Chronique|

Comment respirer dans l'espace (pendant 20 ans)

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Lorsque j’ai vu les images du sas qui s’ouvrait pour laisser sortir David Saint-Jacques dans l’espace, le 8 avril dernier, je me suis demandé comment on arrivait à maintenir la «pression atmosphérique» à l’intérieur du laboratoire spatial ? Est-ce qu’on arrive à récupérer l’air présent dans le sas ? Et s’il y a des pertes d’air, est-ce qu’ils ont des bonbonnes de réserve ? Enfin, la pression est-elle la même que celle que nous avons au niveau du sol ?», demande Raymond Martel, de Québec.


De manière générale, dit Mathieu Caron, ingénieur principal des opérations à l’Agence spatiale canadienne, «la Station spatiale (SSI) est très étanche. C’est sûr que conceptuellement, il y a toujours des pertes, mais c’est infinitésimal». La principale source de perte d’air, précise-t-il, ce sont justement les «marches spatiales» comme celle dont M. Martel parle.

«Quand ils font des sorties dans l’espace, les astronautes vont dans le sas, ils ferment porte, mettent leur scaphandre, et après on commence à retirer l’air du sas, explique M. Caron. Ils descendent ça jusqu’à une fraction de la pression de départ : sur la SSI, la pression est à 101,3 kilopascal (ndlr : c’est la pression moyenne sur Terre, au niveau de la mer), et dans le sas ils descendent à peu près au tiers de ça. Mais il reste encore de l’air, et cet air-là est perdu dans l’espace quand les astronautes sortent.»

Et c’est sans compter qu’à ces pertes s’ajoute le fait que les astronautes et les animaux de laboratoire qui servent à des expériences à bord consomment eux-mêmes de l’oxygène, et rejettent du gaz carbonique. La Station a toutefois des réserves à bord : «Il y a quatre réservoirs à haute pression qui sont situés près du sas, dit M. Caron. Deux qui contiennent de l’oxygène et deux qui contiennent de l’azote. Ça sert surtout pour approvisionner les combinaisons des astronautes, quand ils font des sorties, mais ça peut aussi servir pour la station elle-même.» Ces réserves peuvent être utiles notamment en cas d’accident — c’est arrivé l’an dernier, d’ailleurs, quand un petit trou dans une capsule Soyouz a laissé s’échapper de l’air avant d’être colmaté.

La SSI peut aussi être réapprovisionnée en oxygène et en azote (qui compose 78% de l’air, ne l’oublions pas !) par les capsules russes inhabitées Progress, dit l’ingénieur de l’ASC.

En outre, poursuit-il, la station elle-même est équipée de plusieurs «systèmes» qui permettent de garder l’air respirable à bord. C’est d’ailleurs particulièrement important dans le cas de la SSI, qui est une installation permanente — contrairement aux fusées et aux navettes de jadis, qui ne restaient pas longtemps dans l’espace et pour lesquelles dépendre entièrement de leurs réserves n’étaient pas bien grave.

«Il y a d’abord un système qui prend les eaux usées et les recyclent, dit M. Caron, et une partie de cette eau-là subit ce qu’on appelle de l’électrolyse : on brise les molécules d’eau (H2O) avec un courant électrique, ce qui donne de l’oxygène (O2) et de l’hydrogène (H2). L’oxygène peut être remis dans l’atmosphère de la Station. Et ce qu’on fait avec l’hydrogène, c’est qu’on le combine avec du gaz carbonique (CO2) exhalé par les occupants de la SSI et récupéré par un autre «système», et là ça fait de l’eau et du méthane (CH4). L’eau, on la conserve, mais le méthane est renvoyé dans l’espace.»

Voilà donc comment on maintient une atmosphère vivable sur la station spatiale depuis des années.

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«J’aimerais savoir si les astronautes de la SSI voient les constellations ou les phases de la lune comme nous les voyons depuis la Terre ? Je prends pour exemple la forme caractéristique de la Grande Ourse. De même, certaines constellations sont plus visibles en été alors que d’autres le sont davantage en hiver. Comme il n’y a pas de saisons dans l’espace, les astronautes voient-ils l’ensemble du ciel comme nous ?», demande Richard Marcoux.

La SSI file à près de 7,7 kilomètres par seconde (bien lire: par seconde), ce qui lui fait faire le tour de la planète de 15 à 16 fois par jour, alors les saisons ne comptent pas là-haut. Mais hormis ce «détail», oui, les astronautes voient la lune et les constellations comme nous, et même mieux que nous puisque la lumière des astres n’a pas à passer à travers l’atmosphère pour se rendre jusqu’à eux. La Station orbite à environ 400 km d’altitude, alors que la Lune est située à plus de 380 000 km de la Terre, donc les astronautes à bord ne la voient pas différemment de nous, et c’est encore plus vrai pour les étoiles, dont la distance se compte en années-lumière.

On peut avoir l’impression que les astronautes ne voient pas les étoiles parce que bien des photos prises dans l’espace n’en montrent aucune — c’est d’ailleurs une question qui m’a été envoyée à quelques reprises. Mais c’est simplement une question de contexte et de sensibilité des appareils. Les étoiles ne sont pas de grosses sources de lumière, si bien qu’elles peuvent être «enterrées», pour ainsi, par des sources lumineuses plus fortes, comme le Soleil ou la lumière que la Terre réfléchit. L’œil humain est souvent capable de retrouver un signal faible à travers un «bruit de fond», mais les appareils photo n’ont pas tous cette capacité. D’où les ciels entièrement noirs que l’on voit sur des image des missions lunaires, par exemple.

Les photos ci-bas l’illustrent bien, d’ailleurs. Toutes deux ont été prises sur la SSI, mais sur celle du haut, on ne voit aucune étoile parce que la Terre est une source de lumière trop forte. Sur celle du bas, cependant, on aperçoit très cllairement la Voie lactée. On peut aussi trouver, ici et sur le web, de très belles vidéos d’étoile prises de la Station.

Pas d'étoiles visibles à l'arrière plan : la lumière réfléchie par la Terre est trop forte pour que l'appareil photo détecte la faible lueur des étoiles...
...mais dans les bonnes conditions, on peut bel et bien apercevoir (et photographier) les étoiles sur la SSI.