Beyond Meat: les boulettes diaboliques...

BLOGUE / Ce serait presque un euphémisme de dire que j'ai reçu beaucoup de réactions à ma chronique sur les «fausses boulettes», parue la semaine dernière. J'aurais dû m'y attendre, remarquez : tout ce qui touche à notre quotidien et notre mode de vie suscite ce genre de réactions. Plusieurs m'ont accusé de vouloir tuer l'agriculture locale (rien de moins), d'être le pantin de «Big Ag», de négliger plusieurs aspects importants de l'histoire et de passer à côté de la «vraie solution» que serait la «gestion holistique» des pâturages. Alors revenons-y un peu, parce qu'il y a des choses utiles à faire ressortir là-dedans.


Pour récapituler, dans le texte en question, je répondais à un lecteur qui voulait savoir s'il est vrai que les «fausses boulettes» faites de matière végétale comme celles de Beyond Meat et Impossible Burger, que l'on trouve maintenant dans pas mal toutes les épiceries, sont vraiment plus «écolos» qu'un bœuf qui serait produit localement. Et la réponse est oui, car même si les boulettes végé sont importées et faites de produits qui ont voyagé pas mal pour être transformés en usine, il reste que le plus clair des gaz à effet de serre (GES) et des autres impacts environnementaux de l'agriculture survient à la ferme, pas lors du transport.

Si l'on tient compte du fait que les animaux ne transforment qu'une petite partie de leur nourriture en viande, alors la production de chaque kilo de viande occupe forcément plus d'espace et mobilise plus de ressources que son équivalent végétal. C'est d'ailleurs particulièrement vrai des bovins, qui sont parmi les moins efficaces à transformer leur nourriture en viande et dont le système digestif produit de grandes quantités de méthane, un GES 30 fois plus puissant que le CO2.

Nombre de lecteurs doutent manifestement de cette conclusion. Alors voici les principaux arguments qui m'ont été signalés, on pourra en discuter.

L'approche «régénérative» ou «holistique»

Vous dire à quel point l'adjectif holistique suscite immédiatement ma méfiance, à cause de son omniprésence dans les milieux de la «santé naturelle» et des médecines dites «alternatives»... Mais bon, c'est quand même le point qui m'a été le plus fréquemment soumis au sujet de ma chronique sur les fausses boulettes.

Essentiellement, cet argument dit que si l'on fait des rotations agressives de pâturage de manière à ce que les bovins n'aient jamais le temps de tout brouter avant qu'on les change d'enclos, alors on permet au sol d'accumuler du carbone (qui est capté par les herbages). Non seulement cette approche réduirait les émissions de GES, mais on me signale que cela transformerait carrément la production bovine en puits de carbone : le sol de ces pâturages emprisonnerait tellement de carbone, me disent les partisans de cette agriculture «holistique», que l'effet net serait de diminuer l'effet de serre au lieu d'y contribuer.

Ce n'est pas une mince affirmation, ça, messieurs dames... Plusieurs m'ont cité ce rapport à l'appui. L'ennui, c'est qu'il a été rédigé par une firme de consultants à la commande de l'entreprise White Oak Pasture, qui est... un producteur de bœuf «holistique». Le conflit d'intérêts est patent, et je n'ai rien vu qui permette de croire que des mesures (revue par les pairs, ou du moins par des relecteurs externes) ont été prises pour neutraliser les biais qui en découleraient.

Il existe tout de même certains travaux dûment publiés dans la littérature scientifique qui concluent que cette approche peut plus que compenser le méthane émis par les bœufs — cette étude-ci, par exemple, arrive des émissions négatives de –6,65 kg de CO2 par kilo de carcasse. Mais tout indique qu'il s'agit de conclusions qui vont à l'encontre de la très grande majorité des recherches sur le sujet, donc c'est à prendre avec un très gros grain de sel. J'ai trouvé d'autres sources, très solides, qui doutent fortement qu'il soit possible que la production bovine puisse devenir un puits de carbone (même si elle a d'autres avantages environnementaux), ou du moins que ce genre de résultats soit généralisables ou soutenables à long terme.

