Critique de la semaine: La grande noirceur *** 1/2

Philippe (Martin Dubreuil) rencontre dans son périple Hector Batignole, un agent d’artistes (Reda Kateb, suave) qui sympathise pour mieux le trahir.

CRITIQUE / En entrevue, Maxime Giroux a été clair (sans jeu de mots) : La grande noirceur est une œuvre cinématographique destinée à bousculer le spectateur plutôt que lui offrir une histoire convenue avec toutes les clés de lecture. Et le réalisateur le fait de façon intelligente, proposant un récit captivant (bien qu’étrange) et une formidable allégorie sur le Québec actuel.


Giroux (Félix et Meira, 2015) a placé au cœur de cette œuvre magnifique et intrigante un Québécois errant. Il s’agit de Philippe (Martin Dubreuil). On sait peu de choses de ce déserteur ni quelle guerre il fuit. Sauf qu’il s’ennuie de sa mère (au propre comme au figuré).

Philippe (Martin Dubreuil) rencontre dans son périple Hector Batignole, un agent d’artistes (Reda Kateb, suave) qui sympathise pour mieux le trahir.

Réfugié dans l’Ouest américain où il participe à des concours d’imitation de Charlot pour gagner un peu d’argent, il cherche à rejoindre Detroit pour trouver refuge chez son oncle (notez qu’il fait le chemin inverse de l’affranchissement typique en Amérique, le fameux «Go west, young man»).



Dans cette quête illusoire et solitaire, cet homme de bonne volonté et craintif est sans cesse confronté à des personnages excentriques. Et violents. Des étrangers qui profitent de sa naïveté et de son incompréhension de monde qui l’entoure (pour Giroux, Philippe représente la place du Québec dans le monde).

En clair, c’est l’envers du rêve américain, un endroit où des gens sans scrupules font de la traite de personnes, en réduisent d’autres à l’esclavage, un monde qui a perdu ses repères sous l’emprise d’un pouvoir occulte fiers représentants du capitalisme sauvage…

Dès le départ, Philippe est battu et volé. Il rencontre ensuite Hector Batignole, un agent d’artistes (Reda Kateb, suave) qui sympathise pour mieux le trahir. Puis une jeune femme cruelle (Sarah Gadon) et un tyran (Romain Duris). Tous des personnages qui semblent sortis de nulle part…

Oui, La grande noirceur est une œuvre déconcertante. Giroux joue avec la temporalité — Philippe se couche dans le désert aride, épuisé, et se réveille sous la neige… Il explore aussi la forme et le fond. Lorsque Philippe croise Hector pour la première fois, ce dernier le propulse dans une magnifique chorégraphie sur l’air d’Everybody Hurts de REM. Un moment magique…



Son drame balance entre la «réalité» et l’onirisme, à la David Lynch. Il partage d’ailleurs une certaine violence avec le réalisateur de Mulholland Drive (2001) et Blue Velvet (1986), mais Giroux ne s’y complait pas. Plus proche de nous, il y a du Robert Morin dans la liberté de ton.

Ne vous fiez pas au titre. La grande noirceur se veut, malgré tout, un film lumineux. Les images de Sara Mishara, sa collaboratrice de toujours, sont gorgées de lumière. La directrice photo a effectué un magnifique travail.

Et comment passer sous silence le jeu physique et incarné de Dubreuil, l’un des meilleurs acteurs québécois actuels toutes catégories confondues. Il a une présence forte et ce rare talent de faire passer tout une gamme d’émotions par un seul regard ou un geste à peine esquissé.

Au risque de me répéter, Maxime Giroux est un réalisateur doué et original, qui a un véritable œil cinématographique. Il le prouve encore une fois. Oui, ce film n’est pas le plus accessible qui soit. Mais il est le fruit d’un artiste talentueux.

Au générique

Cote : *** 1/2



Titre : La grande noirceur

Genre : Drame

Réalisateur : Maxime Giroux

Acteurs : Martin Dubreuil, Reda Kateb, Sarah Gadon, Romain Duris

Classement : Général

Durée : 1h35

On aime : le jeu physique de Dubreuil. La réalisation inventive. La magnifique photo de Sara Mishara.

On n’aime pas : —