Deux éléments-clés sont absents des discours entourant cette question : les nombres d’utilisateurs et de tests. Singapour, souvent cité en exemple, a cessé d’utiliser ces applications. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas assez d’utilisateurs, ce qui rend une telle application pratiquement inutile. Ces applications ne dépistent pas la COVID-19, mais permettent seulement d’indiquer à leurs utilisateurs s’ils ont croisé le chemin d’un porteur déclaré. Avec les taux relativement bas de dépistage au Canada et la forte proportion de porteurs asymptomatiques non-détectés, on réalise que les utilisateurs de ces applications vont croiser davantage de porteurs asymptomatiques que de porteurs détectés. Ces utilisateurs se sentiront peut-être plus en sécurité, mais dans les faits, ils ne le seront pas davantage que les non-utilisateurs.
Dans le contexte d’un pays démocratique comme le Canada, cet enjeu du nombre d’utilisateurs amène donc la question suivante: si se fier à la bonne volonté des gens ne suffit pas pour avoir suffisamment d’utilisateurs, est-ce que ces applications devraient être obligatoires? L’affirmative nous amènerait directement dans un bourbier juridique entourant la droit à la vie privée, d’autant plus qu’une mesure portant atteinte à des droits constitutionnels doit démontrer son utilité et son efficacité. Comme nous venons de le voir, cette démonstration est vouée à l’échec ici.
On pourrait cependant dire qu’on augmente le dépistage au Canada. Effectivement, qu’arriverait-il si on teste plus largement ou même l’ensemble de la population à répétition? La précision de ces applications serait meilleure, mais en même temps, en aurait-on vraiment de besoin? En ayant un meilleur portrait de qui est porteur ou non du virus, pourquoi imposer une telle application à l’ensemble de la population pendant des mois, plutôt qu’une quarantaine de deux semaines aux porteurs de la COVID-19?
Il faut aussi s’attarder à l’impact de ces applications sur les populations vulnérables (les plus démunis, les personnes âgées, les Premières Nations, les immigrants, etc.) dans les pays occidentaux, puisqu’il est démontré que ces populations sont davantage touchées par la COVID-19. Il faut savoir que l’utilisation de téléphones intelligents dans les pays occidentaux est moins répandue au sein de ces populations que dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Ainsi, si les applications de traçage offrent un portrait dans ces pays plus juste des populations vulnérables, ce n’est pas le cas dans les pays occidentaux. Dans le cas du Canada, cela signifie que nous aurons des données encore plus incomplètes sur nos populations vulnérables qui ont déjà un risque plus élevé.
Alors, quelle solution si les applications de traçage ne sont pas une option? Simplement continuer ce que nous faisons déjà : renforcer les mesures sanitaires comme la distanciation physique, mener les enquêtes de contacts d’un cas testé positif, etc. Ces mesures ne sont pas aussi sexy que le recours à de nouvelles technologies, mais en attendant la découverte d’un vaccin, elles sont les meilleures options pour aplatir la courbe. D’ailleurs, plusieurs pays cités en exemple n’ont pas recours aux applications de traçage, mais bien aux mesures sanitaires énumérées ici.