Réplique à Sylvain Charlebois sur le lait

Le professeur Charlebois nous a habitués aux demi-vérités, contradictions et parfois à quelques faussetés. Dans son récent texte Jeter du lait devrait être illégal, il atteint un sommet en la matière. Certains trouveront mon entrée en matière exagérée, mais à la lumière des failles relevées dans ses chroniques depuis 2016, ils pourront en juger par eux-mêmes. En voici une liste très partielle :


- le prix de la viande rouge au consommateur aurait pratiquement doublé en cinq ans (20-03-2017). FAUX : de 2012 à 2016, les prix du bœuf et du porc ont augmenté respectivement de 29,7 % et de 22,7 % (Stat Can – IPC). 

- le prix du lait à la ferme est trois fois plus élevé au Canada qu’ailleurs (25-07-2016). FAUX : depuis 10 ans, le prix du lait au Canada a été en moyenne de 1,61 fois le prix en Nouvelle-Zélande, la référence en compétitivité laitière. 

- le coût de production du lait est deux fois plus élevé au Canada qu’aux États-Unis (01-02-2018). FAUX : le coût de production avant la rémunération de l’exploitant était en 2016 de 56,37 $CAN/hl au Canada (CCL) contre 44,95 $CAN/hl aux États-Unis (USDA).

- «Un producteur laitier gagne un salaire annuel de 160 000 $» (25-08-2019). FAUX : 150 050 $ (Stat Can) desquels il faut déduire les amortissements, ce qui donne un revenu net de 57 000 $, non pas pour un seul producteur puisqu’il y a plus d’un exploitant par ferme. 

- les subventions versées aux producteurs laitiers européens « sont liées à des indicateurs de performance bien précis » (01-03-2017). FAUX : ce sont des subventions par hectare sans condition pour 70 % des montants.

- les importations de lait diafiltré en provenance des États-Unis permettent aux transformateurs laitiers canadiens d’importer de la matière grasse laitière (beurre) à moindre prix (5-05-2016 et 25-07-2016). FAUX : le lait diafiltré est un concentré de protéines qui ne contient pratiquement pas de matières grasses.

La dernière chronique (09-04-2020) du professeur Charlebois présente un concentré de telles inexactitudes. Il affirme « à ceux qui connaissent moins la gestion de l’offre que les producteurs reçoivent une compensation pour le lait produit, qu’il soit jeté ou non ». FAUX : les producteurs reçoivent un paiement du gouvernement fédéral en tant que mesure de compensation pour la part du marché canadien qu’ils ont perdue avec l’ouverture du marché accordée à l’Union européenne et aux pays du Partenariat transpacifique. Cela n’a rien à voir avec le fait que du lait ait dû être jeté ces dernières semaines à cause de la baisse drastique de la demande de produits laitiers en provenance de la restauration que provoque la crise tout à fait imprévisible du coronavirus. Il est aussi FAUX de prétendre que les producteurs «reçoivent tout de même une rémunération pour le lait jeté». Le lait payé au producteur est celui qui se retrouve dans des produits laitiers fabriqués par les transformateurs, donc uniquement le lait livré. Il est encore FAUX de prétendre que de jeter du lait permet «de maintenir les prix artificiellement élevés à la ferme». Au contraire, cela représente une perte de revenus pour les producteurs laitiers.

Il ajoute que les producteurs sont compensés pour les dons de produits qu’ils font aux banques alimentaires. Probablement que le professeur Charlebois n’a pas compris le sens du don. Les producteurs donnent le lait, ils ne sont donc pas payés pour ce lait, pas plus que les transformateurs qui fabriquent les produits laitiers qui seront donnés. Finalement, le professeur Charlebois conclut que les consommateurs et les contribuables «paient pour le lait jeté». Vous aurez compris que c’est totalement FAUX. 

Le professeur Charlebois peut certainement se prévaloir du concept de liberté académique cher au monde universitaire. Ce concept comporte, entre autres, la liberté de pensée, d’opinion et le droit de s’exprimer. Il existe une contrepartie à cette liberté : la rigueur intellectuelle. Sans cette rigueur, le professeur Charlebois ne fait pas œuvre utile dans le débat de société en contribuant à la diffusion de «fausses nouvelles». Peut-être qu’il croit que c’est en tant que chroniqueur qu’il peut se permettre ces raccourcis. Pourtant bon nombre de chroniqueurs économiques se soucient de l’exactitude des faits qu’ils rapportent et savent faire preuve de rigueur intellectuelle.