Q «Je trouve très bien que l’entreprise de Québec Medicago prévoit être capable de produire un vaccin dans les 12 à 18 mois au lieu de plusieurs années. Cependant, et même si je comprends qu’il y a plusieurs étapes à franchir, ne serait-il pas possible de penser à une procédure encore plus rapide compte tenu de l’importance de la menace du nouveau coronavirus?» demande Marius Demers, de Québec.
R Il existe une règle fondamentale en médecine qui est si ancienne que, même de nos jours, on la voit encore souvent passer en latin : primum non nocere, deinde curare, «d’abord ne pas nuire, ensuite soigner». Et d’une certaine manière, c’est pour s’y conformer que non seulement les vaccins, mais aussi tous les médicaments, doivent passer à travers les mêmes étapes pour s’assurer : 1) qu’ils ne sont pas nocifs et 2) qu’ils sont efficaces.
On commence par des «tests précliniques» sur des animaux, afin de voir si le traitement a des effets négatifs sur des mammifères (comme nous). Ensuite viennent trois phases d’«essais cliniques» sur des humains. Dans une première phase, le traitement est administré (en doses d’abord infimes, puis ascendantes) à des adultes en santé afin de voir s’il est sécuritaire. Dans la phase 2, on tente de voir si le traitement peut avoir une quelconque efficacité. Puis s’il s’avère que le vaccin/médicament semble fonctionner, la phase 3 vient raffiner nos connaissances en déterminant si cet effet peut être utile dans un contexte clinique.
Il y a présentement beaucoup de pression qui s’exerce sur les chercheurs et les régulateurs dans le monde pour accélérer ce processus, qui prend typiquement plusieurs années, afin de sortir un vaccin contre la COVID-19 le plus rapidement possible. Medicago se dit prête à entamer les tests précliniques dès maintenant, et une équipe américaine a annoncé cette semaine que, grâce à des travaux antérieurs sur d’autres coronavirus (le SRAS de 2002 et le MERS de 2012), elle allait lancer dès ce printemps des essais de phase 1 pour un vaccin humain.
Mais cet empressement, si compréhensible qu’il soit, crée un certain malaise chez des scientifiques. Lundi dernier, sur le site de Nature, le virologue de l’Université Fudan (Shanghaï) Shibo Jiang avertissait des dangers qu’il y a à prendre des raccourcis avec les essais cliniques et même précliniques. «Ce n’est pas une perte de temps, écrit-il. Des travaux avec le SRAS ont montré des réponses immunitaires inquiétantes chez le furet et les macaques, mais pas chez la souris. De même, certains fragments de protéines [ndlr : certains vaccins sont à base de protéines ou de fragments de protéine] peuvent provoquer une réponse moins forte ou plus sécuritaire que d’autres, alors la chose sensée à faire est de les étudier chez l’animal avant l’être humain.»
En outre, on connaît des exemples d’essais de vaccins qui ont plutôt mal tourné — comme en 1966, quand des études sur un vaccin contre le virus respiratoire syncytial (une forme de rhume) ont mené à son abandon parce que certains des enfants vaccinés non seulement n’étaient pas immunisés, mais contractaient davantage le virus et faisaient une forme plus sévère de la maladie. Alors même s’il faut faire aussi vite que possible pour «sortir» un vaccin et/ou des traitements contre la COVID-19, la plupart des scientifiques parlent d’un horizon d’environ 18 mois parce qu’ils savent qu’il ne faut pas non plus perdre de vue que les étapes réglementaires en place existent pour de bonnes raisons.