LES FAITS
Le papier de Science et Vie résumait les résultats d’une étude parue en 2011 dans la revue savante Scientific Reports et parlait d’«un microbe» que des vents «soufflant du Japon […] ont transporté jusqu’aux États-Unis, où il sévit désormais». Or la formulation était un peu abusive et même si l’on partait du principe qu’il s’agissait bien d’un «microbe», il est pratiquement assuré que ces résultats-là ne s’applique pas aux coronavirus, comme nous le verrons.
L’article des Scientific Reports portait sur un mal encore bien mystérieux nommé «maladie de Kawasaki», décrite pour la première fois au Japon dans les années 1960. Il s’agit d’une maladie infantile très rare, dont les symptômes peuvent être impressionnants — forte fièvre, langue enflée et très rouge, lèvres sèches et craquelées, éruptions cutanées amenant la peau à «peler», etc. —, mais qui finissent par se résorber, habituellement sans séquelle permanente. Cependant, chez le quart des enfants touchés une inflammation des artères se produit et peut, dans certains cas et des années plus tard, mener à des complications cardiaques très graves.
On ignore complètement ce qui cause la maladie de Kawasaki. On ne sait pas s’il s’agit d’un virus, d’une bactérie ou de facteurs environnementaux qui provoquent une réaction chez certains enfants génétiquement prédisposés. L’étude des Scientific Reports n’élucidait pas cette question — c’est pourquoi il était abusif, de la part de Science et Vie, de parler d’un «microbe» sévissant désormais aux États-Unis —, mais avait tout de même trouvé que les éclosions rapportées au Japon, à Hawaï et à San Diego semblaient très étroitement liées à la direction des vents (d’est en ouest) et à leur force. Notons que la même équipe de recherche (grosso modo) a publié une autre étude du même genre en 2014, où elle montrait que lors des trois pires éclosions de la maladie au Japon, en 1979, 1982 et 1986, les vents provenaient toujours de la même région, dans le nord-est de la Chine. Le papier évoquait la possibilité qu’un champignon microscopique ou qu’une mycotoxine soit en cause.
En outre d’autres travaux, comme une étude publiée l’été dernier dans Atmosphere, ont documenté la présence de bactéries vivantes et de virus fonctionnels à 10 mètres dans les airs au beau milieu de l’Atlantique ainsi qu’en très haute altitude (20 km). Alors l’idée que certains microbes puissent voyager des milliers de kilomètres à la faveur des courants-jets, ces vents très forts qui soufflent à une dizaine de kilomètres d’altitude, n’est pas aussi invraisemblable qu’il n’y paraît à première vue. Mais la question est : est-ce que ces conclusions peuvent être étendues aux coronavirus comme celui qui sévit en Chine depuis quelques semaines? Et la réponse est clairement «non».
C’est que les coronavirus ne sont pas particulièrement résistants dans l’air, ne survivant généralement que de quelques minutes à quelques heures. «Ce sont des virus que l’on dit enveloppés, ce qui les rend fragiles», explique le virologiste de l’INRS Pierre Talbot, lui-même un spécialiste des coronavirus. Ces enveloppes, précise-t-il, sont des bouts de cellules infectées que les virus «volent» quand ils en sortent. Elles servent à protéger les protéines du virus, qui sont elles-mêmes vulnérables, mais ces enveloppes ne persistent jamais longtemps à l’air libre — et c’est d’autant plus vrai dans les conditions de dessiccation et de rayonnement ultraviolet intense qui prévalent en haute atmosphère.
C’est ce qui lui fait dire qu’il est «farfelu» de penser que le nouveau coronavirus chinois pourrait traverser le Pacifique à la faveur du courant-jet. Son collègue de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur les virus en émergence, Guy Boivin, qualifie pour sa part d’«invraisemblable» la possibilité que ce virus voyage si loin à l’extérieur d’un hôte (comme un oiseau migrateur).
À cet égard, d’ailleurs, il faut dire que l’histoire penche de leur côté. Avant l’arrivée des Européens en Amérique, plusieurs maladies pourtant très contagieuses étaient totalement absentes de ce côté-ci de l’Atlantique. Les populations autochtones, jamais exposées et donc très vulnérables, ont été décimées par des virus comme celui de la variole. Tout ceci renforce l’idée que les pathogènes humains ne voyagent pas loin par eux-mêmes.
LE VERDICT
Faux. On trouve des microbes vivant dans la haute atmosphère et très loin des côtes, mais les bactéries et les virus sont des groupes extrêmement vastes et variés, si bien qu’il est tout à fait possible que certains d’entre eux soient «équipés» pour survivre à ce genre de périple. Mais tout indique que dans le cas des pathogènes humains en général et du coronavirus chinois en particulier, il est pratiquement impensable qu’ils puissent changer de continent à la faveur du courant-jet.
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