À son procès civil qui s’est tenu au début juin, Jean-François Roy, 64 ans, s’est opposé à toute preuve sur les circonstances de son arrestation. Le juge Martin Dallaire a rejeté cette objection.
Le soir du 29 septembre 2010, un couple rentre à la maison après avoir assisté à un spectacle. Ils suivent un véhicule qui zigzague sur la chaussée. «Le conducteur est assis de côté, accoté dans la portière... il avait la tête qui tombait vers l’arrière et semblait avoir de la difficulté à garder les yeux ouverts... son véhicule s’est déplacé vers le mien, m’obligeant à frôler le garde-fou», a témoigné le conducteur.
Le couple appelle le 9-1-1. Après une courte poursuite, les agents Maria Mélissa Hotte et Jérôme Chayer de la police de Québec interceptent Jean-François Roy à l’angle des boulevards Chauveau et Robert-Bourassa.
L’agente Hotte questionne Roy sur sa consommation. Il répond d’abord par la négative. La policière rétorque qu’elle renifle une forte odeur d’alcool. Le chef de police finit par admettre qu’il a pris un verre ou deux lors d’un cocktail dinatoire.
Lorsque la policière lui demande son permis et son certificat d’immatriculation, Jean-François Roy exhibe sa carte de policier. La patrouilleuse insiste pour obtenir les documents demandés.
Manoeuvre «peu édifiante»
Dans son jugement, le juge Martin Dallaire de la Cour supérieure souligne «le courage et la détermination des policiers, nouveaux dans leur fonction, face à l’ampleur de l’arrestation, alors que le directeur, usant de son statut, exhibe sa carte».
Une telle manoeuvre se révèle peu édifiante, commente le juge Dallaire, «comme si le fait d’être chef de police le mettait au-dessus des lois et que la solidarité policière lui permet d’éviter pareille situation».
Jean-François Roy échoue en soufflant d’appareil de détection approuvée.
Au poste de police, Jean-François Roy appelle son avocat. La conversation s’étire sur 30 minutes.
L’avocat contacté par Roy demande à parler à la patrouilleuse Hotte. Il lui rappelle l’importance du prévenu en raison de son statut, cite le juge Dallaire et se présente comme «l’avocat des policiers de la Ville de Québec».
La technicienne prélève ensuite deux échantillons d’haleine de Roy. Elle obtient des résultats de 0,178 et 0,174.
Jean-François Roy quitte le poste de police vers 1h, «en contrôle et souriant», selon le policier qui l’a raccompagné et lui a remis une citation à comparaître.
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ÉCHEC EN COUR
L’ex-chef de police de Lévis Jean-François Roy, qui a bénéficié d’un arrêt des procédures après avoir été arrêté pour ivresse au volant, voit sa poursuite en dommages contre la Ville de Québec et le DPCP rejetée sur toute la ligne.
Le juge Martin Dallaire de la Cour supérieure conclut que l’arrêt des procédures, prononcé en 2014 au bénéfice de Roy, constitue une indemnisation suffisante pour l’atteinte aux droits de l’accusé. «Vouloir indemniser l’atteinte de ce droit par l’attribution de dommages et intérêts après avoir bénéficié de cet arrêt de procédures apparaît aux yeux du Tribunal comme une double indemnité», estime le juge Dallaire.
La Cour du Québec a ordonné l’arrêt des procédures en raison de la lenteur du ministère public à divulguer des informations au sujet des qualifications de la technicienne en alcotest.
Cette technicienne était qualifiée au moment de l’arrestation de Jean-François Roy en 2010, mais a échoué les tests de requalification quelques mois plus tard. La défense a reçu la divulgation complète de cette information seulement à la veille du procès, en septembre 2014, quatre ans après son arrestation.
Cette divulgation tardive a porté atteinte au droit de l’accusé d’avoir un procès dans des délais raisonnables, a conclu la Cour du Québec.
L’ex-chef de police de Lévis poursuivait la Ville de Québec et le Directeur des poursuites criminelles et pénales pour une somme de 1,8 million $, les rendant responsables de la fin prématurée de son emploi, à l’âge de 55 ans, et les accusant de poursuite abusive et de conduite malveillante.
Le juge Dallaire rappelle que le ministère public a l’obligation de divulguer tous les renseignements pertinents, qu’ils soient inculpatoires ou disculpatoires.
Après avoir entendu le procès, le juge Dallaire ne voit aucune malveillance dans la conduite de la Ville de Québec ni dans celle de la poursuite. Les policiers de Québec n’ont pas retenu l’information sur la non-requalification de la technicienne, observe le juge. Pour sa part, le procureur de la Couronne n’avait pas divulgué l’information qu’il jugeait non-pertinente, puisque la technicienne était qualifiée au moment de l’arrestation.
Après son arrestation et la médiatisation de l’affaire, Jean-François Roy a été suspendu sans solde par le conseil de ville de Lévis. Les tribunaux maintiennent la suspension, mais rétablissent le salaire, sans les avantages sociaux, du directeur de police.
En juin 2011, Roy et la Ville de Lévis s’entendent; le directeur de police accepte de quitter moyennant une indemnité de départ. Devant la Cour supérieure, Roy dira qu’il n’avait pas le choix et qu’il avait «un fusil sur la tempe» puisque le conseil de ville menaçait de le destituer.
Des frais de 5000$
Selon le processus judiciaire normal, les frais sont supportés par la partie perdante. Dans sa conclusion, le juge Dallaire dégage Roy de payer les frais concernant les dépenses du DPCP, mais ordonne au retraité de payer 5000$ à la Ville de Québec pour couvrir une partie des frais d’experts.