Travailleuses des services de garde d’urgence: «les grandes oubliées de la pandémie», dénonce une éducatrice

La CSQ, la CSN et la FTQ déplorent que les services de garde d’urgence ne fassent encore l’objet d’aucune forme de compensation financière.

Les travailleuses des services de garde d’urgence, où au moins 15 cas de COVID-19 ont été rapportés depuis le début de la crise sanitaire, assument leurs responsabilités sans compensation financière supplémentaire, avec la crainte de contracter à leur tour la maladie et de contaminer leurs proches. C’est le cas d’Annick Côté, qui estime que ses consoeurs et elle sont «les grandes oubliées de la pandémie».


«J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve. Je vois les quarts de métier s’organiser pour la sécurité des employés, pour qu’ils n’aient pas de contact avec les collègues et les clients, pour que la distanciation sociale soit respectée. Aujourd’hui, on voit partout aux nouvelles le monde de la construction avec des masques N95 et des visières [...] Moi, je suis «nue» au travail, collée sur des enfants qui me toussent au visage, morvent sur mes vêtements, éternue dans l’air ambiant», dénonce dans une publication Facebook devenue virale Annick Côté, qui travaille dans un service de garde d’urgence de Chicoutimi-Nord. 

«On me dit que de porter un masque ne me protégerait pas de toute façon, que porter une visière ferait peur aux enfants, et [qu’] on n’est pas pour exclure un enfant qui tousse un peu ou coule du nez. […] Plus ça avance, plus nos conditions empirent, parce que nous devons prendre de plus en plus d’enfants», expose l’éducatrice, tout en soulignant qu’on peut difficilement attendre des jeunes enfants qu’ils respectent les mesures de distanciation sociale, qu’ils toussent ou qu’ils éternuent dans leur coude. 

En entrevue au Soleil, mardi, Mme Côté a dit souhaiter avoir accès à de l’équipement de protection «quand on n’a pas le choix de travailler à moins de deux mètres des enfants». «Quand je change une couche, quand je nourris un bébé, quand j’habille un enfant, je n’ai pas le choix, je suis collée», rappelle-t-elle.

Moi, je suis «nue» au travail, collée sur des enfants qui me toussent au visage, morvent sur mes vêtements, éternue dans l’air ambiant

L’éducatrice juge incohérentes les mesures mises en place pour limiter la propagation du coronavirus dans les services de garde d’urgence. «Le parent ne doit pas entrer dans le CPE, mais il nous amène son enfant qui est peut-être porteur du virus, illustre-t-elle. Rendu là, quand bien même il entrerait pour déshabiller son enfant, ça ne changerait absolument rien!»

Découragée du «manque de respect et de considération» du gouvernement Legault pour les travailleuses des services de garde d’urgence, Annick Côté réclame «des mesures, et vite».

La présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ), Valérie Grenon, constate elle aussi qu’il y a «beaucoup d’entreprises qui rouvrent actuellement avec de grands protocoles de sécurité», mais que «pour nos intervenantes en CPE ou nos responsables de garde en milieu familial, il n’y a aucune protection supplémentaire». «Il n’y a pas de port de masque, aucune visière, et le gant est porté seulement en cas de nécessité […]. Il faut mettre en place des mesures pour assurer la santé et la sécurité de ces travailleuses-là qui sont au front depuis le début», réclame Mme Grenon.

Il faut, dit-elle, que des consignes et des protocoles clairs émanant de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) soit rapidement diffusés «pour qu’on puisse avoir les mêmes applications partout dans le réseau». 

«Là, on est dans des groupes [d’enfants] très restreints parce qu’on est dans des services de garde d’urgence, mais on parle d’une réouverture prochaine plus large. […] Chez les 0-5 ans, c’est très difficile les mesures de distanciation sociale. C’est quoi le protocole pour le changement de couche? C’est quoi le protocole pour se protéger et protéger les enfants pendant les repas?» illustre Valérie Grenon.

Selon la présidente de la FIPEQ, le temps presse, «parce qu’il y a des soldats qui vont tomber au front». Mme Grenon croit d’ailleurs qu’il y a davantage de cas de COVID-19 dans les services de garde d’urgence que les 15 confirmés récemment par le gouvernement Legault. 

«Le problème, c’est que nos intervenantes n’ont pas vraiment accès aux tests de dépistage. Dès qu’elles ont des symptômes ressemblant à ceux de la COVID-19, elles sont mises en isolement» mais ne sont pas testées, affirme Valérie Grenon, qui cite le cas d’au moins trois travailleuses suspectées d’avoir été infectées mais qui n’ont pas pu être testées. 

«Comme pour beaucoup de gens dans la population actuellement, les médecins leur disent en visioconférence : vous avez tous les symptômes, mettez-vous en isolement au moins pour 14 jours, mais il n’y a pas de tests pour elles parce qu’elles ne sont pas prioritaires. Elles devraient pourtant l’être, parce que si on n’a plus d’éducatrices ou de responsables de garde en milieu familial parce qu’elles sont toutes tombées au front, on ne répondra pas au besoin de réouverture et au besoin des parents de venir confier leur enfant pour pouvoir reprendre leur travail», souligne Mme Grenon. 

Habituellement, 350 000 enfants fréquentent le réseau des CPE et des services de garde subventionnés et en milieu familial. «Actuellement, on répartit 5000 enfants dans plusieurs services de garde d’urgence. Si on remplit nos milieux avec plus d’enfants, il y a un plus grand risque de contagion. D’où l’importance d’y aller tranquillement et intelligemment, de faire ça dans les règles de l’INSPQ, de tester davantage nos intervenantes pour bien cerner ce qui se passe sur le terrain et préparer la réouverture. Il faut aussi faire attention à nos travailleuses de plus de 60 ans, parce qu’on en a beaucoup», expose la présidente de la FIPEQ, ajoutant qu’il en va aussi de la santé et de la sécurité des tout-petits et de leurs familles. 

Tant la CSQ que la FTQ et la CSN réclament par ailleurs que le gouvernement reconnaisse l’engagement des travailleuses des services de garde d’urgence «qui mettent à risque leur santé» pour le bien commun en leur accordant une prime «qui leur revient de plein droit» pour l’exercice de leurs fonctions auprès des tout-petits.

Dans un communiqué diffusé mardi matin, les trois centrales syndicales rappellent que le gouvernement a instauré plusieurs primes pour le personnel déployé contre le virus et que «des compagnies privées (notamment des épiceries) ont mis en place, dès les premiers instants de la crise, des primes salariales pour reconnaître l’implication de leur personnel». 

La CSQ, la CSN et la FTQ déplorent que les services de garde d’urgence ne fassent encore l’objet d’aucune forme de compensation financière. Ces travailleuses sont pourtant, sur ordre du gouvernement, obligées d’être au poste, rappellent-elles.

«Le gouvernement a justifié l’octroi de ces compensations financières par les risques inhérents aux fonctions du personnel de la santé, particulièrement pour celles et ceux en contact direct avec les patients infectés. Doit-on rappeler qu’on rapporte déjà plusieurs cas de COVID-19 dans les services de garde d’urgence? Plus que de la reconnaissance, c’est une question d’équité et de dignité», estime la présidente de la CSQ, Sonia Ethier.