Italie: non, ce n’est pas la faute aux immigrants chinois

Une femme en attente de soins d'un organisme humanitaire à Rome. 

Q: «J’ai entendu dire que la raison principale de la catastrophe italienne vient des usines de vêtements là-bas. La Lombardie, la région la plus touchée, a plusieurs de ces usines qui emploient des Chinois et ceux-ci auraient migré avec leurs familles vers l’Italie. Les autorités italiennes auraient réagi trop tard… Pouvez-vous vérifier cet info ?», demande Jean Parent, de Québec.


R : À la suite de ma chronique de mardi («Pourquoi est-ce pire en Italie ?»), plusieurs lecteurs ont soulevé la possibilité que ce seraient des immigrants chinois qui seraient responsables de l’épidémie de COVID-19 qui frappe si durement l’Italie depuis quelques semaines. Cette idée-là circule aussi très largement sur le web par les temps qui courent. Alors il vaut la peine d’y revenir.

Quand on y regarde rapidement, on peut être tenté de faire un lien entre les ressortissants de l’Empire du Milieu vivant dans le nord de l’Italie — la principale communauté chinoise du pays se trouve à Milan — et l’épidémie actuelle, puisque le coronavirus est d’abord apparu en Chine. Cela «plaît à l’esprit», comme on dit. Mais quand on y pense plus sérieusement, on se rend vite compte que la présence de citoyens chinois en Italie, même s’ils sont nombreux (environ 300 000), n’implique pas forcément que ce sont eux qui ont «ramené» la COVID-19 en Lombardie. Après tout, plusieurs autres pays du monde accueillent également de forts contingents chinois sans souffrir autant que l’Italie — que l’on songe notamment à l’Allemagne, où vivent 200 000 ressortissants chinois, ou au Canada, qui compte environ 650 000 immigrants provenant de Chine continentale.

En outre, rien dans les enquêtes des autorités sanitaires italiennes ne permet de croire que la communauté chinoise de Lombardie serait en cause. Ainsi, dans un article du 21 février au sujet des 15 premiers cas rapportés dans le nord de l’Italie, l’agence de presse Reuters indiquait qu’«aucune des personnes infectées n’aurait voyagé en Chine».

On ignore qui fut la première personne à l’origine de l’éclosion dans le nord de l’Italie, et il est fort possible que nous ne le sachions jamais. Le premier patient connu dans cette région est un homme de 38 ans admis à l’hôpital le 20 février, mais pas moins de 36 autres cas ont été trouvés dans les 24 heures suivantes, ce qui suggère fortement que cet homme n’a pas «importé» la maladie en Italie, mais l’a contractée parce qu’elle y circulait déjà, rapportaient des médecins italiens dans le Journal of the American Medical Association.

Cependant, les éléments d’information dont on dispose pour l’instant sur l’origine de l’éclosion ne pointent pas vers la Chine, mais plutôt vers l’Allemagne, d’après une étude disponible sur le site medRxiv. Comme celle-ci n’est pas encore passée à travers le processus de révision scientifique, il faut considérer ses résultats avec prudence, mais elle fut menée par des gens sérieux, notamment le spécialiste des maladies infectieuses de l’Université de Milan Massimo Galli. 

Les auteurs ont analysé le génome du coronavirus de trois patients parmi les premiers qui furent traités en Italie — apparition des symptômes à la mi-février — et les ont comparés avec d’autres génomes de la COVID-19 dans le monde. Le lien de parenté le plus proche qu’ils ont trouvé est avec une souche qui circulait en Allemagne.

Ces données génétiques ne donnent pas le sens de la transmission, lit-on dans l’article, mais Dr Galli a déclaré à Reuters que «la séquence [génétique] la plus proche du début de cette branche [généalogique du virus], qui a probablement précédé les autres, est venue d’une personne qui a été infectée à Munich probablement entre le 19 et le 22 janvier».

Fait intéressant, il s’agit-là d’un cas qui avait déjà été décrit dans la littérature scientifique, au début mars dans le New England Journal of Medicine. C’est un homme d’affaire allemand dans la trentaine qui a développé des symptômes (fièvre, toux, mal de gorge, etc.) à partir du 24 janvier après avoir participé à des réunions avec une partenaire d’affaires de Shanghai au cours des jours précédents. La femme en question ne montrait à ce moment aucun symptôme de la maladie, et ce cas-là avait soulevé la possibilité (inquiétante) d’une transmission lors de l’incubation. On ignore comment cette souche-là se serait ensuite frayé un chemin jusqu’en Italie, mais il semble qu’elle serait d’abord passée par l’Allemagne.

Évidemment, le fait que cette femme d’affaires venait de Shanghai établit un lien avec la Chine — lien qui est de toute manière inévitable puisque le virus est apparu là-bas il y a à peine plus de trois mois. Mais tout cela montre bien que, jusqu’à preuve du contraire, la communauté chinoise de Lombardie est pointée du doigt bien injustement dans cette histoire.

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