Une pluie d’amendes «disproportionnées» à un homme à l’«état mental perturbé»

L’avocate de Francis Lacroix, Me Florence Boucher Cossette

EXCLUSIF / Des policiers de Québec ont remis d’un seul coup pour plus de 700 $ de contraventions à un homme dont ils ont constaté l’«état mental perturbé» lors d’une intervention de routine qui s’est rendue jusqu’aux gifles et aux menottes.


Le Soleil a obtenu une copie du rapport du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) qui montre l’escalade entre les deux policiers et Francis Lacroix, 25 ans, qui souffre d’un trouble de la personnalité schizotypique, caractérise entre autres par des craintes de persécution. Le SPVQ a préféré ne pas commenter ce cas précis, car les procédures judiciaires sont toujours en cours. 

L’avocate de M. Lacroix, Florence Boucher Cossette, dénonce les amendes «disproportionnées» reçues par son client. Elle estime qu’il s’agit d’un «cas typique» où une personne qui souffre d’un problème de santé mentale est punie plus sévèrement parce qu’elle réagit anormalement à l’intervention des policiers.

Les faits reprochés à Francis Lacroix remontent au 12 juillet. Vers 2h50, les patrouilleurs Luc Turcotte et Vincent Germain immobilisent leur voiture à une lumière rouge au coin des avenues Jeanne-Mance et Eugène-Lamontagne, dans Limoilou. 

Quand la lumière passe au vert, le constable Germain klaxonne le conducteur de la Hyundai Accent qui avait attendu trois ou quatre secondes avant de s’engager. Les policiers remarquent aussi que le système d’échappement de la voiture est «particulièrement bruyant». 

Un peu plus loin sur Eugène-Lamontagne, le conducteur de la Hyundai actionne ses feux de détresse et s’arrête. Le conducteur de la voiture de patrouille se range à côté de l’auto de Francis Lacroix et lui demande si tout va bien. M. Lacroix lui répond que «oui» et dit qu’il cherche la rue [de] Verdun. 

L’agent Turcotte constate aussi que le véhicule n’a pas de couvre parechoc avant. Le patrouilleur veut alors donner de simples avertissements au conducteur (c’est ce qu’il écrit dans son rapport). Mais l’intervention prend une tournure inattendue quand le conducteur refuse de s’identifier malgré les multiples demandes du patrouilleur. 

Le policier ouvre la portière et demande à Francis Lacroix de sortir du véhicule. Il l’informe que s’il ne fournit pas son nom, il sera arrêté pour entrave au travail des policiers. 

Le policier détache lui-même la ceinture et tire le conducteur par le bras. Puis, ce dernier finit par accepter de sortir du véhicule. L’agent Turcotte place ses mains sur le véhicule, le fouille et lui redemande son nom. Francis Lacroix refuse encore. Le policier l’informe qu’il est en état d’arrestation et tente d’amener le bras droit de l’homme derrière son dos pendant que le l’agent Germain s’occupe du bras gauche. 

«Désorienté, apeuré»

Francis Lacroix résiste, mais ne s’en prend pas aux policiers. L’agent Turcotte tente de faire diversion avec une gifle au visage et réussit à lui passer la main derrière le dos. Les policiers luttent avec lui contre le véhicule et l’agent Germain le gifle à son tour. Les patrouilleurs réussissent à l’amener au sol et à le menotter. 

Ils le fouillent à nouveau dans le véhicule de police et trouvent un porte-monnaie avec un permis de conduire, mais pas de preuve d’immatriculation ou d’assurance. «À première vue, le conducteur n’avait aucune raison de ne pas vouloir fournir son identité», note le constable Turcotte dans son rapport. 

Le policier demande à Francis Lacroix s’il a consommé. Celui-ci répond : «Pourquoi j’aurais consommé?» Et l’agent Turcotte fait un autre constat : «À mesure que l’intervention avance, je constate que son état semble relever d’un problème médical, ou encore en santé mentale.» Francis Lacroix mentionne qu’il a un diagnostic de trouble de personnalité schizotypique.

Environ une demi-heure après le début de l’intervention, l’agent Turcotte appelle son lieutenant pour discuter de la suite de l’intervention. Il l’informe que «le tout semble relié à un problème de santé mentale non médicamenté». Les policiers prennent alors la décision d’appeler l’organisme PECH [Programme d’encadrement clinique et d’hébergement], avec qui la police de Québec collabore régulièrement pour des cas de santé mentale. 

Sur la Hyundai Accent, les policiers constatent trois «défectuosités mineures» — en plus du muffler bruyant et de l’absence de couvre parechoc, le frein d’urgence ne fonctionne plus. De plus, ils estiment que Francis Lacroix n’est pas en état de conduire sa voiture. «M. Lacroix tremble et pleure. Il semble désorienté, apeuré», note le constable Turcotte. La Hyundai est remorquée. 

