Chronique|

La pandémie et les projets de transports

Le Réseau de transport de la Capitale encaisse une baisse d’achalandage de 80 % depuis que Québec est en «pause».

CHRONIQUE / Quel sera l’impact de la pandémie sur les grands projets d’infrastructure de transport?


Dans ma chronique de samedi, j’ai évoqué l’hypothèse d’une augmentation du télétravail avec l’expérience acquise pendant la crise.

Cela signifierait moins de déplacements, moins de congestion et moins de besoins pour un troisième lien, ai-je suggéré. On pourrait avoir besoin de ces milliards de dollars pour payer la facture de la pandémie.  

Et le tramway? De s’indigner des lecteurs. 

«Les changements que vous envisagez rendront inutile le projet de tramway», m’a écrit l’un d’eux. 

Le tramway est en «parfaite opposition» avec le principe de distanciation physique recommandé en temps de pandémie, d’insister un autre.

On peut en effet se demander si la pandémie affectera la perception et la fréquentation future du transport en commun.

«Combien de temps la phobie et la peur vont-elles durer?» se demande le professeur Jean Dubé, de l’École supérieure d’aménagement du territoire de l’Université Laval. 

«Cela peut jouer en faveur de l’auto et de la banlieue», perçoit-il. «L’appui au troisième lien sera plus fort avec la phobie du transport en commun.»   

Cela vaut pour les autres transports collectifs et pour tous les lieux de rassemblement.

Le Réseau de transport de la Capitale (RTC), qui encaisse une baisse d’achalandage de 80 % depuis que Québec est en «pause», estime que la peur d’un impact négatif est une «question hypothétique».   

«Le RTC présentait de bons chiffres avant la crise. Avant d’appréhender un tel impact, il faudra documenter, mesurer et proposer des solutions pour contrer le phénomène, le cas échéant», explique la porte-parole du RTC.

Le retour à la vie «normale» sera sans doute progressif. Les craintes devraient s’estomper avec le temps. 

Si la mémoire collective fonctionnait pour le virus comme pour la politique, tout serait oublié dans six mois, mais on peut penser que ce sera plus long cette fois-ci.

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L’hypothèse d’une augmentation permanente du télétravail que j’évoquais samedi reste à démontrer. 

«Les gens ne sont pas tous bien installés à la maison. Le désir de se rasseoir et de se côtoyer» va ramener les gens au bureau, prévoit l’économiste Jean-Pierre Lessard de la firme-conseil Aviseo. 

Mais on verra plus de flexibilité des employeurs si quelqu’un a la grippe, croit-il.

Ou plus de «pression» pour que les employés malades travaillent de la maison, redoute Jean Dubé.

«Je doute que la congestion va se régler avec le télétravail. On va vite retrouver le même beat», prédit M. Dubé.

Il faudra alors se demander quel est le moyen le plus efficace pour réduire la congestion. Sa réponse est sans équivoque : le transport en commun. 

On parle par ailleurs de ralentissement économique. Ou pire, d’une récession. 

Ce n’est pas dans l’arsenal courant des gestionnaires de transport, mais c’est un des moyens les plus sûrs pour calmer la congestion. 

Celle-ci augmente en période de prospérité et s’atténue dans les périodes plus creuses lorsque moins de gens travaillent ou n’ont plus les moyens d’une deuxième ou troisième voiture par ménage.

Le transport en commun pourrait y retrouver son élan perdu.  

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Les investissements dans le transport collectif ont deux fois et demie plus d’impacts que ceux qui visent le transport en automobile, suggère une étude Secor menée pour la Chambre de commerce de Montréal. (Voir autre texte ci-dessous)

Le calcul date un peu (2010) mais ça n’a dû changer beaucoup, estime Jean-Pierre Lessard de la firme-conseil Aviseo.

C’est utile de l’avoir à l’esprit au moment où les gouvernements s’apprêtent à accélérer les projets d’infrastructures pour relancer l’économie au sortir de la pandémie. 

Mettre l’argent dans les projets de transports collectifs est plus payant que dans les projets routiers en terme de «valeur ajoutée» et de création d’emploi, indique l’étude. 

La logique voudrait qu’on privilégie ces projets.  

L’ennui est que les projets de transport collectif sont par nature de grands projets et qu’il y a une limite à pouvoir bousculer les choses. 

Il y a des étapes incompressibles dans la planification et l’approbation des grands projets. C’est vrai aussi des projets routiers. 

Voudrait-on devancer le troisième lien qu’on ne pourrait pas escamoter les études de sols, les forages préalables, les analyses économiques et enjeux techniques.

Compresser les évaluations environnementales ne serait pas très avisé non plus. On risquerait plus tard le regretter.  

