Les entreprises privées, les ministères et les organismes publics sont soumis aux deux lois qui encadrent la protection des renseignements personnels au Québec. Et les partis politiques? Non.
Cette exemption est préoccupante et injustifiée.
Nous sommes en 2019 après tout, à l’ère numérique. Le pointage téléphonique est derrière nous.
Et pourtant, la Loi électorale encadre uniquement l’utilisation et la communication des renseignements qui sont inscrits sur la liste électorale, rappelle Élections Québec. Le nom de l’électeur, son adresse, son sexe, sa date de naissance.
Comme si d’autres sources ne permettaient pas aux partis de colliger des données pour cibler finement les préoccupations des citoyens selon les secteurs, d’établir des profils types et de communiquer avec eux de la façon qui leur permettra de récolter le maximum de votes.
Prises de position publiques dans des blogues ou dans les journaux, pétitions, médias sociaux, bases de données géodémographiques achetées auprès de tiers, renseignements recueillis par des bénévoles lors de porte-à-porte ou de congrès, sont d’autres sources potentielles de renseignements des partis politiques identifiées par Élections Québec. Le consentement de l’électeur dans tout ça?
Il est aussi impossible pour les citoyens en âge de voter de savoir quels renseignements les libéraux, les caquistes, les péquistes ou les solidaires ont sur eux.
L’an dernier, l’affaire Facebook-Cambridge Analytica a bien démontré les risques à laisser circuler des renseignements personnels sans protection, ainsi que la récupération et le détournement que peuvent en faire des acteurs politiques.
Élections Québec a déposé en février à l’Assemblée nationale une étude pour susciter la réflexion sur les enjeux liés à l’utilisation des renseignements personnels détenus par les partis politiques, Partis politiques et protection des renseignements personnels. Exposé de la situation québécoise, perspectives comparées et recommandations.
La semaine dernière, La Presse rapportait que les députés des quatre formations politiques ont accepté d’entendre le directeur Pierre Reid en commission parlementaire, d’ici la fin de la session.
Démontrer de l’inquiétude et écouter le directeur des élections c’est bien, c’est un premier signal positif, bien qu’Élections Québec réclamait une commission spéciale. Mais les élus devront aussi accepter par la suite de revoir le cadre législatif qui avantage leurs formations politiques.
Le gouvernement libéral de Philippe Couillard a bien tenté de corriger quelque peu le tir. En vain.
Le Directeur général des élections (DGEQ) fait des représentations depuis 2013. Ce serait gênant de remettre les travaux aux calendes grecques.
D’autant plus, que les répondants à un sondage ont indiqué dans une proportion de 85 % que la protection de leur vie privée devait avoir préséance sur le besoin des partis politiques de communiquer avec l’électorat. Ils réclament un meilleur encadrement de l’usage des données personnelles par les partis politiques.
Puisque le gouvernement Legault n’hésite pas à se fier à des sondages pour guider ses décisions, peut-être trouvera-t-il dans celui brandi par le DGEQ une motivation à modifier la Loi électorale et à soumettre les partis à une loi sur la protection des renseignements personnels comme le sont les organismes privés et publics.
D’autres ont tracé le chemin. Élections Québec donne notamment l’exemple de la Colombie-Britannique et de certains pays européens.
Si une volonté réelle s’exprime de la part de tous les partis politiques, rien n’est impossible d’ici les prochaines élections.