La crevette nordique et les stades

Les Anglais sont les plus grands consommateurs de crevette nordique en Europe et les stades de soccer constituent de grands lieux de dégustation du petit crustacé.

CARLETON — La pandémie de COVID-19 affecte durement la pêche à la crevette nordique cette année au Québec. Les inventaires de produits invendus transformés en 2019 sont encore importants et l’un des facteurs expliquant la faiblesse des ventes, c’est l’absence de matchs de soccer dans les grands stades du Royaume-Uni!


Les Anglais sont les plus grands consommateurs de crevette nordique en Europe et les stades de soccer constituent de grands lieux de dégustation du petit crustacé, souligne Patrice Élément, directeur de l’Office des pêcheurs de crevette de la ville de Gaspé.

«C’est presque aussi populaire que les hot-dogs dans les stades d’Amérique du Nord. Les amateurs de tennis de Wimbledon mangent des fraises à la crème, et les amateurs de soccer dans les stades mangent des sandwichs aux crevettes, mais ces stades sont fermés depuis le début de la pandémie», explique M. Élément.

Les deux tiers des crevettes nordiques transformées dans les usines québécoises sont exportés. Le marché européen prend beaucoup de place pour ce produit, infiniment plus que pour les autres crustacés comme le crabe des neiges et le homard.

Mis à part trois bateaux de pêche ayant souvent la capacité de transformer la crevette à bord, la quarantaine de crevettiers québécois sont amarrés à quai depuis le début de la saison, qui débute habituellement le 1er avril.

Les pêcheurs, qui ont obtenu 1,42 $ la livre en moyenne en 2019, ont fait une offre de 1,02 $ la livre aux transformateurs, qui ont fait une contre-offre à 0,67 $. La Régie des marchés agricoles a tranché il y a quelques jours en faveur des pêcheurs, mais les usines ont décidé de ne pas débuter les achats, ce qui donnerait le feu vert à la capture et à la transformation. Une seconde période de négociation démarrera après le 30 juin.

«C’est le déconfinement en Europe qui va rétablir le prix de la crevette, en Angleterre et dans les pays scandinaves […] La crevette canadienne est vendue au Royaume-Uni et au Danemark. Les Danois en consomment beaucoup et ils revendent aussi beaucoup ailleurs», ajoute Patrice Élément.

Il note que la clé qui permettrait de désengorger les inventaires invendus des usines québécoises, surtout situées en Gaspésie, se trouve… au Québec.

Il se mange plus d’espèces de poisson exotique comme le tilapia que de crevette nordique pêchée au Québec! Il y a une grande méconnaissance des produits québécois comme la crevette.

«Les gens disent que c’est une question de prix. Il y a un autre enjeu. Sans chauvinisme, on peut dire que notre crevette est la meilleure, comparativement aux crevettes d’élevage d’Asie, par exemple. Sans insulter qui que ce soit, il faut dire que le citadin moyen ne sait pas quoi faire avec. Quand tu la fais chauffer, elle se ratatine. Avec du beurre à l’ail, on tue le goût», souligne Patrice Élément.

«Il manque de campagnes de promotion des produits marins québécois. Sur une boîte de macaroni, il y a une recette en arrière. Ça prend une forme d’éducation populaire, pour que les gens sachent quoi faire avec la crevette», conclut-il.

Sandra Gauthier, porte-parole de Fourchette bleue, un organisme voué à la mise en valeur des produits marins québécois, abonde dans le même sens; la solution de la crise actuelle de la crevette et des centaines emplois, près de 800, qui en dépendent, se situe au Québec.

«Selon les données de 2017, le Québec exporte 10 000 tonnes de crevettes par année, à partir de prises de 16 000 tonnes. Les Québécois importent 50 000 tonnes de crevettes d’Argentine et d’Asie! J’ai fait le calcul. Si on remplace un achat sur quatre de crevette importée par la crevette nordique, on règle le problème d’inventaires des usines. Les pêcheurs et les employés d’usines pourraient alors retourner au travail», signale Mme Gauthier.

Au sujet du prix, Sandra Gauthier rappelle que «c’est comme comparer du steak haché et du filet mignon. On a un produit haut de gamme et abordable, notre crevette nordique, et une crevette d’élevage importée, bourrée d’antibiotiques et d’hormones», tranche-t-elle.

À l’heure du Panier bleu, créé depuis le début de la pandémie pour mousser l’achat de produits québécois, Mme Gauthier déplore le vide, depuis des années, en ce qui a trait à une promotion soutenue des poissons, mollusques et crustacés d’ici.

«Il n’y a pas de campagne de promotion de produits marins. C’est le mandat de l’AQIP (Association québécoise de l’industrie de la pêche). C’est à eux de le faire, mais il n’y a pas de site qui fait la promotion des produits marins au Québec. C’est plus facile de vendre à un ou deux grossistes à l’étranger que de vendre à 150 poissonneries du Québec. Le dollar est un autre facteur», note-t-elle, à propos de la faiblesse de la devise canadienne comparativement au dollar américain, un facteur encourageant les exportations.

«Il faut un coup de barre et c’est l’occasion de le faire, cette pandémie. Les gens ne la trouvent pas, la crevette nordique. Ça prend “une couple de chefs”, une recette, et on a une solution. La fermeture des marchés étrangers fait mal, mais on a des usines avec des congélateurs pleins, dont les dirigeants n’ont jamais parlé de vendre sur les marchés québécois. Fourchette bleue est prête à la faire, cette campagne de promotion si l’industrie n’est pas intéressée» conclut Sandra Gauthier.