Dirigeables: Flying Whales, producteur exclusif en Amérique

Le Québec avait commencé à s’intéresser à la nouvelle industrie des dirigeables en 2017 pour répondre à des besoins concernant les infrastructures dans le Grand Nord.

L’entreprise française Flying Whales a signé mercredi matin l’entente de coopération et la participation financière de 30 millions $ avec le gouvernement québécois pour la création d’un dirigeable à charge lourde. Grâce à cette entente, la filiale québécoise de Flying Whales obtient l’exclusivité de la production pour le continent américain.


Flying Whales Québec s’occupera également dès 2020 du volet de recherche et de développement, dont les solutions développées au Québec demeureront la propriété intellectuelle de la filiale québécoise. À terme, ces solutions seront commercialisées entre autres en France et en Chine. Cette initiative générera également des partenariats avec des entreprises québécoises de l’aérospatiale pour des activités de recherche-développement.

«C’est une nouveauté pour le gouvernement québécois de devenir actionnaire d’une société mère et de la filiale québécoise. Plutôt que de mettre de l’argent dans des projets et de ne pas les contrôler, là le gouvernement sait ce que se passe et bénéficie pour son retour sur investissement du marché européen et asiatique», explique le président de Flying Whales, Sébastien Bougon, rencontré mardi soir par Le Soleil. 

Flying Whales implantera également au Québec une société opératrice de dirigeables pour l’Amérique, au Québec, nommée Flying Whales services America. «Que la solution soit vendue en Argentine, au Pérou, etc, tous les emplois et les taxes liés à Flying Whales industries et services seront au Québec», insiste-t-il. Une centaine d’emplois verront le jour pour la partie recherche et développement, 300 autres emplois pourraient s’ajouter avec la construction de l’usine. 

Le Québec avait commencé à s’intéresser à cette nouvelle industrie en 2017 pour répondre à des besoins concernant les infrastructures dans le Grand Nord. En juin, lors du Salon du Bourget le gouvernement québécois avait signé une entente de principe d’une participation de 25 % dans le projet aérospatial. La Chine possède également 25 % de l’entreprise, mais contrairement à la France et au Québec, aucune entreprise chinoise n’est impliquée dans le projet. Des inquiétudes avaient été soulevées vis-à-vis de l’espionnage industriel. M. Bougon a assuré que les Chinois veulent disposer de la solution pour son Go-West Campaign, mais qu’ils ne participeront pas aux travaux de recherche et développement. 

Cinquante fois moins cher que l’hélicoptère 

Le gouvernement français a commencé à s’intéresser à ce projet, développé dans la région Nouvelle-Aquitaine à partir de 2013, à cause des problématiques de plus en plus importantes dans l’extraction du bois. Cette industrie occupe le second rang du déficit de la balance commerciale de la France alors que le pays possède l’un des plus grands territoires forestiers en Europe. Les entreprises forestières utilisent des hélicoptères pour aller chercher et déposer le bois, mais cela coûte extrêmement cher et l’empreinte écologique est importante. 

«Quand on fait des routes et des pistes [d’atterrissage] pour aller chercher le bois, il n’y a pas de retour sur investissement parce que le bois a une valeur trop faible», souligne M. Bougon. «Mais maintenant, la France n’investit plus dans des routes et des pistes. Il faut donc aller chercher le bois par un moyen aérien», poursuit-il. 

Contrairement à un hélicoptère qui peut transporter un maximum de cinq tonnes à la fois et doit atterrir pour réaliser la manoeuvre, un dirigeable peut aller jusqu’à 60 tonnes dans des endroits inaccessibles. «Le dirigeable ne se pose pas. Il va ouvrir sa soute et va charger le matériel en vol. Il s’affranchit de tout besoin d’infrastructure et il est 50 fois moins cher que l’hélicoptère à la tonne transportée», fait valoir le président de Flying Whales. 

Le dirigeable fonctionne à l’hélium et l’entreprise travaille sur un produit 100 % électrique pour le faire avancer afin de réduire au minimum l’empreinte environnementale. 

Charges lourdes

Il n’y a pas que l’industrie du bois qui pourrait bénéficier de ce nouveau moyen de transport. Le dirigeable pourrait également servir pour transporter des maisons dans le Grand Nord. «Le coût du transport est plus élevé que la construction de la maison, grâce au dirigeable, on peut aller déposer la maison directement et à un coût moindre», illustre M. Bougon. 

