L’affaire Weinstock ou la liberté universitaire sous tension

Le philosophe et professeur en droit de l’Université McGill Daniel Weinstock

POINT DE VUE / La liberté universitaire est nécessaire aux professeurs d’université. C’est elle qui permet d’investiguer des questions socialement vives, de réfléchir aux enjeux sociaux, éthiques, politiques, économiques, environnementaux et sanitaires de pratiques humaines ou industrielles.


Or, la liberté universitaire est sous tension. Plusieurs cas médiatisés ont même donné lieu à des ouvrages incontournables : Procès verbal (Lefebvre-Faucher, 2019), L’affaire Maillé (Maillé, 2018), Le droit du plus fort (Voisard, 2018), The drug trial (Shuchman, 2005). Ces écrits rendent compte, dans le détail, des rapports de pouvoir asymétriques dans lesquels des chercheurs ou des intellectuels se sont retrouvés. On peut tirer la conclusion de ces lectures que quiconque arrime ses recherches universitaires aux grands enjeux de société est susceptible d’être perçu, par des chroniqueurs, des politiciens, des administrateurs d’université, des promoteurs ou des industriels, comme une menace à l’ordre du Monde.

Pour sa part, l’affaire Weinstock met en évidence les effets politiques potentiellement immédiats de chroniques médiatiques «assassine(s) et erronée(s)» (La presse canadienne, Le Soleil, 24 février, p. 9). En fin de semaine, le chercheur de McGill disait craindre que le discrédit public dont il a été l’objet ait pour effet d’éloigner les jeunes chercheurs des questions vives (CBC News). C’est exactement cette préoccupation que nous avons évoquée dans le cadre du développement de l’affaire Maillé, à l’automne 2016 : «Le défi de la recherche universitaire socialement pertinente, écrivions-nous, n’est pas seulement logistique; plusieurs chercheurs évitent d’aborder des questions épineuses par crainte des suites médiatiques ou juridiques. […] Dans l’état actuel de la situation, comment les jeunes chercheurs à peine établis et les étudiants aux cycles supérieurs envisageront-ils leurs rôles comme producteurs de savoirs, comme protecteurs des participants à leurs études, comme intellectuels? De toute évidence, l’issue de cette histoire [l’affaire Maillé] pourrait avoir un effet rédhibitoire sur l’enthousiasme des chercheurs vis-à-vis de la documentation et de l’analyse, pourtant essentielle, de questions socialement vives.» (Pouliot et 200 chercheurs canadiens, Le Devoir, Le Soleil)

Revenons à l’affaire Weinstock. Après l’avoir écarté du forum de consultation sur la révision du cours d’éthique et de culture religieuse, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, M. Jean-François Roberge, a offert «ses excuses sincères» au professeur de l’Université McGill. Plus encore, dans sa déclaration publiée dimanche en fin de journée (23 février), M. Roberge soulignait que le professeur Weinstock «a apporté un éclairage pertinent et enrichissant en ce qui concerne la place de l’éthique dans le cursus scolaire» dans le cadre du forum de Québec.

Il appert que ce dénouement de l’affaire Weinstock a été rendu possible par la très forte mobilisation d’universitaires, de journalistes et d’élus ainsi que par le risque sérieux de poursuite qui aurait pu être intentée contre le ministre Roberge. L’issue de cette saga haute en couleur démontre l’importance de dénoncer et de documenter les cas d’atteinte médiatique, politique ou institutionnelle à la réputation de chercheurs. Elle fait voir qu’il ne faut rester ni seul ni silencieux lorsque de telles situations (nous) arrivent.