Il reste à voir les priorités qui seront mises en avant-plan dans les deux cas. Évidemment, ce travail devra continuer à être guidé par les personnes concernées elles-mêmes, leurs proches, les intervenants et les chercheurs spécialistes dans le domaine. Ici, je donne mon avis non seulement en tant que psychologue et professeure spécialisant en santé mentale et en prévention du suicide, mais aussi comme personne ayant vécu avec la dépression et qui a eu recours aux services nécessaires pour se rétablir.
En ce qui concerne la maladie mentale, on sait tout de même ce qui fonctionne basé sur les données probantes. Je ne veux pas faire ici une liste exhaustive des meilleurs traitements validés empiriquement, mais en nommer quelques-uns, dont la psychothérapie qui, conjuguée à la pharmacothérapie (dépendant du trouble mental), a montré ses preuves. Malheureusement, la psychothérapie n’est pas rapidement et gratuitement accessible actuellement au Québec. Un autre exemple, plus accessible, est l’autogestion de la dépression, de l’anxiété, des troubles bipolaires (entre autres) offerte sous forme d’ateliers par des organismes communautaires (trop souvent sous-financés!) à moindre cout. Le gouvernement devrait prioriser ces services éprouvés scientifiquement pour les rendre accessibles à tous ceux qui en ont besoin.
En ce qui concerne la prévention du suicide, plusieurs organismes, intervenants et chercheurs s’investissent depuis des années pour tenter de 1) comprendre les causes de celui-ci afin de 2) diminuer le taux de suicide au Québec et 3) d’identifier et de mettre en place les meilleures pratiques pour ce faire. On voit les effets positifs de ces actions par la diminution des morts par suicide depuis 1999. Le problème est toujours présent, bien sûr, d’où la nécessité d’une stratégie nationale en prévention du suicide
À mon avis, un des éléments nécessaires à la réussite des interventions auprès des personnes vivant avec des troubles mentaux ou qui sont suicidaires est la déstigmatisation. Malheureusement, il existe encore un grand tabou face à la maladie mentale et au suicide. Contrairement à la maladie physique, ils sont peu ou pas visibles. De plus, la population générale a tendance à croire qu’on peut s’en sortir si seulement on avait la volonté de le faire (chose qu’on n’oserait jamais penser de quelqu’un qui a un cancer). Il y a aussi d’autres mythes négatifs associés à la maladie mentale, par exemple la violence, ce qui n’encourage pas les gens à s’ouvrir et demander de l’aide.
Oui, il est vrai qu’on en parle de plus en plus et les gens sont encouragés à chercher de l’aide via des campagnes comme la Semaine nationale de la santé mentale, la Semaine nationale de prévention du suicide et la Journée mondiale de la prévention du suicide, par exemple.
Les témoignages comme celui de la ministre Blais au Forum aide grandement, à mon avis, à briser les barrières du tabou. C’est d’ailleurs pour contribuer à ma façon à cette déstigmatisation que j’ai choisi de me dévoiler un peu dans ce texte. Je peux vous dire que ce n’est pas facile pour moi de m’ouvrir sur ce sujet, étant psychologue. Je peux aussi vous dire qu’il a été ardu pour moi d’aller chercher de l’aide donc je comprends très bien comment cela peut être difficile pour les autres de le faire. J’ai eu la chance d’avoir eu accès aux services dont j’ai eu besoin pour mon rétablissement. Donc, lorsque je prône un plus grand investissement en santé mentale, je le fais non seulement en tant que psychologue-chercheuse, mais aussi en tant que personne ayant utilisé ces services qui ont été essentiels à ma survie et à ma vie.
Je crois qu’il est important de continuer à travailler sur la déstigmatisation : à démystifier, à éduquer, à sensibiliser, et ce, pas uniquement pendant une journée ou une semaine, mais à longueur d’année, afin que les gens vivant avec une maladie mentale ou qui sont suicidaires se sentent écoutés, compris, accueillis et aillent chercher l’aide nécessaire. Oui, il faut absolument investir dans les meilleures pratiques, services et traitements. Cependant, si les personnes vivant avec des troubles mentaux et/ou qui sont suicidaires sont freinées par l’image négative qu’on nous renvoie (et qu’on peut malheureusement internaliser), on n’aura pas plus accès aux services dont on a grandement besoin.