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Pour une conservation adaptative

CHRONIQUE / Historiquement, la création des parcs nationaux de conservation a été motivée par la volonté de préserver des paysages exceptionnels ou des espèces rares qui occupaient un territoire donné. Le modèle classique de prise de décision relevait d’études scientifiques qui motivaient la valeur exceptionnelle du lieu à conserver. Ensuite, les gouvernements identifient des projets d’aires protégées, lesquels doivent passer à travers un mécanisme complexe, qui dure souvent des décennies, pour les soustraire par la loi à tout autre usage que la conservation, la recherche et l’éducation. Bref, établir une aire de conservation demande beaucoup d’efforts et fige la destinée d’un territoire et de ses ressources pour longtemps. Mais quelle est l’efficacité de figer dans l’espace une aire de conservation dans un contexte de changements climatiques ?


Les animaux et les plantes sont soumis aux conditions du climat. Ils doivent s’y adapter tout au long de leur vie et dans la mesure de leur capacité à migrer, ils ne vont pas rester dans un endroit où les conditions ne leur conviennent plus. Même si la loi définit les frontières géographiques d’une aire protégée, il est de notoriété publique que les organismes vivants ne se soumettent pas à la loi des hommes ! En plus, les législateurs n’ont jamais, jusqu’à maintenant, considéré les effets des changements climatiques dans la définition des territoires de conservation. On a créé des parcs de conservation en milieu terrestre depuis le 19e siècle et leurs limites ont rarement été changées, même si le climat local a augmenté de plus d’un degré Celsius depuis.

Il est devenu évident et impératif de créer des aires protégées en milieu marin aussi. C’est relativement facile de le faire dans les eaux nationales, mais comment faire en eaux internationales ?



Dans la revue Nature du 19 mars 2020, un consortium de chercheurs propose une approche originale pour localiser des aires de protection de la biodiversité marine en eaux internationales, et en particulier dans l’océan austral. L’océan austral fait le tour de l’Antarctique. La protection de la biodiversité y est particulièrement difficile alors que la pression de pêche – souvent illégale – y augmente constamment. On retrouve associés à l’océan austral des éléments uniques de la biodiversité mondiale, par exemple le manchot empereur, des albatros et le phoque-léopard. Le krill antarctique représente la base de la pyramide alimentaire de cet océan. En analysant les données recueillies entre 1991 et 2016, sur 17 espèces de prédateurs marins (4060 individus), les chercheurs proposent une nouvelle méthode pour déterminer des aires protégées de façon adaptative et dynamique. Au lieu de frontières fixes, ces aires seraient déterminées par l’abondance des prédateurs à sang chaud.

L’idée est séduisante. Si les prédateurs se rassemblent dans une zone particulière de façon prévisible, c’est parce qu’il y a une nourriture abondante, donc une biodiversité présumée plus intéressante. Du moins, les prédateurs sont l’indicateur d’un habitat particulièrement favorable pour leurs proies. Les mammifères et les oiseaux marins doivent respirer ; on peut donc les détecter plus facilement en surface.

Dans un contexte de changements climatiques, où les océans accumulent de plus en plus de chaleur, les organismes marins ont commencé à se déplacer. On pourrait donc établir des aires de conservation mobiles, du moins adaptatives, en suivant ce principe. C’est fort intéressant.

Pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose en milieu terrestre ? Ce serait malheureusement difficile. D’abord, les prédateurs se concentrent rarement. Par ailleurs, les habitats essentiels en milieu terrestre sont physiquement déterminés. Même si le climat change et que les espèces se déplacent, ce ne sera pas uniquement en fonction de la température, comme en milieu marin. En milieu terrestre, la solution réside probablement dans l’interconnexion.