Pour les trucs officiels à Québec, pour les défilés, c'est là qu'on se retrouvait.»

Devant la résidence de son enfance

École Anne-Hébert



Le premier coup de coeur théâtral

Son coup de foudre pour le théâtre, Robert Lepage dit l'avoir eu vers l'âge de 14 ans. Et c'est à un groupe de jeunes filles qu'il le doit. «Anne-Hébert, c'est devenu une école mixte, mais ce n'était pas le cas à l'époque, précise-t-il. La première pièce de théâtre que j'ai vue de toute ma vie, c'était à Anne-Hébert. Les filles jouaient En pièces détachées de Michel Tremblay. Elles jouaient les rôles de gars et les rôles de filles. Quand j'ai vu ça, j'ai su que c'est ce que je voulais faire dans la vie. Le premier coup de coeur, ç'a été là.»

Devant l'école Joseph-François-Perrault

Montcalm

«Une drôle de place»

Avec un père chauffeur de taxi et une mère au foyer, Robert Lepage décrit sa famille comme des gens «de la Basse-Ville qui habitaient en Haute-Ville». «Pour pouvoir se payer un appartement en Haute-Ville, fallait que tu sois peut-être pas middle class, mais pas loin, explique-t-il. Mon père avait été dans la marine, il avait une rente de vétéran. Avec ses deux salaires, il pouvait se payer cet appartement.»

Entre les foyers cossus et les logements plus modestes, deux classes se côtoyaient dans le quartier Montcalm des années 60, observe Robert Lepage. «C'était une drôle de place, estime l'homme de théâtre. Tout ce qui était en bas de ce qui est aujourd'hui René-Lévesque, c'était de grosses familles qui vivaient serrées dans des appartements. Et tout ce qui était au-dessus de ça, c'était de grosses maisons de riches. Il y avait beaucoup de parlementaires. Quand on allait jouer sur les plaines d'Abraham, il fallait passer sur le bout de notre rue qui était riche. Et un peu plus tard, quand j'étais adolescent, j'ai été camelot pour Le Soleil pendant plusieurs années. Ma run de Soleil, c'était dans le quartier plus riche.»

À l'école Joseph-François-Perrault

L'ADOLESCENCE: l'école Joseph-François-Perrault

«Une affaire de gangs»

Au moment de commencer l'école secondaire, Robert Lepage aurait souhaité fréquenter le Séminaire. Il avait les notes, il avait la volonté. Mais la porte s'est refermée devant lui. «Quand ma mère a appelé pour demander pourquoi ils m'avaient refusé, ils ont dit que c'est parce que mon père était chauffeur de taxi et qu'ils n'avaient pas de garantie qu'on pourrait payer pour les cinq prochaines années, -raconte-t-il. C'était comme ça dans ce temps-là.»

En essuyant ce refus, le jeune Lepage poursuit donc son cheminement dans le système public, plus précisément à Joseph-François-Perrault, où il a fait presque toutes ses études secondaires. L'homme de théâtre demeure d'ailleurs lié à l'établissement: il a présidé en 2012 les célébrations du 50e anniversaire de l'école et son visage orne le mur des célébrités, comme celui de ses collègues comédiens Guylaine Tremblay et Guillaume Perreault et de l'ancien athlète olympique Gino Brousseau. 



«C'était une école très ouverte et très représentative de la ville de Québec, note Robert Lepage. Tous les étudiants de Saint-Jean-Baptiste venaient ici, ceux du quartier Montcalm et de Vanier. Il y avait des gens du Cap-Blanc, de Saint-Roch. C'était vraiment représentatif de toutes les classes sociales de Québec.»

Robert Lepage se souvient du moment où Perrault est devenue mixte. «Il devait y avoir 2500 gars pour 8 filles! lance-t-il. Nous, on n'aimait pas ça parce que les huit filles avaient droit à toutes les toilettes d'un étage.» Il décrit ses années de secondaire comme une «belle période» de sa vie. «Bon, il y a eu des hauts et des bas, des incidents, toutes sortes de choses se sont passées», nuance l'artiste, qui voit dans ce passage obligé un «microcosme» de la société. «Les gens qui aiment le sport se tiennent ensemble, ceux qui aiment la culture ou la musique se tiennent ensemble, résume-t-il. C'est une affaire de gangs et c'est là que tu choisis ta gang. Tu développes ton intelligence, mais aussi plus que ça. Les Anglais appellent ça le wit. Tu développes ta ruse et c'est là que tu découvres ton don, aussi. C'est pour ça que c'est important.»