Francis Lacroix est alors «up and down», décrit le policier. «À certains moments, il pleure, à d’autres moments il a le regard fixe et ne répond plus à aucune question.» M. Lacroix est conduit au poste de police du parc Victoria, menotté dans le dos. «Je lui demande s’il va bien, s’il a de la douleur, mais il ne répond pas, et sanglote», note l’agent Turcotte. 

Un intervenant de PECH arrive au poste de police du parc Victoria. Francis Lacroix est démenotté. Quinze minutes avant de sortir du poste de police, il reçoit en main propre quatre constats d’infraction : un pour entrave au travail des policiers (486 $), un pour son système d’échappement non conforme (108 $), un pour ne pas avoir eu son certificat d’immatriculation (63 $) et un pour ne pas avoir eu une preuve d’assurances (63 $). Au total, le montant des contraventions s’élève à 720 $. 

«Nettement exagéré»

Au début de son rapport, l’agent Turcotte résume l’événement en quelques mots : «Il s’agit d’une vérification de véhicule et d’un état mental perturbé.» Selon l’avocate de Francis Lacroix, Me Florence Boucher Cossette, les policiers auraient dû en tenir compte et ne pas lui remettre autant de contraventions.

«Il me semble que c’est nettement exagéré et inapproprié dans les circonstances», dit Me Boucher Cossette. «Je comprends que l’individu devait s’identifier. Mais les policiers doivent quand même exercer leur jugement.»

«C’est faux de dire que la seule chose à faire c’est de donner des constats, ajoute l’avocate. Au début, les policiers ne choisissent pas cette option-là. Ils décident de donner des avertissements.»  

Me Boucher Cossette soutient que le cas de M. Lacroix est loin d’être isolé. À plusieurs reprises, elle dit avoir défendu des clients aux prises avec des problèmes de santé mentale qui avaient reçu une pluie de contraventions parce qu’ils avaient eu du mal à composer avec les policiers. 

«Les gens qui ont des problèmes de santé mentale ne sont pas dispensés de la loi», nuance-t-elle. Mais contrairement aux gens «neurotypiques» qui n’ont pas ces problèmes, ils sont plus susceptibles d’avoir de la difficulté à répondre aux ordres, fait-elle valoir. «Ils vont susciter la colère et la contrariété des policiers et ils vont se retrouver avec quatre constats d’infraction, alors qu’un individu qui aurait répondu à la satisfaction des policiers au début de l’intervention n’aurait peut-être eu aucun constat d’infraction», dit Me Boucher Cossette.   

Le directeur général de PECH, Benoît Côté, rappelle l’impact de la judiciarisation chez les gens qui ont des troubles de santé mentale. «La mise à l’amende a des effets très difficiles pour les personnes qu’on accompagne. D’abord, ils ont de la difficulté à rembourser. Et ça crée un cercle vicieux. Ce stress-là finit par renforcer les symptômes que les personnes vivent et elles peuvent se désorganiser», dit-il. 

Francis Lacroix a plaidé non coupable aux quatre constats d’infraction qu’il a reçus. La suite des procédures judiciaires se déroulera le 27 février à la cour municipale de Québec.  

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LA POLICE DE QUÉBEC A LE «DEVOIR D'AGIR»

Les policiers sont sensibles à la réalité des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais ils doivent s’assurer que leurs véhicules ne représentent pas un danger pour eux ou pour les citoyens, fait valoir la police de Québec. 

Comme les procédures judiciaires contre Francis Lacroix ne sont pas terminées, le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) n’a pas voulu répondre directement à la sortie de l’avocate Florence Boucher Cossette.

Le SPVQ se défend néanmoins de manquer de sensibilité, faisant valoir que ses policiers interviennent près de 15 fois par jour auprès des personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou vivent en situation d’itinérance. 

En vertu de leur pouvoir discrétionnaire, les policiers ont le choix de remettre ou non une contravention en fonction des circonstances, comme l’état mental de la personne concernée, indique Étienne Doyon, porte-parole du SPVQ. 

«La capacité du contrevenant à reconnaître l’infraction et son degré de sensibilisation vis-à-vis celle-ci pourrait, entre autres, être un facteur dans la prise de décision de policier», note M. Doyon.

S’il constate un bris mécanique sur une voiture qui pourrait mettre en danger la sécurité du citoyen lui-même ou des autres usagers de la route, «le policier a le devoir d’agir», note M. Pelletier. Il a le choix de donner un avertissement verbal ou de donner immédiatement un constat d’infraction. 

En ce qui concerne le véhicule de Francis Lacroix, il s’agissait de «défectuosités mineures». Les policiers ont d’abord voulu lui donner un avertissement verbal et l’inscrire au Centre de renseignements policiers du Québec. Mais au fil de l’intervention, ils ont décidé de lui remettre quatre contraventions. 

Les policiers ont aussi la possibilité de remettre un «avis de vérification d’un véhicule routier» qui donne au propriétaire un délai de 48 heures pour soumettre son véhicule à une vérification mécanique. Le conducteur doit fournir la preuve à un agent de la paix qu’il a fait cette démarche. S’il ne respecte le délai, la police considérera qu’il s’agit d’une infraction.