Vivre avec une maladie mentale

«Comment peut-on différencier une personne qui vit avec une schizophrénie ou un trouble dépressif majeur qui présente des pensées et des comportements suicidaires d’une personne ayant un cancer qui veut mourir? La réponse est : nous ne le pouvons pas.»

POINT DE VUE / La journée Bell Cause pour la cause approche à grands pas. Elle sera suivie de près par la Semaine nationale de prévention du suicide. Cela tombe à point étant donné qu’un débat entourant la maladie mentale fait rage depuis que le gouvernement du Québec a décidé d’enlever le critère d’être en fin de vie pour avoir accès à l’aide médicale à mourir. À mon avis, cela aura des impacts très sérieux sur les personnes vivant avec une maladie mentale.


Pour qu’une personne ait accès à l’aide médicale à mourir, elle doit répondre aux critères suivants :

- 1 elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie;

- 2 elle est majeure et apte à consentir aux soins;

- 3 elle est en fin de vie;

- 4 elle est atteinte d’une maladie grave et incurable;

- 5 sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;

- 6 elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.

Le troisième critère sera enlevé comme l’a statué la Cour supérieure du Québec. Une personne vivant avec un trouble mental pourra désormais demander l’aide médicale à mourir. Une personne comme moi. Je suis psychologue, professeure d’université et chercheuse spécialisée en santé mentale et en prévention du suicide. Mais, je suis avant tout un être humain vivant avec la dépression majeure récurrente depuis le décès de mon père il y a presque exactement 20 ans. Je suis actuellement en rétablissement, en rémission, on peut dire de retour à la vie dite normale.

Comme vous le savez peut-être, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, un des symptômes du trouble dépressif caractérisé (dépression majeure) est  «pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider». Ceci mène inévitablement à se poser la question suivante : que fait-on avec une personne vivant avec une dépression majeure et qui veut désespérément que cesse sa souffrance? La dépression majeure, tout comme plusieurs autres troubles mentaux n’a aucune «cure», en tant que telle. Oui, on peut la traiter avec les médicaments ou de la psychothérapie. Les médecins (de famille et psychiatres) prescrivent des traitements pharmacologiques basés sur les données probantes existantes sur le sujet. Les psychologues et autres professionnels en santé mentale faisons de même avec nos interventions psychosociales. C’est là que le bât blesse : nous sommes lamentablement en retard en ce qui concerne la recherche en psychiatrie. Nous basons nos diagnostics et donc nos traitements sur ce que la personne nous dit et par notre observation d’elle lorsqu’elle se retrouve devant nous. J’ai déjà écrit sur ce qu’on doit faire pour investir dans la santé mentale et améliorer nos connaissances et traitements. Jusqu’à maintenant nous avons choisi de ne pas prioriser celle-ci.

En ce qui concerne le suicide, comment peut-on différencier une personne qui vit avec une schizophrénie ou un trouble dépressif majeur qui présente des pensées et comportements suicidaires d’une personne ayant un cancer qui veut mourir? La réponse est : nous ne le pouvons pas. Ni l’une ni l’autre ne veut mourir. Elle veut arrêter de souffrir. Considérant que 90 % des personnes décédées par suicide avaient une maladie mentale nous devons nous poser la question suivante : faisons-nous assez pour aider les personnes vivant avec un trouble mental? Avant que la porte à l’aide médicale à mourir soit grande ouverte à ces personnes, nous devons nous regarder en face comme société plus particulièrement notre rapport face à la maladie mentale, un sujet toujours tabou. D’un côté on dit aux personnes malades que le suicide n’est pas une option, qu’il y a de l’aide pour eux. De l’autre on leur dit que mourir est une option. Quelle porte choisiront-elles? La prochaine fois que je suis aux prises avec un épisode dépressif, j’espère que ce «choix» ne me sera pas présenté. Je salue donc la décision de notre ministre de la Santé de suspendre l’aide médicale à mourir pour les personnes vivant avec une maladie mentale en attendant d’avoir un consensus sur la question. Assurons-nous que la voix des personnes malades soit entendue. Nous avons besoin d’outils pour nous aider à mieux vivre et se rétablir plutôt que d’outils pour nous aider à mourir.

* L’auteure est professeure agrégée au Département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières, campus de Québec