Chronique|

Coronavirus: les anticorps des patients guéris peuvent-ils être utiles ?

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Comme il y a des gens qui guérissent du coronavirus, on peut dire sans crainte de se tromper qu’ils ont développé les anticorps nécessaires à cette guérison. Alors ne pourrait-on pas, à partir d’une analyse sanguine, identifier ces anticorps afin d’en faire soit un vaccin ou à tout le moins un médicament contre ce virus ?», demande Martin Paradis, de Saint-Martin-de-Beauce.


Les anticorps sont des protéines que le système immunitaire fabrique afin qu’ils «s’accrochent» à un pathogène (virus, bactérie, toxine) et le désactive. Alors techniquement, on ne peut pas fabriquer un vaccin à partir d’anticorps : les vaccins sont plutôt des microbes affaiblis ou morts, voire souvent des «morceaux» de microbe que l’on présente au système immunitaire afin qu’il apprenne à produire ses propres anticorps.

Maintenant, que se passerait-il si on injectait les anticorps de patients guéris du COVID19 à quelqu’un ? Si c’est une personne saine que l’on inocule, il ne se passera pas grand-chose — les anticorps lui conféreront une immunité temporaire qui s’estompera rapidement, à mesure qu’ils seront éliminés par l’organisme. Mais si c’est un malade atteint du coronavirus, alors… eh bien ça peut marcher, ça peut être un traitement efficace. D’ailleurs, pas plus tard que jeudi dernier, le quotidien chinois Global Times annonçait qu’un avion avait décollé de Shanghai à destination de Rome avec, à son bord, du personnel soignant et «31 tonnes de matériel médical, incluant du plasma de patients guéris du coronavirus, afin d’aider l’Italie à combattre la pandémie de COVID19». Le plasma est la partie liquide du sang, ce qu’il reste quand on a retiré du sang toutes les cellules (globules rouges et cellules immunitaires) et les plaquettes. Les anticorps font partie du plasma et combattront la maladie si on les injecte à quelqu’un.

Il n’est pas encore tout à fait acquis, notons-le, que cela donnera de bons résultats contre le coronavirus. Greg Poland, spécialiste américain des maladies infectieuses, notait récemment dans une entrevue au magazine médical StatNews que «nous avons seulement quelques rapports encourageants, mais anecdotiques provenant de Chine. Rien n’a encore été publié [dans la littérature scientifique]. Mais cela vaut certainement le coup d’essayer».

Il faut dire que la technique est loin d’être nouvelle. En fait, le tout premier Prix Nobel de médecine fut accordé en 1901 au chercheur allemand Emil von Behring pour avoir mis au point la «sérothérapie», soit le traitement avec le plasma (ou «sérum») de patients guéris. Dès 1890, il a démontré qu’on pouvait sauver des animaux de laboratoire de la diphtérie et du tétanos en leur inoculant le plasma d’autres animaux qui avaient survécu à ces maladies. Et une première application à l’humain est survenue l’année suivante, quand il traita avec succès un enfant atteint de diphtérie.

Au début du XXe siècle, la sérothérapie était déjà devenue un traitement relativement répandu. Mais la fabrication de sérum à grande échelle fut toujours un problème. Les rats de laboratoire étaient trop petits pour en produire suffisamment pour traiter un seul patient humain, si bien qu’on utilisait plutôt des chevaux. Mais même à ce compte, il était impossible d’obtenir des quantités vraiment importantes.

Par la suite, avec l’arrivée massive des antibiotiques à partir des années 1940, la sérothérapie a été plus ou moins délaissée en médecine. Les antibiotiques fonctionnaient tout aussi bien (et même mieux dans certains cas) et ils étaient, eux, plus disponibles, plus pratiques et moins chers.

Ce n’est que dans les années 1970 que l’on découvrit enfin un procédé industriel pour fabriquer des anticorps dits «monoclonaux» — c’est-à-dire tous identiques, à la différence des anticorps variés que contient le plasma. Mais, encore une fois, cela restait souvent très dispendieux et les quantités produites n’étaient pas si grandes.

En outre, c’étaient habituellement des souris que l’on infectait pour ensuite isoler leurs anticorps et les reproduire. Or, les anticorps des souris diffèrent des nôtres, si bien que le système immunitaire humain les reconnaît comme des corps étrangers et les attaque. À cause de cela, les anticorps de souris ont une «demi-vie» de 2 à 3 jours dans le corps humains — ce qui signifie que leur nombre diminue de moitié à tous les 2-3 jours, et cela réduit pas mal leur effet thérapeutique. Heureusement, on a fini par trouver des moyens de les «humaniser»  — suffisamment pour allonger leur demi-vie à 20-23 jours.

Si la thérapie par anticorps finit par être un outil de lutte contre le COVID-19, c’est probablement plus du côté de la fabrication industrielle d’anticorps monoclonaux que des injections de plasma que l’aide viendra. D’ailleurs, en plus du «candidat-vaccin» que Medicago a annoncé la semaine dernière et qui a beaucoup retenu l’attention des médias, l’entreprise biopharmaceutique a aussi indiqué qu’elle mis au point des anticorps contre le COVID-19.

Medicago utilise des plantes qu’elle parvient à «manipuler» de manière à leur faire produire de grandes quantités de «protéines complexes», comme les anticorps et les protéines virales qui servent de vaccin, explique Nathalie Charland, directrice des affaires scientifiques et médicales de l’entreprise. Les feuilles sont ensuite récoltées et les anticorps sont isolés et purifiés.

Si tout se passe bien dans les essais cliniques à venir (ce qui n’est jamais gagné d’avance, notons-le), ces anticorps pourront éventuellement servir de traitement ou, à tout le moins, de petit «coup de pouce» pour certains patients.

«C’est ce qui avait été fait [avec le plasma de convalescents] pour Ebola : l’idée, c’est que même si on n’est pas capable d’avoir des anticorps efficaces à 100% ou en quantité suffisante pour éliminer complètement le virus chez un patient, si on peut au moins réduire la charge virale [ndlr : la «dose» de virus en circulation dans l’organisme], c’est mieux que rien, ça peut améliorer les chances de guérison», dit Mme Charland.

Une histoire à suivre, donc…

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