Fermetures d’écoles et d’établissements publics, interdictions de grands rassemblements, annulation d’événements sportifs et culturels, isolement obligatoire des personnes atteintes et isolement préventif au retour d’un voyage à l’étranger ne sont que quelques exemples de ces récentes mesures d’éloignement social.
Ces mesures sont en contraste frappant avec celles adoptées depuis le début de l’épidémie de la COVID-19 et la raison est simple : nous sommes passés à une autre phase de notre lutte contre la COVID-19. La lutte contre une épidémie se déroule généralement en 4 phases et chaque phase poursuit un objectif précis (figure1).
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Au cours des derniers jours, le Québec, le Canada, et plusieurs autres pays sont passés de la phase 1 visant à freiner l’introduction du virus dans la population à la phase 2 visant à freiner la propagation du virus dans la population. Puisqu’aucun vaccin n’est disponible présentement pour prévenir la COVID-19, les mesures de prévention préconisées visent à réduire les contacts sociaux. Le succès de notre lutte contre la COVID-19 dépendra donc grandement de la vitesse et de l’intensité de la mise en place de ces mesures, et plus que tout, de notre solidarité et de notre adhésion à ces mesures d’éloignement social. Notre objectif et notre devoir présentement : gagner du temps et «aplatir» la courbe épidémique de la COVID-19.
En l’absence d’intervention de prévention, le nombre de cas augmenterait très rapidement sans qu’on ait le temps de prévoir les ressources nécessaires (figure 2 - zone rouge). Les premières mesures d’identification et d’isolement des cas provenant d’autres pays nous ont permis de retarder temporairement l’introduction du virus dans notre population (figure 2 – zone bleue).
Toutefois, la propagation du virus dans notre population semble maintenant inévitable et, sans intervention supplémentaire, la demande en soins de santé pourrait rapidement excéder la capacité de notre système de santé. On court alors le risque de ne pas pouvoir gérer adéquatement tous les cas de COVID-19 (en plus des autres maladies). Les diverses mesures d’éloignement social visent à aplatir la courbe épidémique et ainsi ralentir l’apparition quotidienne de nouveaux cas (figure 2 – zone verte), pour s’assurer de prendre en charge adéquatement tous les cas nécessitant des soins.
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La question qui demeure pour la majorité des gens : pourquoi prendre toutes ces mesures de prévention pour la COVID-19 ? C’est en comparant 3 facteurs épidémiologiques clés, le R0, le taux de létalité (nombre de décès parmi les cas identifiés) et la sévérité des symptômes de la COVID-19 avec ceux d’autres maladies infectieuses bien connues que les chercheurs et les autorités de santé publiques sont inquiets.
Le R0 d’un virus, ou son taux de reproduction de base, indique le nombre moyen de personnes qui seront infectées par une personne infectée. Lorsque le R0 est inférieur à 1, la transmission est limitée dans la population et le risque d’épidémie est contenu. Par contre, lorsque le R0 est supérieur à 1, l’infection se propage dans la population et peut causer une épidémie. En outre, plus le R0 est élevé, plus la transmission du virus est difficile à contrôler et plus les mesures doivent être intenses et soutenues pour réussir à contrôler l’épidémie (figure 3). On estime présentement que le R0 de la COVID-19 se situerait autour de 2,5 (entre 2 et 6). Ainsi, 1 personne infectée en infectera à son tour entre 2 et 3, en moyenne. Certaines personnes en infecteront beaucoup plus, d’autres moins. À titre comparatif, le R0 de la grippe saisonnière se situe autour de 1,2. La COVID-19 présente donc un potentiel de contagion considérablement plus élevé que la grippe saisonnière (figure 3).
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L’objectif des mesures de prévention et de contrôle de la COVID-19 est donc de diminuer le R0 sous le seuil critique de 1 afin de freiner l’épidémie. Pour ce faire, on doit savoir que les principaux facteurs qui influencent le R0 d’un virus sont : 1) le nombre de contacts avec des individus infectés, 2) la transmissibilité du virus et 3) la durée de la période infectieuse. Le seul moyen efficace dont nous disposons présentement pour réduire le R0 de la COVID-19 en dessous de 1 est la diminution des contacts avec des individus infectés. Toutefois, le travail de prévention est compliqué par le fait que certaines personnes pourraient transmettre le virus sans même avoir de symptômes. Cette caractéristique de la COVID-19 est différente du SRAS, qui se transmettait davantage par des personnes symptomatiques, et elle explique pourquoi l’isolement des personnes symptomatiques ne serait probablement pas suffisant pour freiner la propagation l’épidémie. Ainsi, le R0 élevé de la COVID-19 et la possibilité de transmission de cette maladie en l’absence de symptômes justifient la nécessité et l’importance des mesures d’éloignement social annoncées récemment.
Le taux de létalité, c’est-à-dire la proportion de décès parmi les cas détectés, est le deuxième facteur épidémiologique clé. Bien qu’il soit encore difficile d’avoir un estimé précis du taux de létalité, on l’estime présentement autour de 1 à 3%. Il augmente grandement avec l’âge et avec la présence de facteurs de risque tels que les maladies cardiaques ou pulmonaires, le diabète, ou le tabagisme. À titre comparatif, le taux de létalité de la grippe saisonnière est autour de 0,1%. Les taux de létalité estimés du COVID-19 varient également d’un pays à l’autre, selon leur capacité à identifier les cas et traiter adéquatement tous ceux qui nécessitent des soins. En période de surcharge des services de soins de santé, les ressources pourraient devenir insuffisantes pour traiter adéquatement tous les cas nécessitant des soins, augmentant ainsi le taux de létalité. C’est d’ailleurs le problème auquel est confrontée l’Italie présentement. Finalement, la sévérité des symptômes de la COVID-19, avec 15 à 20% des personnes atteintes qui ont des symptômes sévères nécessitant des soins, est le troisième facteur épidémiologique clé.
En résumé, les maladies infectieuses, dont la COVID-19, sont différentes des autres maladies : elles sont infectieuses. Pour cette raison, nos actions d’aujourd’hui pour freiner la propagation de cette maladie auront des répercussions dans plusieurs semaines et chaque action individuelle entraînera des répercussions sur toute notre collectivité, particulièrement pour la protection des personnes vulnérables. Il revient donc à chacun d’entre nous de rester calme et optimiste, de suivre les recommandations des autorités de santé publique et de contribuer à cet effort collectif pour freiner la pandémie de COVID-19.
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La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.
Groupe de recherche en modélisation mathématique des maladies infectieuses de l’Université Laval, Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval
Professeur Marc Brisson, PhD, Directeur du groupe de recherche Consultant pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et le US Centers for Disease Control (CDC)
Mélanie Drolet, PhD, Épidémiologiste
Jean-François Laprise, PhD, Guillaume Gingras, PhD, Dave Martin PhD, Modélisateurs mathématiques
Aurélie Godbout, MD, Étudiante à la maîtrise en épidémiologie
Norma Pérez, MSc, Épidémiologiste
Professeur Marie-Claude Boily, PhD
Imperial College, Londres, UK
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