«Je ne conserve rien.» Louis Lessard est catégorique. Le propriétaire du 530, Grande Allée est a déjà engagé l’entrepreneur responsable de mettre à terre l’immeuble controversé après avoir obtenu vendredi son permis de démolition de la Ville de Québec.
«Je vais faire détruire la partie haute du clocher en premier pour libérer le haut et réduire le périmètre de sécurité. Le but c’est de redonner accès à la Grande Allée en rapprochant le mur de protection près du trottoir. Ça sera terminer au plus tard le 8 juillet pour le début du Festival d’été», explique-t-il au Soleil.
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Un rapport d’expert déposé devant le tribunal par le propriétaire au printemps concluait que le bâtiment était fragile au point que des morceaux du parement pouvaient se détacher. Depuis, d’immenses blocs de béton ceinturent l’édifice et retranchent des voies de circulation sur l’artère hautement touristique.
«C’est une situation qui rend les citoyens et les commerçants inquiets. C’est inacceptable. La bonne décision, un peu tard, elle est arrivée. On démolit ça et on libère la Grande Allée», ajoute M. Lessard.
La fin de la démolition est prévue au plus tard le 31 octobre, mais le propriétaire croit pouvoir terminer en septembre. Il a l’obligation de niveler et gazonner le terrain. Il sera clôturé, en attendant le dépôt d’un projet de construction qui pourrait arriver plus tard que tôt.
«Je n’ai pas de projet. Tout est sur la glace. Aujourd’hui, on règle la démolition», précise l’homme d’affaires, qui avait un projet de tour à condos de 18 étages à cet endroit. Les résidents et touristes devront donc conjuguer avec la présence d’un trou dans le tissu urbain sur Grande-Allée.
Trop coûteux
Le propriétaire a toujours accusé l’administration municipale de l’empêcher de réaliser son projet. De son côté, la Ville souhaitait préserver le bâtiment. Elle avait même entrepris des démarches d’expropriation.
«Juste conserver la façade c’est 7 à 8 millions $. On ne joue pas avec de l’argent de Monopoly. Il y aura quelqu’un, un jour, qui fera un projet là. Pas sûr que ça sera moi. Je vais d’abord régler mes comptes avec l’administration Labeaume en avril», enchaîne-t-il, à propos du litige qui l’oppose à la Ville depuis plus de 10 ans.
De plus, il envisage toujours la possibilité de poursuivre la Ville qu’il tient responsable d’un dégât d’eau survenu l’hiver dernier et qui aurait conduit à l’instabilité du bâtiment et à la démolition aux frais de M. Lessard. Le coût estimé est d’environ 1 million $.
«Je n’ai plus d’assurance responsabilité. La démolition est une libération pour moi. C’était vraiment dangereux.»
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Pas d’accord
«Il y a eu entente entre M. Lessard et la Ville aux mêmes conditions que celles de la commission d’urbanisme. On souhaite garder les pierres et les réintroduire dans un nouveau projet», a commenté la conseillère Marie-Josée Savard, responsable de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Cette lecture de la situation est en opposition avec celle du propriétaire.
Mme Savard laisse entendre que c’est lors de la réalisation d’un projet de remplacement que le futur promoteur, qui qu’il soit, pourrait avoir maille à partir avec la commission d’urbanisme si les conditions de construction ne sont pas respectées.
D’autre part, elle a défendu la Ville qui, pour certains, a laissé traîner les choses dans ce dossier. «On entend dire que c’est la faute de la Ville. Rappelons que le diocèse a vendu à un propriétaire sans avoir vu aucun projet. À l’avenir, il faudra s’assurer de la pérennité des bâtiments lors de la vente.»
Et malgré la délivrance d’un permis de démolition, Mme Savard maintient, à la lumière des experts de la Ville, que l’église n’était pas à risque d’effondrement à court terme. «Ça a manqué énormément d’amour et d’entretien. À long terme, il y aurait eu des problèmes, pas dans l’immédiat.»
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LA MINISTRE ROY REJETTE LA DEMANDE DE CLASSEMENT
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Malgré l’imminence d’une démolition, la Fédération Histoire Québec a demandé à la ministre de la Culture de procéder au classement de l’Église Saint-Cœur-de-Marie en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Trop peu, trop tard.
«Aujourd’hui, les dés sont jetés. Cette saga, qui s’est éternisée pendant plusieurs années, a mené à la détérioration du bâtiment de telle sorte qu’il est aujourd’hui considéré comme un danger pour la sécurité des citoyens et que les tribunaux ont tranché quant à son avenir. Je ne peux en appeler de cette décision, la Cour supérieure a décidé de sa démolition. C’est donc avec consternation que j’ai pris connaissance de ce jugement rendu le 20 juin dernier entérinant une entente intervenue entre le promoteur et la Ville de Québec autorisant la démolition de Saint-Cœur-de-Marie», a fait savoir par courriel le bureau de la ministre, Nathalie Roy.
L’organisme, qui regroupe les sociétés d’histoire du Québec, demandait une intervention ministérielle dans une lettre envoyée le jeudi 20 juin. «Le classement ne constitue pas une interdiction de modifier le bâtiment, mais plutôt une opportunité de développer un projet respectueux du patrimoine qui contribuerait à l’intégrité historique et paysagère de la Ville de Québec», écrit Richard Bégin, président de l’organisme.
Il donne en exemple plusieurs exemples de projets de reconversion réussis, dont la Maison de la littérature de Québec aménagé dans l’ancien temple Wesley, au cœur du Vieux-Québec.
La fédération rappelle que «la trame patrimoniale de la Grande Allée a fait l’objet de plusieurs altérations au cours des dernières années» avec la démolition de la chapelle des Franciscaines en 2008 et la démolition du couvent des Dominicains en 2011, sans compter l’abandon de la maison Pollack. Selon l’organisme, la disparition de ces bâtiments «a grandement affecté l’intégrité patrimoniale de la Grande Allée, une artère prestigieuse qui constitue la porte d’entrée du Vieux-Québec, site du patrimoine mondial de l’UNESCO».
Dans sa lettre, M. Bégin souligne que les éléments architecturaux de l’édifice de style romano-byzantin en fait l’une des rares ou sinon la seule de ce type au Québec : «l’impressionnant clocher, la présence de grandes arcades sur les façades et le mode de construction particulier des voûtes de briques posées en chevrons. Pour ces raisons, nous sommes d’avis que cet immeuble jouit d’une valeur patrimoniale nationale».
Pour lui, même la conservation minimale de la façade pour l’intégrer à une éventuelle tour à condos de 18 étages «apparaît indéfendable».