Impliqué dans le journal de l'école, Robert Lepage s'en donnait aussi à coeur joie derrière le micro de la radio étudiante, où il diffusait du rock progressif, dont il était particulièrement friand. 

«Je pense que c'était aussi lié au théâtre parce que le rock progressif était nécessairement théâtral. Dans les premiers shows de Genesis, Peter Gabriel portait toutes sortes de costumes. Il s'habillait en renard, en femme, en chevalier... Il y avait des effets pyrotechniques. Les chansons racontaient des histoires où il y avait des personnages. C'était l'époque du rock théâtral et indirectement, c'était le théâtre qui m'intéressait à travers le rock», dépeint Lepage, qui était loin de se douter à cette époque qu'il travaillerait un jour avec Peter Gabriel. «C'est la vie qui a fait qu'on s'est retrouvé à un moment dans la même ville, ajoute-t-il. Ça adonnait qu'il avait entendu parler de moi, il est venu voir mon spectacle à Londres, il a voulu me rencontrer et que je fasse la mise en scène de son spectacle. C'est comme s'il avait reconnu son influence dans mon travail sans savoir que c'était son influence.»

Avenue Cartier

Théâtre de l'école Joseph-François-Perrault

Premiers pas sur les planches

Robert Lepage a vécu son baptême des planches en quatrième secondaire, à l'école Joseph-François-Perrault. Presque malgré lui, pourrions-nous ajouter... Attiré par le théâtre, mais figé par sa timidité, il a repoussé jusqu'au dernier moment son inscription au cours d'art dramatique. Et il a répété une pièce pendant des mois avec la ferme intention de ne pas se pointer à la première. Heureusement pour lui, sa soeur Lynda, maintenant son agente, voyait les choses autrement.

«J'étais chez nous ce soir-là et ma soeur a dit: "Voyons, qu'est-ce que tu fais là?" raconte l'homme de théâtre. Je lui ai répondu que je n'y allais pas, que j'allais dire que je suis malade. C'est elle qui a appelé un taxi, qui m'a forcé, qui m'a tiré, qui m'a accompagné dans ça. Je lui dois ça.»

Assis sur la petite scène qui continue d'accueillir les comédiens en herbe de l'école secondaire du chemin Sainte-Foy, Robert Lepage s'étonne un peu de la retrouver presque inchangée. «Quoique dans mon souvenir, elle était énorme! J'avais l'impression que c'était Louis-Fréchette ou Wilfrid-Pelletier!» rigole-t-il.

Au programme de la troupe du jeune Lepage cette année-là: Le p'tit bonheur, un collage de textes de Félix Leclerc dans lequel il devait comme ses camarades interpréter deux rôles. Lors de notre entretien, fin août, Robert Lepage s'était justement replongé dans l'univers de Félix puisqu'il devait tourner le jour suivant quelques scènes du film Pieds nus dans l'aube de Francis Leclerc. Une boucle qui se boucle, en somme...



«Oui, c'est très étrange», a reconnu l'artiste, qui dit avoir trouvé dans ses premières expériences théâtrales certains points d'ancrage toujours présents dans sa pratique. Il cite un intérêt déjà marqué pour la scénographie et les enseignements du professeur Lionel de la Guimbretière, qui se plaisait à répéter aux étudiants mécontents ou paniqués que «le théâtre est un jeu». «Comme s'il ne fallait pas prendre ça trop au sérieux, explique Lepage. Je le cite beaucoup parce que c'est une chose sur laquelle j'insiste avec les acteurs, avec le public et avec la critique. Parce qu'on peut oublier que c'est d'abord et avant tout un jeu...»

Le créateur retient encore davantage le premier contact avec une émotion vertigineuse pour laquelle il a instantanément développé une dépendance. «Ça part d'un trac fou qui te paralyse, qui t'empêche même de vouloir te présenter à ta première représentation, décrit-il. Mais une minute avant, c'est comme s'il y avait une méga-détente et que tu réalisais que finalement, ce n'est pas la fin du monde. Tu entres sur scène avec une détente que tu n'as même pas dans la vie. Et cette détente-là déclenche toutes sortes de choses que tu n'aurais pas faites en répétition. Je suis devenu addict à cette chose-là, à ce rush d'adrénaline qui vient avant et à cette espèce de laisser-aller où tu deviens à l'affût de tout. Dès que j'y ai goûté, j'ai voulu recommencer.»

