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«Pourquoi dois-je être sacrifiée?»

CHRONIQUE / La ministre de la Santé Danielle McCann a parlé cette semaine des chirurgies pour les cancers qui n’auront pas lieu, des décisions de comités cliniques, de ces cas qui étaient dans «l’entre-deux», sur la ligne fine entre opérer ou reporter.


Christine est sur cette ligne. 

Pour elle, c’est la ligne «entre la vie et la mort».

Elle a appris le 4 décembre qu’elle était atteinte d’un cancer du sein, un type des plus agressifs, un cancer infiltrant particulièrement virulent. «En plus, j’ai une protéine qui est active et qui fait que ça alimente le cancer. Ça veut dire que le cancer se promène et se nourrit, il est très vivant.»

Une sale bête.

Elle a commencé ses traitements de chimiothérapie tout de suite après le diagnostic, il n’y avait pas de temps à perdre. Il fallait d’abord essayer de faire diminuer la masse puis, après le sixième traitement, procéder à une chirurgie pour enlever une partie du sein et des ganglions sous l’aisselle.

Elle a eu son sixième traitement le 26 mars et dans cette course contre le cancer, elle devait être opérée entre quatre et cinq semaines après, autour du 20 avril. «J’ai rencontré ma chirurgienne entre mon cinquième et mon sixième traitement, elle m’a expliqué comment ça allait se passer pour l’opération.»

Mardi, son téléphone a sonné.

Au bout du fil, la chirurgienne. «Elle m’a dit que je ne serais pas opérée, que toutes les opérations étaient annulées pendant la pandémie, que c’était une directive. La chirurgienne était sans mot, elle était ébranlée, elle m’a dit «je vais me battre pour toi, tu es un cas prioritaire».»

Pas assez visiblement pour ceux qui ont pris la décision de surseoir la chirurgie. «Dans mon cas, c’est un enjeu entre la survie et la non-survie. Je me questionne sur le plan éthique. Pourquoi dois-je être sacrifiée? Dans mon cas où la chirurgie devait faire une différence, j’ai l’impression de recevoir une sentence de mort du ministère.»

Elle a le vertige. «Je me sens sur le bord d’un précipice, je retiens mon souffle, je ne sais pas comment ça va se passer.»

Jusqu’ici, elle avait plutôt bien réussi à chasser les idées noires, à encaisser les coups et à subir les traitements en gardant le moral. «Depuis le début, je passe d’une étape à l’autre, je me disais que j’en avais pour un an, je me disais «ça va bien aller» même si je savais que ça n’allait pas être facile. Je n’avais pas perdu espoir.»

Là, oui. «Ça m’a jetée par terre, c’est comme si je me dis «est-ce que ce virus-là vient de signer mon arrêt de mort? La mort n’a jamais été aussi présente que maintenant dans mon esprit. C’est comme si un mur s’était écroulé, c’est comme si l’espoir avait disparu. Je me demande «est-ce qu’il y aura un «après»?»

Elle essaye, malgré tout, de «rester zen».

À 56 ans, en excellente condition physique, cette mère de deux grands enfants a toujours su que la partie n’était pas gagnée, mais que ses chances de survie, réelles, étaient plus grandes. «Chaque semaine qui passe augmente les risques que le cancer s’étende, qu’il se propage à d’autres organes.»

Cette semaine, on lui a prescrit deux nouveaux traitements, dont l’hormonothérapie, pour ralentir la progression de la maladie et pour tenter de neutraliser la protéine qui vient jouer les trouble-fête. «Le service d’oncologie essaye de trouver des alternatives pour éviter que ça empire, mais c’est la chirurgie qui enlève le cancer.»

Elle ne peut que croiser les doigts.

Jusqu’ici, les soins qu’elle a reçus à la Cité de la Santé de Laval ont été exemplaires. «Je tiens à dire que je suis traitée de façon extraordinaire, je n’ai rien à redire sur ça. Je n’ai rien contre l’hôpital, mais contre la situation. On n’arrête pas de dire à la télé qu’on a libéré des centaines de lits, et c’est tant mieux, mais ce sont des gens qui sont touchés. On peut se questionner sur comment les décisions sont prises. Avant, je passais d’une étape à l’autre, mais là, le couperet est tombé, il n’y a plus d’étapes.»

Lundi et mercredi, au cours du point de presse quotidien de 13h, la ministre de la Santé Danielle McCann a répété que 7000 lits ont été libérés partout au Québec pour se préparer à un éventuel afflux de personnes atteintes de la COVID-19. L’objectif étant, comme l’explique le premier ministre, «de ne pas arriver à une situation où on aurait à choisir entre qui on traite et qui on ne traite pas».

C’est ce qu’on fait maintenant, on a choisi que Christine ne serait pas opérée.

Même si c’est une question de survie.

Mercredi, la ministre a pourtant assuré que les chirurgies prioritaires devaient avoir lieu. «Alors moi, ce que je veux dire, surtout en oncologie, c’est que toutes ces situations-là sont bien examinées par un comité clinique. Et au niveau de l’oncologie, entre autres, il faut absolument continuer les traitements quand c’est prioritaire. Quand il n’y a pas d’impact au niveau de la santé de la personne, on peut attendre. Mais, s’il y a un impact, il faut continuer. […] C’est clair qu’il faut que ces traitements soient donnés et ces chirurgies soient faites quand elles sont prioritaires et quand il peut il y avoir un impact sur la santé de la personne.»

Quand il est question de l’évolution d’un cancer, surtout quand il est agressif comme celui de Christine, ça ressemble plutôt à jouer à la roulette russe.

En ajoutant des balles dans le barillet.