Avant de partir, la jeune femme de 31 ans doit s’assurer qu’il y aura sur place des choses qu’elle pourra manger. Si ce n’est pas le cas, elle n’a d’autre choix que de prévoir son propre repas.
Remarquez bien que manger à la maison n’est pas tellement moins compliqué, quand vient le temps de préparer la nourriture pour son copain et leur petit garçon de deux ans et demi.
«Ça serait tellement plus simple de pouvoir manger un macaroni à la viande..., a-t-elle dit. Moi j’ai mes pâtes faibles en protéines, c’est juste que ça implique deux fois plus de temps pour préparer la bouffe pour moi, mais aussi pour mon chum et pour mon fils. Il y a beaucoup de substitutions, et c’est certain que les options qui s’offrent à nous se sont beaucoup diversifiées, mais juste de pouvoir manger de la vraie bouffe, ce serait facilitant.»
Mme Laberge est atteinte de tyrosinémie héréditaire de type I, une maladie rare du foie qui est plus répandue au Québec que n’importe où ailleurs dans le monde. Cela signifie qu’elle est incapable de décomposer la tyrosine, un acide aminé présent dans plusieurs protéines d’origine animale ou végétale.
Avant l’apparition d’un nouveau traitement, au milieu des années 1990, la seule façon de soigner la maladie était de procéder à une greffe du foie vers l’âge de deux ans. Aujourd’hui, les gens qui en souffrent peuvent la gérer avec une alimentation très stricte et un médicament appelé NTBC, dans le but de maintenir les taux de tyrosine et d’autres acides aminés à des niveaux acceptables.
«Aucun enfant qui a reçu ce traitement à un jeune âge, c’est-à-dire en bas d’un mois de vie, n’a eu besoin d’une greffe du foie. Et pour la plupart des personnes, le suivi (...) de leur foie est parfaitement normal», a expliqué le docteur Grant Mitchell, un spécialiste du CHU Sainte-Justine avec qui La Presse canadienne s’est entretenue en marge de la Journée mondiale des maladies rares, le 29 février.
Habitude et calculs
Chaque jour, donc, Mme Laberge doit calculer la quantité de protéines mangée pour s’assurer que tout est sous contrôle et qu’elle n’excède pas certains niveaux.
«Ça exclut de mon alimentation les produits laitiers, les oeufs, la viande, les légumineuses aussi parce que ça contient trop de protéines, a-t-elle expliqué. Donc, j’ai des produits faibles en protéines à prendre et (...) ça implique de prendre des formules de protéines pour être sûre d’avoir un apport adapté à mon âge.»
Son alimentation ne contient que 10 ou 15 grammes de vraies protéines, ce qui est vraiment peu pour une jeune femme de son âge qui, de surcroît, attend son deuxième enfant.
Elle n’a donc d’autre choix que de consommer ces formules de protéines. Malheureusement, ajoute-t-elle, elles ont un «arrière-goût qui est vraiment prononcé. (...) Je pense que cette partie-là est plus difficile que l’alimentation.»
«Je suis habituée, ça fait que c’est plus facile, mais mes parents m’ont appris quand même tôt à prendre en charge la maladie et à cuisiner ce que j’avais le droit de manger, a dit Mme Laberge. C’est sûr que ça implique beaucoup de préparation, de planification, de gestion de l’alimentation.»
Dépistage obligatoire
Tous les bébés qui naissent au Québec sont soumis à un test de dépistage de la tyrosinémie. La maladie est notamment très répandue dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«On appelle ça un "effet fondateur", a expliqué le docteur Mitchell. Certaines régions du Québec, lors de la colonisation, ont été développées par un petit nombre de personnes. La population isolée a grandi en vase clos pendant plusieurs générations.
«Donc ce n’est pas parce que les gens sont étroitement reliés et qu’ils se marient, c’est simplement parce que le ‘pool’ génique dans cette région-là contient une fraction augmentée d’une mutation en particulier qui cause cette maladie.»
Les progrès de la médecine, notamment grâce à la contribution du docteur Jean Larochelle, signifient que les gens qui sont atteints de tyrosinémie peuvent aujourd’hui mener des vies tout à fait normales, ajoute le docteur Mitchell, qui tient à saluer le travail de l’infirmière coordonnatrice et des diététistes qui font fonctionner au quotidien le programme du CHU Sainte-Justine.
«Même si on offre une excellente qualité de vie, et même si ça n’a rien à voir avec la situation avant que nous ayons ce médicament, les patients réclament une guérison, a-t-il ajouté. On peut les comprendre et il y a des recherches dans ce sens. Mais actuellement, à l’horizon, nous ne voyons rien qui va rapidement remplacer le système en place actuellement.»
Les travaux d’un autre spécialiste de Sainte-Justine, le docteur Massimiliano Paganelli, pourraient se révéler utiles à ce chapitre. Ses collègues et lui s’intéressent ainsi à l’utilisation des cellules souches pour l’étude et le traitement des maladies hépatiques, et plus spécifiquement les maladies génétiques rares.
«Nous avons développé le premier modèle in vitro de tyrosinémie, a-t-il expliqué dans un courriel. Nous utilisons ce modèle (...) pour étudier la maladie et évaluer les effets des traitements.»
Il croit que ses recherches pourraient permettre d’améliorer le traitement de la maladie en optimisant la thérapie actuellement disponible ou en identifiant de nouveaux médicaments.
Environ 5 % des Québécois souffriraient d’une maladie rare, selon le Regroupement québécois des maladies orphelines.