Percées scientifiques: bien plus que des «bouche-trous»

Chercheur à l’Université Laval, Éric Boilard a trouvé une «nouvelle» fonction aux plaquettes sanguines pour la réponse immunitaire. Une découverte ayant des répercussions potentiellement importantes pour la recherche sur plusieurs maladies.

L’année 2018 a été riche en découvertes pour la communauté scientifique de la Capitale. Chacun dans son domaine, des chercheurs, de la région ont écrit de nouveaux chapitres de l’Histoire scientifique. Le Soleil vous présente, à raison d’une par jour, les percées les plus marquantes de l’année.


Pendant longtemps, on a pensé que le rôle des plaquettes sanguines se résumait à faire coaguler le sang afin de démarrer la cicatrisation d’une blessure. Mais plus Éric Boilard, du Centre de recherche du CHUL, les étudie, plus il se rend compte qu’elles font bien plus que cela. Et il leur a trouvé une «nouvelle» fonction pour la réponse immunitaire, cette année, avec des répercussions potentiellement importantes pour la recherche sur plusieurs maladies.

Dans une expérience publiée en janvier dernier dans la revue savante Proceedings of the National Academy of Sciences, M. Boilard et son équipe ont montré que les plaquettes pouvaient à elles seules provoquer une réponse immunitaire si forte qu’elle rendait des souris temporairement inconscientes. Pour y parvenir, les chercheurs ont modifié génétiquement des souris afin que leurs plaquettes soient dotées d’un récepteur qui est présent sur les plaquettes humaines (mais normalement absent sur les plaquettes murines). Ce récepteur, le poétiquement nommé FcyRIIa, est connu pour s’accrocher des «complexes immuns», soit les espèces de «paquets» qui se forment quand un anticorps se fixe à une bactérie. Les cellules immunitaires sont munies de plusieurs récepteurs du genre, mais les plaquettes humaines n’ont que le FcyRIIa.

M. Boilard et son équipe ont ensuite injecté des complexes immuns à leurs souris, et ce qu’ils ont observé était jusque-là inédit. Alors que les souris «normales», dont les plaquettes n’avaient pas de récepteur FcyRIIa, poursuivaient leurs activités comme si de rien n’était, celles qui possédaient le récepteur humain sont entrées dans un état de «choc systémique», perdant conscience pendant plusieurs minutes.

Au fil d’une série d’expériences et de manipulations, M. Boilard et son équipe ont découvert que ces complexes immuns activaient les plaquettes, même en l’absence complète de blessure. Les plaquettes relâchaient alors diverses substances dans le sang, comme elles le font toujours quand elles sont activées, dont d’importantes quantités de sérotonine — ce qui est vraisemblablement à l’origine de la perte de conscience. «On parle souvent du rôle de la sérotonine dans le cerveau [NDLR, il s’agit d’un neurotransmetteur qui agit sur l’humeur, l’anxiété, etc.], mais environ 95 % de la sérotonine est produite par le système digestif [la sérotonine jouerait un rôle dans le transit intestinal, NDLR] et finit dans le sang, où elle est absorbée par les plaquettes. À cause de cela, les plaquettes sont le principal réservoir de sérotonine de l’organisme», explique le chercheur.

Or dans le sang, la sérotonine a pour effet de dilater les vaisseaux sanguins. Chez les souris de M. Boilard, l’activation des plaquettes a donc provoqué une chute de pression, puis la perte de conscience. 

Au bout d’une heure, les niveaux de sérotonine étaient revenus à la normale et les souris avaient repris conscience, mais l’expérience a aussi permis d’identifier d’autres effets potentiellement importants d’un point de vue médical. Ainsi, les chercheurs ont observé que le nombre de plaquettes dans le sang a dramatiquement chuté après la perte de conscience, pour ensuite remonter à ses niveaux antérieurs. Il semble que les plaquettes se soient momentanément «réfugiées» dans les poumons et le système vasculaire du cerveau avant de revenir dans la circulation sanguine.

Notons que le chercheur et son équipe ont obtenu les mêmes résultats en substituant les complexes immuns pour un virus, un allergène et une endotoxine. Fait important, ils ont aussi montré que ces effets étaient complètement indépendants de la coagulation puisqu’ils les ont reproduits même en donnant des anticoagulants à leurs souris.

«Le fait que les plaquettes reviennent, c’était inattendu, dit M. Boilard. Tout le monde pensait à ce qu’elles avaient juste une vie [NDLR : une fois qu’une plaquette a été activée et qu’elle a expulsé son contenu, on croit qu’elle n’est plus fonctionnelle]. Alors le fait qu’on les ait vu revenir, ça ouvre la porte à nouvelle recherche : est-ce qu’elles peuvent toujours remplir leurs fonctions?»

En outre, ajoute-t-il, cela peut aussi signifier que certaines transfusions de plaquettes que l’on pratique de nos jours ne sont peut-être pas nécessaires si la chute du nombre de plaquettes après une infection (un phénomène qui était déjà connu) n’est que temporaire.

Chose certaine en tout cas, on peut penser que cette découverte aura des répercussions notables sur la recherche au sujet de quelques maladies, comme le lupus et la dengue, qui sont associées à une forte présence de complexes immuns dans le sang. Comme pour la plupart des autres maladies, ce sont les souris qui servent de modèles pour tester des traitements, mais comme les souris ne possèdent pas le récepteur FcyRIIa, il est possible qu’on ait loupé un ou des traitements efficaces parce qu’on utilisait de mauvais modèles. 

«C’est le message qu’on voulait lancer dans cet article-là : regardez ce qui arrive quand on utilise tous les récepteurs, la réponse devient dépendante des plaquettes. Ce qu’on suggère, c’est que ça pourrait être la même chose chez l'humain», conclut M. Boilard.

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