Un juge de la Cour municipale de Montréal vient de donner raison à Vanessa Anna Baptiste, à qui la Ville reprochait d’avoir enfreint un article du Code de la sécurité routière en refusant de fournir ses papiers à un agent de la paix et d’avoir contrevenu au Règlement sur le bruit en protestant «vivement» contre son interception.
Dans la nuit du 4 novembre 2017, Vanessa Anna Baptiste se dirige vers l’Île Notre-Dame avec la voiture de son père pour aller chercher celui-ci au Casino, relate le juge Randall Richmond dans sa décision. Mme Baptiste est alors accompagnée par son copain, Radouane Outor, assis côté passager.
À l’intersection de l’avenue Papineau et de la rue Sainte-Catherine, Mme Baptiste croise le regard d’une policière au volant d’un véhicule patrouille. Celle-ci fera demi-tour et se mettra à suivre le véhicule de Mme Baptiste jusqu’au pont Jacques-Cartier.
Vers le milieu du pont, les policiers allument les gyrophares, signalant leur désir d’intercepter le véhicule conduit par Mme Baptiste, qui obtempérera et immobilisera sa voiture sur une bretelle de sortie.
À l’arrivée de la policière auprès de la portière de Mme Baptiste, celle-ci tient déjà dans sa main son permis de conduire, son certificat d’immatriculation et son attestation d’assurance, «mais elle proteste vivement contre l’intervention policière, qu’elle attribue à la couleur de sa peau», écrit le juge Richmond.
Soulignant n’avoir commis aucune infraction, Mme Baptiste accuse les policiers de racisme. Ceux-ci la mettent en état d’arrestation et lui passent les menottes.
Pendant sa détention, Mme Baptiste continue de protester et d’accuser les policiers de racisme. Les policiers finiront par la relâcher en lui remettant deux constats d’infraction, l’un pour avoir refusé de fournir à un agent de la paix un document qu’il était en droit d’exiger ou d’examiner, l’autre pour avoir «émis un bruit audible à l’extérieur de cris».
Se basant sur le rapport d’infraction, le juge Richmond rapporte que le motif évoqué par les policiers pour justifier leur décision de faire demi-tour et d’intercepter le véhicule est le fait qu’une femme conduisait un véhicule appartenant à un homme.
«Le sexe de la conductrice n’est pas un motif légitime pour intercepter un véhicule, même s’il appartient à un homme. À la face même du rapport policier, c’est un cas de discrimination basée sur le sexe», analyse le juge.
Le magistrat ajoute qu’il ne croit pas l’affirmation des policiers selon laquelle ils n’auraient pas vu la couleur de la peau des occupants du véhicule lorsqu’ils les ont croisés à l’intersection de Papineau et de Sainte-Catherine, «alors qu’ils pouvaient voir que le véhicule était conduit par une femme avec un homme assis du côté passager».
«Cela dépasse l’entendement. S’il y avait quelque chose d’impossible à voir par les policiers à ce moment, c’était bien plus la plaque d’immatriculation du véhicule de la défenderesse», expose le juge Richmond, pour qui «la croyance de Mme Baptiste [à l’effet] qu’elle avait été interceptée en raison d’un profilage racial» apparaît «tout à fait compréhensible». «Par conséquent, je conclus que les protestations verbales de Mme Baptiste étaient sincères et raisonnables», écrit-il.
Cris «légitimes»
À propos des «cris » de Mme Baptiste, le juge mentionne ne pas être «convaincu hors de tout doute raisonnable» que leur volume dépassait celui du bruit ambiant, soit celui de véhicules qui circulent rapidement sur le pont Jacques-Cartier, et que ces cris auraient pu interférer avec la jouissance de l’environnement.
«Compte tenu du contexte de l’interception, les cris sincères de Mme Baptiste ne m’apparaissent pas perturbateurs, mais plutôt légitimes», note le juge Richmond.
Selon lui, en criant au profilage racial, Mme Baptiste cherchait à «dénoncer une intervention illégitime par des personnes agissant au nom de l’État».
Quant à l’infraction au Code de la sécurité routière, le juge Richmond n’est pas convaincu que Mme Baptiste a refusé de fournir ses documents. «Avant même l’arrivée d’un policier à sa portière, elle avait sorti ses papiers et les tenait dans sa main», souligne-t-il.
«Je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que les policiers agissaient en vertu du Code de la sécurité routière ou d’une autre loi. L’intervention policière avait toutes les apparences d’une partie de pêche et d’une détention arbitraire motivée par un profilage racial ou sexuel ou les deux à la fois», conclut le juge Richmond avant d’acquitter Mme Baptise des deux infractions.