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Les combats d’Arruda et l’indépendance de la santé publique

«La tenue de conférences de presse quotidiennes et communes avec le premier ministre François Legault et le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a été utile jusqu’ici. Mais serait-il néanmoins bon, à terme, que M. Arruda et son équipe tiennent des points de presse de leur côté?» écrit notre chroniqueur.

CHRONIQUE / Il était plus facile pour le gouvernement Legault d’annoncer des initiatives plutôt consensuelles comme celle du Panier bleu visant à «faire rouler l’économie d’ici» que ça l’est de décliner son plan de déconfinement. La première initiative était sans risque, alors que le plan de réouverture, même s’il est graduel, est forcément à risque, puisqu’il en va de la santé des citoyens.


Prudent, François Legault prend bien soin de dire que son gouvernement s’appuie sur les experts en santé publique pour déterminer le calendrier et les modalités de la levée des restrictions. Il le faut.

Mais le risque existera toujours que les autorités de la santé publique soient elles-mêmes à un moment ou l’autre trop perméables à des pressions ou, à tout le moins, à des préoccupations politiques.

Je ne dis pas que c’est le cas actuellement. Mais il faut rappeler que le devoir de l’organisation de la santé publique devra toujours être de dire vraiment ce qu’elle croit, ainsi que ce qu’il faut et faudrait faire, selon elle.

C’était vrai pour le confinement et ça devra l’être pour la suite qui s’amorce, pour le déconfinement — s’il devait apparaître dans quelque temps que le goulot doive être resserré à nouveau après avoir été trop relâché.

À la santé publique de recommander; au gouvernement, ensuite, de prendre ses décisions en prenant en compte une multitude de variables et de facteurs. C’est sa responsabilité.

Ceci pour amener cela : la tenue de conférences de presse quotidiennes et communes avec le premier ministre François Legault et le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a été utile jusqu’ici. Mais serait-il néanmoins bon, à terme, que M. Arruda et son équipe tiennent des points de presse de leur côté?

Cela ne les empêcherait pas de parler au premier ministre et aux membres du gouvernement. Ni à tout ce beau monde de travailler ensemble, bien évidemment. Ce sera toujours impératif.

Mais l’indépendance de l’organisation de la santé publique par rapport aux éventuelles nécessités politiques ne serait-elle pas mieux préservée si la prise de parole de M. Arruda ne se faisait pas pour compléter la réponse de M. Legault et que celle du premier ministre ne se faisait pas pour élaborer, préciser ou nuancer celle du directeur?

L’indépendance de l’organisation serait-elle à tout le moins plus apparente avec des points de presse distincts? Très certainement.

Une interrogation en forme de bémol tout de même — car il faut tenir compte de tous les aspects avant de se forger une opinion : ce changement risquerait-il de rendre plus difficile l’obtention d’un consensus au sein de la population, puisque les propos de l’un ou de l’autre pourraient parfois être différents ou avoir des tonalités différentes? Le fonctionnement actuel a souvent donné du poids à leurs propos, il faut le reconnaître.

Quoi qu’il en soit, ces questions doivent maintenant se poser alors que l’on tente de passer à une autre étape. 

L’idée, au fond, serait de garantir toute l’indépendance d’esprit et de parole à l’organisation de la santé publique.

L’inévitable règle

À la santé publique de dire, de mettre en garde; au gouvernement de trancher. C’est l’inévitable règle.

On le sait, l’avis de la santé publique n’a pas fait le poids devant la promesse électorale de la Coalition avenir Québec de hausser de 18 à 21 ans l’âge légal pour consommer du cannabis. Ce n’était pas la première fois qu’une telle chose se produisait. Mais la prise de parole de la santé publique était au moins toujours indépendante même en apparence.

J’exposerai ici deux autres cas ayant concerné Horacio Arruda lui-même, deux autres combats qu’il a menés. À titre de directeur national de la santé publique et de sous-ministre adjoint, il avait recommandé il y a quelques années que le Québec relance la fluoration de l’eau sur le territoire québécois afin de réduire l’incidence de la carie dentaire. Il avait recommandé d’étudier la possibilité d’obliger les municipalités de plus de 5000 personnes à fluorer leur eau.

S’appuyant sur l’opinion publique, les différents gouvernements ont tour à tour dit non à sa recommandation.

Autre exemple : au printemps 2013, le gouvernement Marois a fait fi de l’avis de l’organisation de la santé publique dans un dossier concernant les aires de jeu des casinos. En commission parlementaire à l’Assemblée nationale, le directeur national de la santé publique était venu quelques jours plus tôt exprimer son opposition à la possibilité de permettre la consommation de boissons alcoolisées aux tables de jeu et devant les machines à sous des casinos québécois. Jusque-là, ce n’était permis que dans leurs bars et restaurants.

Cette restriction figure parmi les meilleures pratiques, avait estimé Horacio Arruda. Mais le gouvernement avait conclu qu’il fallait accroître «la compétitivité des casinos québécois».

Enjeux plus grands

En ce qui a trait à la COVID-19, les enjeux sont autrement plus grands. Voilà pourquoi le gouvernement Legault doit le plus possible être au diapason des experts de la santé publique.

Mais il faut aussi, comme préalable, que cette organisation conserve en tout temps son indépendance de dire ce qu’elle veut dire, comment le dire et le dire quand elle le veut.

Voilà pourquoi on peut désormais au moins se demander si cet objectif ne serait pas mieux servi par des points de presse distincts de ses représentants.