Si l’objectif est de relancer rapidement l’économie, il est probable qu’on se tournera vers des projets routiers traditionnels plus petits qui ne commandent pas d’études ou d’expertises particulières. 

Cela fera travailler des entreprises locales plutôt que de gros bureaux ou consortiums. 

Avec la chute du prix du pétrole et de ses dérivés, l’asphalte n’aura jamais coûté si peu à produire. Les gouvernements voudront en dérouler un maximum, même si l’effet économique en est limité. 

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Où est le maire Labeaume, me demandent beaucoup de lecteurs. On ne le voit plus. Est-il malade?  

Pas que je sache. 

Depuis le 12 mars, M. Labeaume a assisté à deux séances du conseil et tenu une dizaine de points de presse. Comme il y a beaucoup parlé du virus, ses propos se sont un peu perdus dans le reste. 

Il y a aussi qu’une partie de la visibilité de M. Labeaume tenait à ses présences à des événements publics, inaugurations, annonces de programmes ou de projets. Tout cela est interrompu. 

Et puis il faut le reconnaître, les médias ont probablement moins d’intérêt ces jours-ci pour ce qui vient de la ville et du maire. 

La santé publique est surtout l’affaire des gouvernements et c’est beaucoup M. Legault, M. Arruda et Mme McCann qui occupent ces semaines-ci l’espace public. Ça en laisse moins pour les autres. 

Cela n’empêche pas le maire d’être au bureau et de travailler aux affaires de la Ville, comme on l’a vu cette semaine avec le programme d’aide pour les commerçants.

Rassurés? 

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LES MULTIPLES EFFETS D’UN TRAMWAY

Le Réseau de transport de la Capitale encaisse une baisse d’achalandage de 80 % depuis que Québec est en «pause».

Pourquoi les projets de transport collectif ont-ils plus d’effets que les projets routiers? Le tramway de Québec par exemple.

L’économiste Jean-Pierre Lessard, de la firme Aviseo avance plusieurs explications. 

1- Des dépenses municipales vont s’ajouter à celles du projet de transport. On pense aux trottoirs, passages, voies de circulation et réaménagements d’espaces publics dans le corridor du tram. Québec a prévu y consacrer 300 M$ (en plus de sa participation de 300 M$ au projet de base).

2- Des promoteurs privés vont investir dans le corridor du tram et à proximité des stations. Il ne s’agira pas toujours d’argent «neuf» certains vont vouloir s’ajuster aux nouveaux «standards» créés par le tramway.

3- Un tramway offrira à des citoyens la possibilité de renoncer à une voiture. Il y a là un gain individuel, que l’argent économisé pouvant être réinvesti ailleurs, notamment dans une plus grosse hypothèque.

4- Dans une auto, il ne reste rien au Québec, analyse M. Lessard. L’auto et l’essence qu’on met dedans viennent d’ailleurs. Seules les réparations mécaniques laissent de l’argent dans la communauté. Avec un tramway, même le matériel roulant peut être acheté localement. 

5- Le transport collectif est le meilleur moyen d’atténuer la congestion, ce qui se traduira par un gain de productivité pour tout le monde.

6- Le transport collectif permet de valoriser des terrains dans le corridor desservi et autour des stations.

7- Le tramway donne une certitude que le trajet ne changera pas, ce qui peut stimuler des investissements.

8- Un transport collectif qui permettrait de retirer des voitures des routes atténuerait l’usure des infrastructures routières. 

Le projet de tramway peut aussi contribuer à réduire les gaz à effet de serre, ce qui représente aussi un bénéfice collectif.

Pour être juste, il faudrait déduire de ces bénéfices les pertes financières, inconvénients et frustrations intangibles au plan monétaire pendant la dure du chantier.

Je n’ai pas vu d’étude récente qui fasse la somme précise de l’ensemble des effets économiques pouvant résulter du tramway. 

Le maire Labeaume devait se présenter devant la Chambre de commerce de Québec cette semaine pour parler des retombées du tramway. L’événement a bien sûr été remis. 

Étude troisième lien 

Le gouvernement Legault a par ailleurs commandé une étude économique sur les impacts d’un troisième lien. Le mandat initial a été élargi pour y inclure tout l’Est-du-Québec.

Outre les analyses habituelles sur les retombées pendant la construction et l’exploitation (modèle intersectoriel de l’Institut de la Statistique du Québec), on veut essayer de savoir quel sera l’impact du tunnel sur la localisation des personnes et des entreprises, sur le commerce, sur les milieux ruraux, les valeurs immobilières, la localisation de nouveaux quartiers, etc. 

Sur papier, on parle d’une étude ambitieuse, mais attendons les résultats.