Oui, il y a des gens, et même pas mal, qui pensent à tout ça. Tenez : dès le mois de mars dernier, le magazine spécialisé Architectural Digest abordait cette question précise, évoquant toutes sortes de changements possibles à venir, notamment pour minimiser les contacts surfaces-mains. Il peut s’agir de portes automatiques, comme M. Foucher le mentionne, mais aussi d’ascenseurs à commande vocale ou de toilettes publiques sans porte (l’intérieur est alors caché par deux pans de mur décalés). Ces solutions existent déjà, mais sont sans doute appelées à se répandre davantage.
Et il n’est pas étonnant, au fond, que des architectes se penchent là-dessus. Comme le dit André Potvin, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval, «par essence l’architecture, c’est la science du corps en mouvement dans l’espace et dans le temps [...] et la pandémie est venue jouer là-dedans, par exemple avec la règle du 2 mètres».
Il est encore trop tôt pour dire quels changements permanents la pandémie aura apporté à l’architecture, mais on peut déjà raisonnablement penser que le télé-travail est là pour rester, poursuit M. Potvin. Ce qui va immanquablement marquer l’architecture et l’urbanisme — besoin d’une pièce de plus dans les logements pour se faire un bureau, demande réduite pour les tours à bureau, possiblement moins de déplacements quotidiens dans les villes, etc.
Or, d’autres aspects de l’architecture, qui sont moins directement liés à la transmission des maladies, seront eux aussi peut-être transformés. M. Potvin se spécialise en «architecture bioclimatique», qui consiste à concevoir des bâtiments de manière à recourir le plus possible à la lumière, au chauffage et à la ventilation naturelles et passives. Et à son avis, l’actuelle pandémie plaide pour ce type de bâtiment, tout particulièrement du point de vue de la ventilation puisque le virus se propage très facilement dans des espaces clos et mal aérés.
«Depuis 50 ans, on construit des bâtiments à aires profondes parce qu’on a accès à la ventilation mécanique. Ça, c’est peut-être appelé à changé», estime-t-il. Ainsi, une bâtisse faite de plusieurs ailes assez étroites va s’aérer beaucoup plus facilement qu’une autre qui aurait la forme d’un cube parce que, pour un même volume, la première offre plus de contact avec l’extérieur et parce que l’air frais n’a pas besoin de parcourir une aussi grande distance avant d’en atteindre le centre.
Fait intéressant, M. Potvin est membre du groupe de recherche Schola, qui a passé en revue toutes les écoles primaires du Québec afin de faire un «état des lieux» et d’aider à les améliorer. «Et on voit que notre parc d’écoles a de grandes qualités parce qu’il a en bonne partie été conçu à une époque où la ventilation mécanique n’était pas encore répandue. […] Mais dans bien des cas, on a condamné des fenêtres et perdu des systèmes très simples comme les vasistas [NDLR : partie ouvrable dans le haut des fenêtres ou des portes]. On a souvent condamné le haut des fenêtres et abaissé les plafonds pour faire passer la ventilation mécanique, mais nos travaux montrent que la plupart de ces bâtiments-là pourraient être naturellement ventilés.»
La même chose vaut d’ailleurs pour les CHSLD, dont la mauvaise ventilation a empiré l’épidémie. «Beaucoup d’entre eux sont d’anciens bâtiments étroits, construits en long, mais qui dans bien des cas ont perdu leur ventilation naturelle», déplore M. Potvin.
«Mon but n’est pas de condamner la ventilation mécanique, insiste-t-il. […Celle-ci] est utile, et même nécessaire en hiver quand les bâtiments doivent être fermés. [...] Mais il faut d’abord privilégier les stratégies naturelles et passive et le problème, dans ce domaine, c’est qu’on a tendance à penser tout de suite aux solutions technologiques.»
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