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Comment ça se passe, gang?

CHRONIQUE / Nathalie Bisson s’était levée bien avant le soleil ce jour-là, le 2 octobre 2011, il n’était pas encore levé quand elle a commencé à courir.


Devant elle, 42,2 kilomètres.

Il faisait encore noir, il faisait froid, elle était toute seule à prendre le départ hâtif du marathon de Rimouski, les bénévoles n’étaient même pas encore à leur poste. Cette course avait pour elle une signification toute particulière, neuf ans plus tôt, un médecin l’avait prévenue qu’elle ne marcherait bientôt plus.

La polyarthrite rhumatoïde sévère, elle avait 36 ans.

Je vous ai parlé de Nathalie à l’occasion, nous sommes devenues amies au fil du temps, j’ai d’ailleurs prêté ma plume à son histoire dans un livre, Le Pace du bonheur. Tout a commencé par un courriel qu’elle m’a envoyé en août 2016, le titre était «ti-bonheur pas compliqué», je l’ai invitée à aller prendre un café.

Elle m’avait raconté son histoire, comment elle avait commencé par faire 75 secondes dans le vide sur un vélo stationnaire, puis 90 secondes, jusqu’à ce qu’elle puisse partir une semaine chaque été pédaler quelques centaines de kilomètres sur la 132 vers l’est en se fixant des objectifs précis. 

C’est la clé, se fixer des objectifs.

Puis, elle avait commencé à courir, d’abord quatre minutes autour de chez elle et l’envie de mourir après.

Puis, un marathon.

Ce que j’aime de l’histoire de Nathalie, ce n’est pas tant celle d’une femme qui a une maladie et qui réussit à courir un marathon, il y en a plein des comme ça, et ça ne leur enlève absolument rien, au contraire. Ce que j’aime de son histoire, c’est qu’elle a jeté sa montre à la poubelle, qu’elle court pour elle, à son rythme.

Et elle a trouvé un nom pour ce qu’elle fait, c’est courir au Pace du bonheur, le «pace» (prononcé péce) étant le mot anglais pour cadence. Le «pace» est central dans le monde des coureurs, on se demande «c’est quoi ton pace?» pour savoir si on va plus ou moins vite et l’idée est d’aller toujours plus vite.

Pas Nathalie.

Et, maintenant, elle n’est plus seule comme ce matin d’octobre.

Elle a commencé par écrire sur Facebook, elle s’est fait un blogue, et de plus en plus de personnes ont eu le goût d’essayer de courir comme elle, à leur rythme, en trouvant le juste équilibre entre s’écouter et se dépasser. Elle a trouvé une formule pour résumer ce qu’elle propose : un pas à la fois, droit devant, jusqu’au bout.

Son rêve, lorsque j’ai écrit sur elle pour la première fois en 2016, c’était qu’il y ait un marathon au Pace du bonheur. Et voilà que son rêve va se réaliser, le marathon de Rimouski tiendra le 13 septembre le premier 42,2 kilomètres pour ceux qui ont juste le goût de franchir le fil d’arrivée.

J’ai parlé au coordonnateur de l’événement, Sébastien Bolduc, c’était au moment où le bruit courait qu’on allait annuler le marathon de Boston, c’était juste avant la fermeture des écoles, avant qu’on mette le Québec sur pause, avant qu’on soit confinés chez soi pour éviter de propager ce foutu virus.

Cette folle époque où on pouvait aller prendre un café.

Sébastien se souvient de Nathalie en 2011 quand elle était seule sur la ligne de départ, il l’a revue chaque année, soit pour le marathon ou le demi. «L’automne passé, elle m’a accroché, elle m’a demandé : «veux-tu faire un marathon au Pace du bonheur?» On a sauté sur l’idée à pieds joints!»

Restait la logistique. Dans la formule «départ hâtif», les coureurs étaient laissés à eux-mêmes, ils passaient devant les premiers points de ravitaillement avant que les bénévoles ne soient en poste. «Cette année, tout le monde sera au poste pour les participants qui prendront le départ à 7h.»

Ils seront combien?

Le marathon avait d’abord ouvert l’événement à 200 personnes, on trouvait même ça ambitieux, il n’a fallu que quelques heures pour afficher complet. On a monté ça à 500, ça n’a pas été bien long que toutes les places étaient prises. C’est, de toute l’histoire du marathon de Rimouski, le 42,2 kilomètres le plus couru.

Qui ne sera pas juste couru, parce que dans la Pace du bonheur, on peut marcher aussi. L’important, c’est d’arriver.

Mais avant d’arriver il faut s’entraîner, c’est bien beau de dire qu’on fait ça dans le bonheur, ça reste 42,2 kilomètres et ce n’est pas de la tarte. La Clinique du coureur a d’ailleurs préparé un plan d’entraînement qui commence par une «sortie» de six minutes en alternant la marche et la course.

Comme Nathalie au début.

Pour motiver les adeptes du Pace du bonheur, Nathalie avait déjà l’habitude de donner rendez-vous aux gens une fois de temps en temps à différents endroits de la ville, elle s’était dit qu’elle ferait pareil pour le marathon. Mais évidemment, elle ne peut pas, courir en groupes n’est pas possible.

C’est là que les réseaux sociaux entrent dans l’équation, réseaux qui sont plus sociaux que jamais, malgré tout le mal qu’on peut en dire.

Nathalie a créé un groupe virtuel pour ceux qui se sont inscrits au marathon, ils se «crinquent» chaque jour, s’encouragent à ne pas lâcher, parlent de leurs hauts et de leurs bas, parce que ce n’est pas nécessairement motivant de toujours voir que «youppi, j’ai réussi».

Des «j’en arrache», ça aide aussi.

Depuis quelques dimanches, à 11h, Nathalie organise une «course virtuelle», elle donne rendez-vous à qui le veut bien pour prendre le départ avec elle, chacun de son côté. Hier, il y avait des gens d’Abitibi, même quelqu’un à Bruxelles, c’est vous dire. Elle leur parle en direct quelques minutes au début, au milieu et à la fin.

Ils étaient plus de 250 sur la ligne de départ, elle leur a dit pour commencer «comment ça se passe, gang?»

J’ai trouvé ça beau de les imaginer, seuls et ensemble en même temps, un peu comme nous tous dans cette étrange galère. «Ce n’est pas parce qu’on est confinés qu’on est isolés et qu’on ne peut pas rester motivés», a dit Nathalie, qui vient de se remettre à courir après une pause, elle a dû cesser un médicament qu’elle prenait pour la polyarthrite.

Elle a laissé à son corps le temps de s’habituer, il s’est habitué.

C’est ce que nous avons à faire, nous devons nous donner le temps de nous habituer à vivre autrement. 

Chacun à notre rythme.