Même si le recueil évoque «la modernité» des Innus, il n’évite pas pour autant les maux qui affligent la communauté de la Côte-Nord : alcoolisme, décrochage, chômage… Dans le respect. «Ce n’est pas parce que ce n’est pas beau que ce n’est pas précieux. La souffrance mérite d’être prise en considération. C’est une responsabilité de faire comprendre, après des décennies de préjugés sur ma culture et mon peuple, qu’on ne se limite pas à ça.»
Dans cette optique, «il était important pour moi que le film ne fasse pas perdurer ces préjugés et qu’on casse les stéréotypes et les idées préconçues». Pour s’en assurer, Naomi Fontaine a joué «la grande séduction» à Myriam Verreault, dit-elle en riant, l’amenant dans les plus beaux endroits des environs (qui sont très nombreux).
Reste que l’offre de co-scénariser le film l’a prise par surprise. Sans expérience, «mon rôle était de m’assurer que l’histoire et les personnages soient le plus authentiques possible et représentent la réalité. Ça fait du bien de se voir, tel qu’on est, dans mes livres et au cinéma. On est resté fidèle à cette idée.»
La réalisatrice et Fontaine avaient de la marge de manœuvre pour l’adaptation puisque le livre est composé de fragments «sur des gens que j’aime, des moments comme la pêche au saumon, et des lieux, aussi. Il y avait plein de belles possibilités, c’est très évocateur, mais pas de fil narratif.»
Pour ancrer le récit, elles vont arrêter leur choix sur le destin parallèle de Mikuan et Shaniss, deux inséparables depuis leur enfance. La première vit au sein d’une famille aimante alors que la deuxième s’est fait voler son enfance. Leur amitié sera mise à rude épreuve lorsque Mikuan tombe amoureuse d’un Blanc et veut s’arracher d’une réserve qui restreint ses ambitions.
La production a décidé de confier presque tous les rôles à des Innus. Qui se sont présentés en grand nombre aux auditions.
Dans cette optique, la projection spéciale de Kuessipan, à Uashat, dimanche dernier, représentait un grand moment pour l’Innue de 31 ans. Pour elle, un peu, bien sûr, mais surtout pour les siens : «C’est une reconnaissance qu’on devait à la communauté pour leur implication dans la réalisation du film.
«Ma mère m’a seulement dit : “ça me rend fière d’être une femme innue”. C’était ça, l’objectif.»
Admiration mutuelle
Un accomplissement remarquable quand on sait que la collaboration entre les deux artistes n’allait pas de soi, comme le souligne Myriam Verreault. «On est passé par tous les états : le doute et des discussions animées. Il fallait arrimer les deux cultures. Naomi n’est plus la même femme que j’ai connue. On est passé par tellement d’étapes. Mais la confiance est forte maintenant», souligne-t-elle.
Le lien qui les unit est fort, et leur admiration mutuelle, sincère. Naomi Fontaine louange l’ouverture d’esprit de la réalisatrice, qui a su adapter son regard à la réalité des Innus. Myriam Verreault estime «la plume incroyable» de sa consœur.
«Elle apporte aussi des réflexions, sur la société québécoise et sa communauté, qui sont vraiment pertinentes. Naomi met des mots sur des choses qui ont besoin d’être dites. Je me sens privilégiée d’avoir une relation artistique avec elle. On se complète bien.»
Naomi Fontaine n’a pas pour autant le désir de réorienter sa carrière. «Le cinéma est tellement éloigné de ma réalité. Je suis une maman avant tout. J’ai besoin de la tranquillité.» N’empêche. Elle ne voit plus les films de la même façon. Et elle concède travailler à l’adaptation d’une série télé inspirée de Manikanetish, son deuxième roman.
Mais dès qu’elle aura terminé la tournée de promotion pour Shuni, tout juste publié, l’enseignante en français retrouvera la quiétude d’Uashat pour s’occuper de son fils et donner des ateliers d’écriture pour les Innus. «Je vais offrir ça à tout le monde. Ça prend une diversité des voix.»