En outre, même si on accepte malgré tout la prémisse que l'approche régénérative compense bel et bien tous les GES de la production bovine, cela ne resterait rien de plus qu'un compromis, un «trade-off», comme on dit en anglais. Faire se promener le bétail dans plusieurs enclos pour permettre au couvert végétal de se régénérer implique en effet d'occuper plus d'espace par kilogramme de viande produite, donc d'empiéter davantage sur des superficies qui seraient autrement laissés à l'état naturel. Or ce n'est pas un détail anodin : la perte d'habitats est un des principaux facteurs d'extinction des espèces. Cette réduction des GES, si elle est réelle, viendrait donc avec un coût considérable.

(Remarquez que cela ferait certainement l'affaire de certaines espèces d'oiseaux champêtres qui ont beaucoup souffert de la quasi disparition des «pâturages d'antan» depuis quelques décennies, mais la règle générale demeure qu'il vaut mieux produire notre nourriture sur un aussi petit espace que possible.)

Les vaches de réforme sont moins polluantes

Quelques agriculteurs québécois m'ont signalé que je citais une analyse de cycle de vie américaine alors qu'au Québec, une bonne partie de notre steak haché ne vient pas de bovins élevés juste pour la viande, mais plutôt de vaches de réforme, qui ont produit du lait toute leur vie avant d'être envoyées à l'abattoir. Et il est vrai que l'empreinte écologique d'une boulette de viande est moindre si elle vient d'une vache de réforme.

Le hic avec ce point, cependant, c'est que les auteurs de l'étude que je cite en ont déjà tenu compte dans leurs calculs (voir p. 30 du document). Les proportions de vache de réforme ne sont peut-être pas les mêmes de ce côté-ci de la frontière, mais les avantages environnementaux des boulettes végétales sont si grands qu'il serait extrêmement étonnant que ce point puisse les éliminer.

Un monde sans fumier

Dernier point, mais non le moindre : plusieurs lecteurs m'ont signalé que l'agriculture a besoin d'une forme ou d'une autre d'engrais. Autrement, la terre s'épuise et ses rendements s'amenuisent. Or l'élevage fournit justement une bonne partie de ces engrais, sous la forme de fumier ou de purin — l'autre source majeure étant les engrais synthétiques. Alors, me signale-t-on, si tout le monde cesse de consommer de la viande demain matin, il faudra forcément remplacer fumier et purin par des engrais synthétiques, dont la production est polluante.

Et c'est un point en partie valide, il faut le dire. Cependant, une bonne partie des nutriments fournis par le fumier/purin provient ultimement d'engrais synthétiques, qui ont été utilisés pour faire croître la nourriture que l'on a donnée aux animaux. Alors on revient à la case départ, ici : comme il faut quelque chose comme 3 à 5 kg de grain pour produire 1 kg de viande, alors on n'a pas besoin d'en cultiver autant si l'on consomme directement les grains que si l'on mange la viande, si bien qu'en bout de ligne, cela peut signifier que l'on utilise moins d'engrais synthétiques même si l'on se «prive» de fumier/purin.

Notez ceci pour terminer, je vous prie : je ne suis pas en train de dire qu'il faut tous se convertir au végétarisme. Je répète : je ne plaide pas pour le végétarisme. Je consomme moi-même de la viande et n'ai pas l'intention d'arrêter, même si je cuisine aussi végé quelques fois par semaine parce que ça coûte moins cher pour une grosse famille et que ça peut être très bon aussi. C'est juste qu'au départ, la question qui m'était soumise par le lecteur et à laquelle je répondais dans ma chronique de la semaine dernière impliquait de comparer l'empreinte écologique du bœuf et des plantes. Et il est indéniable que ces dernières pèsent moins lourd sur l'environnement que le bovin. C'est juste ça que je dis.

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