Avant de présenter ces enjeux, il est utile de comprendre l’origine de cette loi, qui émane d’une frustration grandissante — et en partie légitime — d’Hydro-Québec face aux décisions de la Régie. En effet, le secteur de l’électricité, qui s’inscrit dans le secteur plus large de l’énergie, est soumis à des perturbations majeures depuis une quinzaine d’années, avec l’arrivée des gaz de schiste, la fermeture des centrales au charbon, la décarbonisation de l’électricité, les difficultés à faire approuver les infrastructures de transport énergétiques, les technologies de l’information et la chute rapide des prix des énergies renouvelables intermittentes.
Si le Québec a été relativement peu affecté jusqu’à présent par ces perturbations, celles-ci ont déjà touché les marchés qui l’entourent, affectant les contrats à l’exportation, et devraient s’implanter sur notre territoire dans les années qui viennent. Afin de gérer cette transformation, Hydro-Québec doit revoir son offre de services, intégrer de nouvelles technologies et tester des modèles de tarifications novateurs, à l’instar de ce qu’il se fait ailleurs sur la planète.
C’est dans ce contexte de changement que le premier enjeu lié au projet de loi 34 s’inscrit : plutôt que d’adopter une approche proactive et prospective qui permettrait au Québec de se préparer aux changements inévitables qui guettent le secteur de l’électricité, la Régie a fait barrage à plusieurs des propositions d’Hydro-Québec. Elle a aussi échoué à considérer des approches permettant de réagir rapidement aux perturbations qui affectent le secteur, se cantonnant largement à appliquer des analyses dépassées qui ne considèrent pas l’ampleur de la révolution en cours dans le secteur de l’électricité, voire celui de l’énergie au grand complet.
Devant un tel comportement, pour toute réplique, Hydro-Québec a choisi la voie facile : obtenir du gouvernement qu’il la soustraie à ses obligations de reddition de compte, pour lui donner la marge de manœuvre que la Régie lui refuse afin d’innover dans ses offres de services, ses programmes et ses façons de faire. Cette liberté peut sembler alléchante. Toutefois, l’absence de reddition facilitera le repli d’Hydro-Québec sur elle-même; qu’il soit réel ou perçu, ce repli alimentera la méfiance chez les consommateurs et déplacera sur la scène politique tout mécontentement, ce qui risque de polariser la population face aux transformations qui s’imposent.
L’impact des changements proposés par ce projet de loi ne s’arrêtera pas aux frontière du Québec, ce qui soulève un deuxième enjeu crucial : la capacité du gouvernement Legault d’augmenter les exportations d’électricité. En effet, les États américains possèdent généralement des régies très fortes et considèrent celles-ci comme essentielles pour assurer la transparence des tarifs. En soustrayant ses tarifs à l’examen de la Régie, Hydro-Québec s’expose donc à des accusations de dumping de la part de ses opposants, ce qui risque de retarder et même de bloquer certains projets présentement dans les cartons.
Le statu quo dans les rapports entre la Régie de l’énergie et Hydro-Québec n’est plus tenable et le Ministre Julien doit agir. Toutefois, la solution proposée dans ce projet de loi représente non seulement un recul dans la transparence et la bonne gouvernance, mais comporte aussi des inconvénients majeurs pour la population du Québec.
Plutôt que d’affaiblir la Régie de l’énergie pour laisser le champ libre à Hydro-Québec, le gouvernement devrait s’engager dans une réforme visant à améliorer sa pertinence et sa capacité à prévoir et à soutenir les changements qui s’imposent dans les systèmes énergétiques. Avec un peu de volonté, cette transformation pourrait s’accomplir rapidement et assurer le positionnement du Québec comme chef de file dans la modernisation du secteur de l’électricité en Amérique du Nord, pour le bénéfice du plus grand nombre.
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