Chronique|

«Il faut freiner l’étalement urbain»

Andrée Laforest a vécu les inondations de 1996 au Saguenay. Une expérience utile pour une ministre qui prépare un plan d’action sur les inondations et veut s’en servir comme élément déclencheur d’une réforme de l’aménagement du territoire.

CHRONIQUE / En cette semaine bousculée par un spectaculaire virage dans le projet de troisième lien, la ministre des Affaires Municipales Andrée Laforest réitère sa volonté de revoir les pratiques d’aménagement au Québec.


«Il faut freiner l’étalement urbain», insiste la ministre en entrevue au Soleil. «On est obligés… C’est le temps de revoir notre territoire. Considérant les changements climatiques, on ne peut plus fermer l’œil».

Mme Laforest compte déposer ce printemps un plan d’action pour resserrer les règles de reconstruction en zones inondables et enchaîner avec une consultation et une politique similaire pour l’aménagement. 

La lutte à l’étalement passera inévitablement par des «contraintes à la croissance», par la fiscalité municipale et par une coordination du travail de plusieurs ministères, croit-elle.

«Je ne voudrais pas qu’on commence à construire des autoroutes partout pour faire de l’étalement urbain». Ni «mettre des écoles» dans toutes les villes ou nouveaux quartiers. 

Mme Laforest n’a pas voulu commenter le projet de troisième lien de son gouvernement, sinon pour dire qu’il ne «sort pas d’un chapeau». 

Il y a de la «congestion routière» et «des gens qui nous disent il va y avoir 35 000 personnes à Québec qu’on ne pourra plus loger».

Elle n’a pas voulu aller plus loin. «C’est le dossier de mon collègue et je veux lui laisser ça». 

Au moment de notre entretien, la nouvelle version de tunnel centre-ville à centre-ville avec un lien «métro» pour le transport collectif n’était pas connue. Si la ministre était au courant, elle n’en a rien montré. Mais ça ne change rien aux réflexions à venir. 

Renverser le courant de l’étalement urbain est un défi considérable. La résistance ne viendra pas seulement des maires dont le gouvernement voudra freiner l’appétit de croissance. 

Elle viendra aussi de collègues députés et ministres de Mme Laforest, d’autres formations politiques et d’acteurs privés et publics aux intérêts multiples. 

Elle viendra de tous les partisans du libre choix pour les citoyens de se loger où ils veulent, sans considération pour les coûts publics qui en résulteront. 

«C’est lourd» convient la ministre. «Il y beaucoup d’implications, mais je me sens très très prête à travailler ce dossier». On lui souhaite bonne chance. 

À première vue, rien ne semblait destiner cette ex-enseignante au primaire, devenue propriétaire de garderie et d’un commerce de détail à Saguenay, à diriger le ministère des Affaires municipales. 

Et encore moins à s’attaquer à une réforme des pratiques d’aménagement. Plusieurs de ses prédécesseurs, pourtant plus familiers avec le monde municipal, ont tenté de le faire et n’y sont jamais parvenus.

Rien ne semblait préparer la nouvelle élue, sauf ceci peut-être : 

«J’ai eu la chance ou la malchance de vivre les inondations» de 1996 au Saguenay, raconte-t-elle.

«C’était chez moi. Les pires inondations. Il y a des quartiers qu’on a reconstruits. D’autres qu’on a complètement rasés [sauf la petite maison blanche]. On a réparé des digues, fortifié des barrages». 

«Ma région était un exemple de solutions pour les inondations», analyse-t-elle. 

Une expérience utile pour une ministre qui prépare un plan d’action sur les inondations et veut s’en servir comme élément déclencheur d’une réforme de l’aménagement du territoire. 

Comme un «cheval de Troie», suggère son conseiller politique Alexandre Lambert, un urbaniste, qui assiste à l’entretien. Mme Laforest a aimé l’expression. 

«Grâce aux inondations, on va sûrement arriver à limiter la croissance», prédit-elle. 

«On a été très audacieux», rappelle (avec raison) Madame Laforest en parlant du moratoire imposé par son gouvernement au lendemain des inondations du printemps 2019. 

«C’est pas tous les maires qui étaient heureux. Les maires étaient très craintifs. Vous venez geler notre territoire Madame Laforest», lui a-t-on alors reproché.

Mais le gouvernement avait de bons arguments.

«Les inondations coûtent une fortune. On est rendu à 1 milliard $ depuis 10 ans. On peut pas continuer à reconstruire, reconstruire, reconstruire», explique la ministre.

«On est victime de beaucoup d’erreurs du passé. Je ne suis pas responsable du passé». Les changements climatiques viennent cependant de changer la donne, croit-elle.

Il y a des arguments tout aussi convaincants pour vouloir mettre fin à l’étalement urbain. Mais peut-être pas la même perception d’urgence dans le public que lorsqu’on est confronté à l’eau qui monte dans les sous-sols et inonde des quartiers entiers.

Il y aura beaucoup de pédagogie à faire et il faudra du courage pour dire non à des projets de développement ou à des infrastructures publiques réclamés par des acteurs locaux. 

Mme Laforest rappelle ici qu’elle a «refusé» le schéma de Québec, qui souhaitait agrandir sa zone urbaine, en outre sur les terres des Sœurs de la Charité de Beauport. «Il faut qu’ils respectent les terres agricoles», insiste la ministre. «Les terres agricoles, on peut pas briser ça. Faut respecter ça.» 

«On est quatre ministères à étudier les schémas d’aménagement, pas vrai que c’est fait sur le coin d’une table.» 

La ministre Laforest mise sur la «gestion du risque» pour implanter sa «vision» et réviser la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. 

«La gestion du risque est essentielle… Est-ce que c’est logique de permettre une reconstruction à cet endroit-là? De permettre des infrastructures... C’est tout le Québec qui paye». 

Avant de permettre du développement dans un secteur ou d’ouvrir de nouveaux quartiers, il faudra évaluer le risque d’étalement, comme on a évalué le risque de reconstruire dans les zones inondables.

Mme Laforest croit aussi «à la «concentration des services au même endroit. Je le vois combien ça coûte les réseaux d’aqueduc. C’est fou».

Elle perçoit que les choses ont commencé à changer. «Avant, chaque maire voulait sa caserne de pompier, réparer son hôtel de ville, avoir son aréna. Maintenant, ils le veulent pour toutes les municipalités les plus proches.» 

La ministre n’est pas naïve. «Je suis assez logique pour savoir que c’est pas tout le monde qui veut rester à Montréal. Pas tout le monde qui veut rester au centre-ville... On peut pas leur imposer. Là, vous restez là, vous sortez pas de Montréal.» 

Mais «la loi sur l’aménagement a 40 ans», rappelle-t-elle. «Est-ce qu’on pourrait au moins avoir une réflexion?»

Elle a «commencé à en parler». 

Aura-t-elle le poids politique nécessaire pour aller au bout de ses ambitions et mettre en place un cadre réglementaire pouvant stopper l’étalement urbain?

On peut en douter, vu l’ampleur de ce que cela implique, mais on peut lui donner la chance. On verra la suite.

«J’ai un premier ministre qui est vraiment ouvert à avoir cette réflexion-là», dit-elle. 

«C’est énorme une réflexion sur l’aménagement du territoire. Qu’on puisse rassembler tous les acteurs pour avoir une piste de solution. Je pense qu’on est rendus là.»