Le Conservatoire

Avenue Cartier

Des récrés arrosées

De son passage à l'école Joseph-François-Perrault, Robert Lepage se souvient certes de ses cours, mais aussi de ce qu'il faisait entre ceux-ci... Avec l'avenue Cartier juste à côté, les récrés pouvaient parfois être arrosées - et allongées! - pour les ados du coin. 

«On avait 14-15 ans et les bars ne demandaient pas nos cartes. On était tout le temps dans les bars. Chaque fois qu'il y avait une activité sportive ou culturelle, on allait finir ça sur Cartier», confirme l'homme de théâtre, qui se souvient d'avoir vu la fête interrompue par la directrice de la vie étudiante de l'époque, Diane Lapierre. «Elle disait : "Toi, Robert Lepage, tu as un cours de géographie en ce moment. T'as pas d'affaire ici"», raconte le comédien en riant. 

Jointe au téléphone, Mme Lapierre rigole encore plus fort lorsqu'on lui répète l'anecdote. «Il exagère peut-être un peu!» lance la directrice du choeur V'là l'bon vent. Elle se souvient bien d'avoir pris des élèves en flagrant délit alors qu'elle donnait des entrevues pour sa troupe dans les établissements du centre-ville, mais pas d'avoir fait la chasse aux abonnés à l'école buissonnière. 

Le souvenir que l'ancienne directrice garde de Robert Lepage est celui d'un élève plutôt silencieux - sauf dans ses cours de théâtre -, qui pouvait se montrer plus intéressé par ses lectures personnelles que par ce qui se disait en classe. «Il s'installait dans un coin avec un livre... C'est sûr que certains enseignants avaient envie de le sortir, raconte Mme Lapierre. Il a une forme de génie et les gens qui ont du génie, ils ne suivent pas les lignes directrices. Il était déjà comme ça.»

Robert Lepage devant la maquette du 887, avenue Murray, l'immeuble au centre de la pièce <i>887</i>

Conservatoire d'art dramatique de Québec

Le grand pari

Après deux années de théâtre à l'école secondaire, Robert Lepage n'a eu qu'une idée en tête : faire ses classes au Conservatoire. Il s'y est inscrit même s'il n'avait pas encore l'âge requis, même s'il fallait renoncer à ses examens du ministère - le stage du Conservatoire se tenait la même semaine - et du coup, à l'obtention de son diplôme. 

«J'avais 17 ans et il fallait avoir 18 ans. Ils n'ont pas dû bien regarder sur le formulaire parce qu'ils m'ont pris! s'esclaffe-t-il. Mais c'était vraiment un gros gamble. Je m'attendais à me présenter une première année, à être refusé et à être obligé de recommencer mon secondaire V parce que je ne pouvais pas juste refaire les examens... Mais ça m'aurait permis de faire une autre année de théâtre à l'école Perrault avec mes amis. Donc je n'étais pas pessimiste complètement.»

L'exposition <i>La bibliothèque, la nuit</i> se fait en immersion 360 degrés, avec un casque de réalité virtuelle. Le visiteur peut alors entrer dans 10 bibliothèques réelles et imaginaires à travers le monde, la nuit.

887, les joies de l'autofiction

Si 887 est sans doute la pièce de Robert Lepage qui nous amène le plus près de sa véritable histoire, reste que certains éléments ont, selon ses dires, été «arrangés avec le gars des vues». L'auteur, metteur en scène et comédien a mordu à belles dents dans cet exercice d'autofiction. Et il s'est pris au jeu. 

«C'est autobiographique, c'est basé sur des choses très, très vraies. Mais, en même temps, il y a l'aspect fiction qui permet d'arrondir les coins, de ne pas trop se révéler tout en se révélant... Et de raconter une bonne histoire. La seule chose sur laquelle on ne peut pas tricher, c'est tout le paysage politique ou historique. Mais, dans l'histoire familiale, c'est arrangé un peu avec le gars des vues. J'ai découvert une forme de récit qui est très permissive.»

Lepage gomme ainsi les autres adresses où il a vécu pendant les années couvertes par la pièce - la famille a aussi habité sur Lock-well et sur Brown - et se permet de relocaliser au moins un illustre voisin. «Johnny Farago, il habitait juste en face de chez nous sur la rue Lockwell, ajoute le dramaturge. C'était un ami de mon frère, il imitait Elvis et tout ça. Pour le show, je l'ai pris et je l'ai mis dans le bloc [sur Murray]. Toute l'histoire est vraie... Sauf qu'il n'a jamais habité au 887.»

