Jusqu’à ce que la démocratisation de l’auto combinée au boom démographique de l’après-guerre mène à un nouveau modèle d’urbanisme. Celui de banlieues où il n’était désormais plus nécessaire que les résidences et services d’utilité soient à distance de marche raisonnable.
Il en a résulté des villes de plus en plus éclatées et dépendantes de l’auto.
On aura mis une trentaine d’années avant de commencer à remettre en question cette nouvelle façon de faire.
L’urbaniste californien Peter Calthrope (né à Londres) fut un de ceux qui ont contribué de façon décisive à la réflexion avec son concept de Transit Oriented Development (TOD), élaboré au début des années 1990.
Il entendait par là un quartier mixte (résidences, bureaux, commerces, services) de forte densité construit autour d’un parc et à distance de marche du transport en commun. On parle de cinq minutes, un peu plus peut-être, ce qui fait un rayon de 400 à 800 mètres, selon la vitesse à laquelle on marche.
Le concept de TOD a peu à peu fait son chemin dans les plans d’urbanisme des villes nord-américaines, même si le nom et l’intensité d’un TOD n’y sont pas toujours.
On en reconnaît plusieurs des orientations dans les programmes particuliers d’Urbanisme (PPU) de la Ville de Québec et le concept des TOD revient régulièrement dans les mémoires lors des consultations publiques.
On ne le retrouve pas (encore) dans les documents officiels de la Ville, ce qui pourrait s’expliquer peut-être par l’absence d’un véritable réseau de transport en commun structurant sur lequel s’appuyer.
Forte d’un métro et bientôt d’un REM, Montréal a formellement désigné 155 aires qu’elle veut développer selon le concept TOD. Elle vise à y loger 40 à 60 % des nouveaux ménages.
L’Institut de développement urbain du Québec (IDU), qui regroupe les grands promoteurs immobiliers de la région de Québec, propose à la capitale de profiter de l’implantation du tramway pour retenir à son tour le concept TOD.
L’IDU a identifié quatre pôles où il dit sentir que les promoteurs de Québec ont «envie de jouer au jeu» avec les règles TOD, expose le directeur général André Boisclair.
Trois de ces pôles sont situés sur le parcours du futur tramway, soit Chaudière (avenue Legendre, IKEA), Saint-Roch/ExpoCité et Sainte-Foy (Laurier, de l’Église).
Le quatrième, Lebourgneuf, n’est pas desservi par le futur tramway (ni par le trambus). C’est en soi une sorte d’aberration, mais particulièrement si on voulait en faire un TOD.
L’IDU propose de transformer la ligne de trambus Saint-Roch–ExpoCité en une ligne de tramway et de prolonger celle-ci jusqu’à Lebourgneuf.
Ce quartier est au cœur géographique de l’agglomération de Québec et en est un des grands pôles d’emploi.
Il pourrait devenir un pôle d’échange pour des parcours d’autobus en provenance des quartiers du nord qui se sentent un peu les laissés-pour-compte du projet de transport structurant.
Cette proposition (et d’autres) sera soumise à la discussion au «grand rendez-vous» de l’industrie immobilière de Québec, lundi, à deux jours du Forum de l’habitation de la Ville.
Outre le souhait de relier rapidement Lebourgneuf au tramway, la vision de l’IDU n’est pas très différente de celle de la Ville de Québec.
L’administration Labeaume projette elle aussi de densifier le long du réseau de transport structurant et d’offrir des services de proximité aux stations, particulièrement aux pôles d’échanges.
Il est peu probable que chaque station du futur tramway puisse aspirer à devenir un cœur de quartier multifonctionnel de type TOD.
Mais c’est réaliste pour les bouts de lignes, pôles d’échange et stations à forte affluence. C’est déjà le cas d’ailleurs pour plusieurs stations des lignes Métrobus où passera le tramway.
On va cependant partir de plus loin pour le pôle Legendre, futur terminus du tramway dans l’ouest.
Le modèle qu’on y retrouve actuellement, de grosses boîtes de tôle entourées de stationnements de surface (ex. : IKEA), est l’antithèse parfaite de celui des TOD.
On voit difficilement que le magasin tout neuf puisse être relogé ou qu’on construise sur ses parkings. Un projet TOD serait handicapé au départ par les choix récents de développement.
Les plus optimistes préféreront y voir un grand potentiel de densification. C’est un fait, même si on risque de devoir attendre que les nouveaux commerces (IKEA, Decathlon et autres) tombent en désuétude pour pouvoir y créer un quartier avec des qualités urbaines qui ne serait pas dépendant de l’auto.
La question se pose aussi, bien que dans une moindre mesure, pour les pôles Sainte-Foy Ouest et ExpoCité–Fleur de Lys où on retrouve aussi de grands stationnements de surface. Un développement TOD «commande» une meilleure utilisation de ces espaces. La Ville est ici d’accord.
L’IDU suggère d’ailleurs à Québec de réduire les ratios de stationnements qu’elle exige dans les secteurs ciblés pour des TOD.
J’ai été un peu surpris que les secteurs D’Estimauville et Charest, qui seront desservis par le trambus (autobus articulés à forte fréquence roulant en corridor réservé), ne figurent pas dans les plans de l’IDU.
Ce n’est pas un hasard. Les promoteurs croient qu’il y a davantage de potentiel et plus d’intérêt dans les quatre autres pôles identifiés par l’IDU.
J’y vois aussi un rappel que la (lente) démographie de Québec et son rythme de croissance économique (limité) ne permettent pas de développer simultanément tous les secteurs de la ville avec la même intensité.
La proposition de l’IDU a le mérite d’être parfaitement cohérente avec le projet de transport structurant. Elle contribue de façon constructive, c’est le cas de le dire, à la réflexion sur le modèle de développement souhaité pour Québec.
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Un TOD n’est pas en soi une garantie de succès, s’il ne devait être qu’un outil mathématique servant à fixer des normes de densité, d’usages ou de distances avec la station de transport.
Pour réussir, il doit en résulter un quartier où il fait bon vivre et où il est facile et agréable de marcher ou d’aller à vélo. Un quartier connecté sur la ville existante et non pas une enclave isolée.
Un quartier avec des services, des espaces de rassemblement et une diversité de logements pouvant convenir à des besoins et des moyens financiers variés.
Les TOD n’inventent rien. C’est, quand y pense, un retour aux principes d’aménagement d’avant la Guerre, présentés avec une nouvelle étiquette marketing qui leur donnent un air de modernité.
Un modèle TOD, comme au temps des Ford T (produits de 1908 à 1927). Je n’ai rien contre.