Poursuite de l’État par Yves «colosse» Plamondon: l’ancien procureur à la défense de sa preuve

Yves «Colosse» Plamondon estime que le procureur de la Couronne dans les années 1980 maintenant juge à la Cour du Québec, René de la Sablonnière (photo), et les policiers ont fait preuve de malveillance, entraînant sa condamnation pour trois meurtres qu’il nie avoir commis et son incarcération pendant près de trois décennies.

L’ancien procureur de la Couronne René de la Sablonnière qui a fait condamner Yves Plamondon pour trois meurtres en 1986 était de retour dans la même salle d’audience que l’ancien caïd lundi. Avec toujours l’idée de convaincre un décideur de la culpabilité de Colosse.


Debout à la barre des témoins, René de la Sablonnière, juge à la Cour du Québec depuis 1992, répond, explique et lit des extraits du procès qui n’a pas encore eu de fin, 33 ans plus tard. 

Ce n’est pas tous les jours qu’un juge québécois témoigne en salle d’audience. L’atmosphère du procès civil n’a pas changé pour autant, si ce n’est de la présence discrète d’un constable spécial près de la porte.

Yves Plamondon poursuit l’État québécois pour 35 millions $. Il estime que les policiers et le procureur de la Couronne de l’époque ont fait preuve de malveillance, entraînant sa condamnation pour trois meurtres qu’il nie avoir commis et son incarcération pendant près de trois décennies.

René de la Sablonnière est devenu procureur de la Couronne en 1975. Dix ans plus tard, on lui confie le dossier du meurtre de Claude Simard, un trafiquant de drogue trouvé abattu dans un chemin isolé du Lac-Beauport. À ce moment, le procureur ne connaît pas Yves Plamondon.

Il sait que celui qui est surnommé Colosse est accusé dans une affaire d’extorsion. Les policiers demandent au procureur de s’opposer à sa remise en liberté durant les procédures, car, disent-ils, ils enquêtent sur «quelque chose de gros». Le procureur apprendra bientôt que Plamondon est suspect dans trois causes de meurtre.

La première tâche de René de la Sablonnière sera de conclure une entente avec André Bull Desbiens, complice de Plamondon.

Desbiens, un criminel d’habitude, va confesser sa participation dans neuf meurtres. Trois d’entre eux impliquent Plamondon, son patron dans un réseau de vente de stupéfiants.

La Couronne accepte que Desbiens plaide coupable à des homicides involontaires plutôt qu’à des meurtres. C’est un très gros avantage, signale René de la Sablonnière, car sa peine sera ainsi réduite à sept ans. 

En échange, Desbiens s’engage à témoigner pour le ministère public et à répéter ce qu’il a dit, à savoir que Plamondon a abattu Claude Simard, Denis Ouellet et Armand Sanschagrin, trois trafiquants endettés envers lui.

Tous les avantages reçus par le délateur seront divulgués à la défense et au jury.

René de la Sablonnière est d’abord hésitant à signer l’entente avec ce témoin taré. Qu’arrivera-t-il si, au procès, Desbiens retourne sa veste et dit qu’il est le seul responsable des meurtres?

Le patron du procureur lui répond qu’il doit s’assurer de tous les dires du délateur. «Si toi, tu n’as pas confiance, comment veux-tu qu’un jury ait confiance en lui?» demande le patron.

Le procureur de la Couronne se plonge alors dans la preuve policière, avec les déclarations et les transcriptions d’écoute électronique, pour valider les déclarations de Desbiens.

Ce n’est qu’à la mi-novembre que le procureur obtient toutes les confirmations souhaitées. Il dépose alors un acte d’accusation privilégié regroupant les trois meurtres. 

Avec cette procédure, la Couronne veut court-circuiter l’étape de l’enquête préliminaire et aller directement au procès. Plusieurs témoins sont sous protection policière, ce qui implique des frais.

Le procès devant jury doit se tenir le 10 février 1986 à Québec. Il commencera finalement le 17 mars 1986 à Montréal. Le juge a ordonné un changement de district judiciaire en raison de la trop grande médiatisation de la cause de Colosse et de la crainte de ne pas trouver 12 jurés impartiaux.

Le fil conducteur

La divulgation de la preuve est au cœur de la réclamation de Yves Plamondon. Il affirme notamment que l’état lui a caché deux déclarations de témoins qui auraient pu lui fournir un alibi et changer le verdict du jury.

En 1986, la Couronne avait beaucoup moins d’obligation de divulgation qu’aujourd’hui. Elle n’était tenue de divulguer que les éléments qu’elle estimait favorables à la défense.

Puisque Plamondon n’avait pas eu d’enquête préliminaire, le procureur de la Couronne René de la Sablonnière prend l’engagement de divulguer le fil conducteur de sa preuve.

Il remet à son collègue Léo-René Maranda, l’avocat de Plamondon, un document de huit pages qui résumait quels témoins la Couronne allait faire entendre et l’essentiel de ce qu’ils allaient dire.

Par la suite, le juge Jacques Ducros de la Cour supérieure ordonne que la Couronne remette à la défense chacune des déclarations des 50 témoins, mais seulement lorsqu’ils sont assermentés et commencent à témoigner. Par mesure de sécurité, la Couronne ne veut pas que des déclarations circulent et que certains témoins se fassent intimider en raison de leur contenu.

Le témoignage de René de la Sablonnière se poursuit toute la semaine.