Martin Bureau: églises en chapelle ardente

La nouvelle série de Martin Bureau s’attarde à ces monuments anciens, majestueux et emblématiques qu’on laisse se détériorer et qu’on détruit pour faire pousser des condos.

Explorant les lames de fond qui menacent de détruire nos civilisations, Martin Bureau dessine des catastrophes exaltantes et sublimes. Avec sa plus récente série, baptisée Saint-Déluge-de-la-Consolation, le patrimoine bâti part à la dérive, éventré, englouti par les vagues et les glaciers.


Le peintre nous ouvre la porte de son atelier du quartier Saint-Sauveur en pleine tempête. La longue pièce fenestrée est entourée de hauts bancs de neige, presque ensevelie par la bordée.

Au centre du refuge chaleureux, sur une grande table en bois brut, est posée une des œuvres de sa nouvelle série. L’église Saint-Cœur de Marie, qui était sur la Grande Allée, y est représentée ouverte aux éléments, sans toit, comme un bout d’architecture divine planté dans le paysage. Au centre du dessin, le tabernacle tracé au plomb est intact.

Habitué de diluer l’acrylique pour obtenir des jus colorés qu’il laisse couler, qu’il accumule et qu’il gratte, Martin Bureau est passé tout naturellement à l’aquarelle. Il y retrouve le côté ténu et fluide de la peinture, tout en menant une course contre la montre pour travailler les formes et les teintes avant qu’elles sèchent et se fixent.

Dans l’atelier de Martin Bureau

Pour tracer des sillons blancs sur les œuvres de sa série Anthropocène, qu’il a amorcée il y a quelques années, il laissait courir une efface électrique dans les vagues de graphite. Pour Saint-Déluge..., il utilise plutôt une gomme de caoutchouc, qu’il appose au pinceau et laisse sécher avant d’appliquer la couleur. En grattant la gomme, il révèle le blanc du papier et fait émerger des zébrures lumineuses qui donnent du relief aux masses plus sombres.

Dans l’atelier de Martin Bureau

Martin Bureau développe patiemment ses techniques inédites, consulte ses pairs pour maroufler du papier rigide sur de très grandes surfaces, visionne des capsules YouTube des maîtres aquarellistes pour mieux comprendre le médium. Les trames sonores zen (voire complètement kitsch) de Kanta Harusaki et Lena Gemzee enveloppent de précieuses démonstrations qu’il écume avec intérêt.

«Dans les aquarelles de Turner, il n’y a que deux ou trois coups de pinceau, c’est fait en 10 secondes, mais on devine le mât d’un voilier, un rivage. C’est de l’évocation, avec toute la maîtrise qu’il avait pour faire de la figuration. Ça me parle beaucoup, mais je n’y suis pas arrivé encore», explique-t-il.

Dans l’atelier de Martin Bureau

Sa première aquarelle était pour la pochette de Désherbage de Tire le Coyote. «J’ai trouvé ça super difficile», note l’artiste, qui y a vu un nouveau terrain où exercer sa persévérance. Comme dans ses toiles à l’huile, à l’acrylique et au graphite, il amalgame des tracés d’une précision extrême et des aplats texturés ou vaporeux. Les transparences, elles, donnent une dimension nouvelle, plus subtile, à ses images chargées de tension.

Anthropocène, qui réfère à la strate géologique laissée par notre époque de consommation à outrance, montre des humains qui carburent à l’adrénaline sur une planète malmenée et furieuse. Saint-Déluge-de-la-Consolation s’attarde à ces monuments anciens, majestueux et emblématiques, qu’on laisse se détériorer et qu’on détruit pour faire pousser des condos.

«On bafoue la mémoire, le patrimoine bâti, et dans une mesure plus large, la culture», affirme Martin Bureau. Sur d’autres œuvres posées dans l’atelier, un musée est sur le point d’être percé par de la machinerie d’excavation, les glaces avalent le Panthéon et une création de l’architecte Daniel Leipzig coule en flamme.

Dans l’atelier de Martin Bureau

L’exposition Saint-Déluge-de-la-Consolation sera présentée du 21 février au 22 mars à la Galerie 3, 247, rue Saint-Vallier Est, Québec. Info : www.lagalerie3.com

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LA PROCHAINE AVENTURE

Martin Bureau combine une pratique en peinture, en art vidéo et en documentaire. Accompagné de son fils, qui a étudié l’animation 3D et les effets spéciaux, Martin Bureau s’est déjà rendu en Palestine et en Irlande pour y recueillir des images qui alimentent ses œuvres, tant vidéo que picturales. Leur prochain périple les mènera à Las Vegas et sera la bougie d’allumage d’un projet inspiré de l’essai La part maudite, de Georges Bataille. «Ce que ça dit, c’est que l’homme produit plus d’énergie qu’il en a besoin pour combler ses besoins élémentaires. Il dépense l’excédent dans la guerre, les loisirs, le sexe, la surproduction, qui constituent la part maudite», explique Martin Bureau. Les débordements éthyliques de la Strip, les installations olympiques de Sarajevo, les cimetières d’avion, les usines chinoises et les derbys de démolition de Bellechasse devraient se faire écho dans cette aventure qui devrait durer plusieurs années.