Le président de Flying Whales donne également l’exemple des pales éoliennes. Un dirigeable peut embarquer trois pales dans sa soute et les déposer au pied du mat. On évite ainsi trois convois exceptionnels au sol. 

Ce moyen de transport peu coûteux et écologique devrait être prêt pour la production d’ici 2023-2024. L’entreprise française se trouve à mi-chemin de l’ingénierie et devrait fabriquer la première machine en 2021 ou 2022. Il faudra ensuite compter un an d’essai au sol et en vol. Le dirigeable sera certifié de la même manière que les avions ce qui assura une sécurité à un très haut degré de fiabilité.

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CE QU'ILS ONT DIT 

«Ce n’est pas du nationalisme économique et je suis convaincu que dans toutes les régions du Québec on serait capable de mieux utiliser le 30 millions $ que d’investir dans une grosse balloune. Dans ma région, le gouvernement québécois se fait tirer l’oreille pour investir sans Le Fidel de la Matanie, seul fond au Québec où les gens d’affaires mettent une mise de fonds avant de demander de l’argent à l’État. Ils ont ramassé des centaines de milliers de dollars, le fédéral, la MRC et la ville ont embarqué.» - Pascal Bérubé, chef par intérim du parti québécois et député de Matane-Matapédia

«Il y a des entreprises très importantes ans le secteur aéronautique dans ce projet-là. Ce ballon va être capable de transporter des marchandises très lourdes. Je pense entre autres à tout le Plan Nord. C’est quelque chose de très sérieux et je pense que vous allez être surpris. On a une expertise aéronautique au Québec et je suis content de voir qu’une partie du projet se fasse au Québec.» - François Legault, premier ministre du Québec.   Avec la collaboration d'Olivier Bossé

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, le président-directeur général de Flying Whales, Sébastien Bougon, et le président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, en conférence de presse à Québec, mercredi

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PAS ENCORE DE CLIENTS

Québec a une fois de plus dû défendre sa décision d’injecter près de 30 millions $ dans une compagnie française qui n’a pas encore de clients et qui souhaite développer des ballons dirigeables qui ne volent pas encore.

Mais même si la somme n’est pas «banale», le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon a estimé, mercredi, que le risque était «minime» par rapport aux retombées potentielles - comme l’implantation d’une usine de fabrication dans la province qui aurait l’exclusivité de la production en Amérique du Nord, ce qui se traduirait par la création de plusieurs centaines d’emplois.

«Le potentiel, il est énorme, dans une grappe industrielle (l’aéronautique) où on veut attirer du talent», a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse, accompagné du président-directeur général de Flying Whales, Sébastien Bougon, et du président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset.

Si tout se déroule comme prévu, on parle d’environ 400 nouveaux emplois à plus de 100 000 $ par année, a souligné M. Fitzgibbon.

Alors que Québec saute dans l’aventure en mettant sur la table des dizaines de millions de dollars, MM. Bougon et Rousset n’ont pas été en mesure de dire clairement, lorsqu’interrogés, si Flying Whales avait déjà convaincu des clients.

«Non, il n’y a pas de client, a précisé le ministre de l’Économie. Nous ne sommes pas encore rendus au point d’avoir signé des contrats. Mais à ce moment-ci, nous sommes assez confortables pour dire qu’il y a un marché potentiel.»

Craintes chinoises?

Le gouvernement Legault s’était déjà retrouvé sur la défensive en octobre lorsqu’il avait été révélé que Flying Whales comptait parmi ses actionnaires une société chinoise visée par des soupçons d’espionnage industriel.

D’après divers reportages aux États-Unis, Aviation Industry Corporation of China (AVIC) inquiète en raison de ses tentatives pour acquérir des participations minoritaires dans des compagnies aérospatiales au sud de la frontière, notamment.

En point de presse, M. Bougon est revenu sur ces inquiétudes en affirmant qu’il fallait «apprendre à vivre avec deuxième marché du monde, peut-être (le) premier dans futur».

Interrogé, il a tenté de se montrer rassurant en expliquant que toute la propriété intellectuelle qui émanera du Québec appartiendra à la filiale québécoise du partenariat, qui pourra notamment la vendre à la société mère.

«Donc, elle n’a pas besoin de transférer la propriété intellectuelle», a-t-il dit, sans toutefois fermer la porte à une éventuelle implication plus large de la part du partenaire chinois.  Avec La Presse canadienne