Bien ancré dans la capitale et truffé de référence à l'histoire d'ici, le spectacle a d'abord été présenté devant un public européen. Une situation qui a forcé Robert Lepage à changer un peu ses habitudes de création. «C'était particulier parce que ça oblige à l'écrire plus, explique-t-il. Tu comptes moins sur ton don d'improvisateur et plus sur ton don d'écriture. Quand tu joues pour des Français, le choix des mots devient plus important que si tu le joues chez vous. J'étais camelot pour Le Soleil. Mais le mot camelot en France, c'est quelqu'un qui trafique de la camelote. Tu te retrouves dans une situation où tu deviens obsédé par être compris. Mais en même temps, ce que ça a de bien, c'est que très tôt, tu veux raconter des choses qui sont universelles.»

Alors que 887 se posera mardi au Grand Théâtre - sa version imprimée arrive simultanément en librairie -, Robert Lepage s'attend à entendre davantage de réactions aux détails. «En général, partout dans le monde, les gens réagissent aux mêmes endroits, indique-t-il. Sauf qu'en jouant à Montréal, on a vu à quel point c'est local. Et en arrivant à Québec, ça va être encore plus local parce que ce que tu décris, les gens le connaissent à la lettre. Il y a comme une autre couche qui s'ajoute.»

887

La bibliothèque, la nuit, une histoire d'amitié

L'amitié entre Alberto Manguel et Robert Lepage a occupé une grande part dans la naissance de l'aventure multimédia La bibliothèque, la nuit, qui sera présentée cet automne dans la capitale. L'auteur d'Une histoire de lecture a accepté de céder les droits de son livre pour l'exposition à une seule condition : que ce soit le réputé créateur de Québec qui en soit le concepteur.

Les deux hommes se sont connus au début des années 80, avant que Manguel ne devienne une «référence et une autorité dans le monde littéraire mondial». L'Argentin vient de s'établir au pays, où il collabore, entre autres, à la revue culturelle Saturday Night et à d'autres publications. «On était de super amis quand il vivait à Toronto. La vie nous a séparés», constate Robert Lepage.

Mais leurs carrières parallèles ont cru de façon exponentielle. Le Néo-Canadien est devenu une référence mondiale en littérature; Lepage, l'artiste multidisciplinaire que s'arrachent toutes les compagnies de théâtre et d'opéra aux quatre coins de la planète.

Puis il y a eu cette demande de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) à Manguel pour l'utilisation de son essai La bibliothèque, la nuit à l'occasion du 10e anniversaire de la Grande Bibliothèque, à Montréal. L'anthologiste se tourne tout naturellement vers son ami, perdu de vue, mais pas oublié.

«C'est un drôle de hasard que ce projet nous ait réunis», explique Robert Lepage. D'autant qu'il n'est pas un lecteur avide. Son enfance est peuplée de BD et de «beaucoup de télévision». «Ça a pris un temps avant que je m'intéresse à la littérature, à l'art d'écrire.» Même de nos jours, il se fie beaucoup aux suggestions de gens de confiance - dont Manguel - pour le guider dans ses choix. «Je n'ai pas une très grande culture littéraire», avoue-t-il.

N'empêche. Il a mis son talent en arts visuels au service des mots de Manguel pour créer une oeuvre unique. Québec aura droit à une version augmentée de l'exposition, grâce à la touche du Musée de la civilisation, qui en profitera pour exposer un florilège de livres rares de la bibliothèque du Séminaire de Québec, qui sera récréée pour l'occasion

L'expo originelle est composée d'une visite virtuelle, en immersion 360 degrés, de 10 bibliothèques réelles et imaginaires (dont celle du capitaine Nemo) à travers le monde, la nuit. Lepage a voulu incarner les idées du livre du même nom de Manguel. 

Pour avoir vu La bibliothèque, la nuit à Montréal, le résultat est déroutant. Le visiteur pénètre d'abord dans la bibliothèque de l'auteur d'Une histoire de la lecture. Après une courte mise en contexte, il est invité dans une immense pièce représentant une forêt, remplie de tables et de chaises pivotantes. Il chausse alors lunettes et casque de vision pour commencer son exploration sensorielle.

Au gré de son inspiration, il visite les bibliothèques d'Alexandrie, du Congrès à Washington, du parlement canadien et même celle du capitaine Nemo. Dans chaque lieu, des personnages grandeur nature servent de guide. 

Mais avant, Robert Lepage sera réuni avec Lynda Beaulieu, sa soeur et agente, pour une classe de maître au Festival de cinéma de la ville de Québec, le 21 septembre, à 15h.

La bibliothèque, la nuit sera présentée du 13 octobre au 2 avril 2017, au Musée de la civilisation.  Éric Moreault