Si, comme moi, vous avez récemment mis les pieds dans une pharmacie, vous avez probablement dû vous arrêter au point de contrôle, à l’entrée. Personnellement, j’y ai reconnu la sympathique commis même si son nez et sa bouche étaient protégés par un masque bleu et son visage, recouvert d’une visière.
J’ai répondu à son barrage de questions, à savoir si j’avais des symptômes de fièvre et de toux, de la difficulté à respirer, etc.
Une fois rassurée, elle m’a gentiment indiqué les flèches à suivre. «Et on vous demande de garder une distance de deux mètres s’il vous plaît», a-t-elle poliment répété au client derrière moi.
Karelle a également dû se rendre en pharmacie depuis le début de la pandémie. Elle aussi a été soumise à un interrogatoire serré en franchissant la porte.
«Excusez-moi madame, je ne comprends absolument rien. Je suis atteinte de surdité.»
La femme sous son masque a poursuivi l’énumération des directives, faisant fi de ce que Karelle venait de lui dire pourtant très clairement.
«Madame, ça ne sert à rien de continuer. Il faut que je voie vos lèvres.»
La préposée a accepté de baisser son masque sous la bouche en laissant également tomber ceci: «Je fais vraiment une exception parce que j’ai une visière. Normalement, je ne le ferais pas.»
Qu’on la comprenne bien, Karelle approuve le port du masque dans les lieux publics, particulièrement dans les endroits où la distanciation physique n’est pas toujours facile à gérer. Cette recommandation gouvernementale préoccupe néanmoins la jeune femme dont le handicap, invisible, entraîne déjà son lot d’obstacles et de stress. COVID-19 ou pas.
Karelle dépend de la lecture labiale pour communiquer.
«Ce n’est pas écrit sur mon visage que je suis sourde.»
Karelle Massy, 23 ans, vit à Québec depuis le début du confinement. Elle a décidé de retourner au domicile familial plutôt que de rester toute seule dans son petit deux pièces et demie, à Trois-Rivières, où elle étudie en marketing.
Je vous ai raconté son histoire l’année dernière. Karelle accumule les distinctions académiques malgré sa surdité. Elle venait de remporter le titre de «Meilleure communicatrice» lors d’une compétition provinciale réunissant des étudiants en administration.
Karelle est née avec un tératome sacro-coccygien, une tumeur qui a nécessité la prise d’une forte médication qui a provoqué des effets secondaires. Les cils de la cochlée ont été sérieusement endommagés. Le système auditif a été touché de façon irréversible.
Karelle porte des prothèses auditives, mais la lecture labiale est son principal outil de communication. Prise en charge dès son plus jeune âge en orthophonie, elle maîtrise l’art de mener une conversation, comme cette entrevue qu’elle m’accorde vis-à-vis son écran d’ordinateur.
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Karelle arrive à percevoir des sons, mais si on ne se place pas devant elle, la jeune femme peut difficilement deviner qu’on veut lui adresser la parole.
«Je vais tout simplement vous ignorer, mais c’est involontaire de ma part.»
Imaginons un peu son désarroi dans un lieu public où elle croise des gens masqués. Karelle sait pertinemment que cet accessoire qui l’empêche de lire sur les lèvres a pour but de la protéger contre le coronavirus.
Situation vraiment pas simple. «J’ai tendance à m’isoler…»
Karelle ajoute donc sa voix à ceux et celles qui demandent qu’en cette période de crise sanitaire, on accentue les efforts pour fabriquer des masques dotés d’une fenêtre transparente devant la bouche. Ces masques devraient être sécuritaires pour la population tout comme pour le personnel soignant appelé à intervenir auprès de personnes malentendantes et atteintes de COVID-19.
«Je souhaite EXACTEMENT la même chose!»
C’est Jérôme Blanchette qui réagit ainsi en prenant soin d’écrire «exactement» en majuscules.
Le jeune homme de 19 ans est né avec une surdité profonde. Il lit sur les lèvres et communique avec la langue des signes.
Je l’ai contacté durant sa pause du midi. Jérôme est emballeur dans une épicerie. Des clients, il en croise plusieurs dans une journée. Avec ou sans masque.
À l’instar de Karelle, Jérôme n’est pas contre l’idée, mais lui aussi est automatiquement privé de sa principale façon de communiquer.
«C’est un obstacle difficile à surmonter.»
Cette situation l’a angoissé au début. Il craignait que des clients portant le masque se montrent impatients ou même frustrés à son endroit, notamment lorsqu’il est concentré à mettre les produits dans les sacs d’épicerie.
À ce jour, tout le monde fait preuve de compréhension à son endroit. Par chance, m’écrit-il, la caissière avise la personne ayant un masque que l’emballeur ne l’entend pas. Au besoin, elle regarde celui-ci en lui répétant ce que le client vient de dire.
Un grand sourire apparaît aussitôt sur le visage de Jérôme qui s’exprime avec brio dans cette langue universelle.
Le jeune homme est un artiste en formation de la Caravane philanthrope, un projet mis sur pied par le clown humanitaire bien connu, Guillaume Vermette.
Jérôme avait commencé à faire des visites en CHSLD avant que la pandémie entraîne la suspension des activités du genre. Qu’à cela ne tienne, il a mis le chapeau et les bretelles de son personnage Léo l’Étoile pour nous transmettre avec sa bonne humeur contagieuse le message «Ça va bien aller».
C’est tout simple et ça fait du bien, à l’image du futur clown thérapeutique qui écrit, convaincu de ceci: «Un jour, je changerai le monde avec mon sourire!»