Le Nouvelliste vous propose de revisiter de façon ponctuelle de grands moments de l’histoire sportive de la région, à travers les mots des acteurs principaux. Pour le cinquième volet de cette série, après avoir partagé les histoires des Martin Mondou, Martin Gélinas, Marie-Ève Nault et Simon Larose plus tôt cette année, on laisse la place à Patrick Lalime. L’ex-gardien des Cataractes, originaire de Saint-Bonaventure au Centre-du-Québec et établi à Trois-Rivières, revient sur l’incroyable séquence ayant ponctué ses débuts dans la LNH, comme gardien des Penguins de Pittsburgh, en 1996 et 1997. Lalime détient encore, à ce jour, le record de la ligue du meilleur départ pour un gardien recrue, sans subir la défaite (14 victoires et deux matchs nuls).
C’était à la mi-novembre, en 1996. Je jouais à Cleveland, dans la Ligue internationale, avec le club-école des Penguins. Quelques jours plus tôt, j’avais gagné un beau montant d’argent au Casino de Montréal avec des coéquipiers, au terme d’un match disputé à Québec. La chance me souriait! J’étais toutefois loin de me douter que ce n’était qu’un début...
L’appel inattendu
J’étais de retour à Cleveland, ma ville d’adoption où je défendais les couleurs des Lumberjacks. Comme chaque matin, je me préparais à sauter sur la patinoire pour notre séance d’entraînement. L’entraîneur m’a accueilli avec un sourire en m’annonçant que je devais partir pour Pittsburgh. Wow! Quand je vous dis que la chance me suivait.
Le trajet en voiture aura duré deux heures et 30 minutes. On me disait que je serais dans l’entourage du grand club pour une semaine, en raison d’une blessure au vétéran Tom Barrasso. Je l’ignorais à ce moment, mais cette semaine allait se prolonger.
Au paradis avec Mario et Wayne
J’avais déjà rencontré les joueurs des Penguins. J’étais un membre de l’organisation depuis le repêchage de 1993, à Québec. N’empêche que lorsque je suis entré dans le vestiaire, en tant que joueur de l’équipe, la joie m’a envahi. À la base, j’étais un fan de hockey, alors imaginez la fierté qui m’habitait en côtoyant Mario Lemieux, Jaromir Jagr et Ron Francis!
Ce soir-là du 16 novembre, nous recevions les Rangers de New York. Tôt dans le match, mon coéquipier Ken Wregget connaissait des difficultés: c’était 5-1 pour les Rangers. En deuxième, l’entraîneur-chef Ed Johnston m’a envoyé dans la mêlée. Je faisais enfin mes débuts officiels.
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Ma première saison dans la LNH est tout sauf banale, alors le premier arrêt doit être symbolique: je bloque une rondelle lancée par Wayne Gretzky, un arrêt assez facile avec le bouclier. Mon niveau de stress a baissé de beaucoup, avant que Mark Messier, qui s’amenait hors l’aile, me déjoue du côté du bloqueur. C’était mon deuxième tir dans la LNH...
Messier en marquera un autre en troisième. Nous avons perdu 8-3, j’ai concédé trois buts, sans toutefois être impliqué dans la décision, puisque Ken avait commencé le match. C’est par la suite que ça deviendrait intéressant.
Intraitable
Ma séquence de 16 matchs sans défaite commence 20 jours plus tard, dans le vieil aréna des Capitals de Washington. On perdait 2-0 après une période et encore une fois, Ed Johnston m’a désigné pour prendre la relève. Comme on le voit souvent au hockey, le changement de gardien a eu un effet bénéfique: on a gagné 5-3. Première décision, première victoire.
Dès le lendemain, on me faisait de nouveau confiance: victoire de 5-3 à domicile face aux Mighty Ducks d’Anaheim. Et c’est parti!
Je partageais le travail avec Ken Wregget, on me confiait de plus en plus souvent le filet. À San Jose, Ken devait garder les buts. Dans l’ascenseur de l’hôtel, il m’a dit qu’il venait de perdre une de ses lentilles pour les yeux, que je devais garder les buts face aux Sharks! J’ai célébré mon premier blanchissage en carrière, un gain de 4-0. Après la rencontre, mon défenseur, Darius Kasparaitis, a eu une crampe au cerveau en lançant la rondelle de la victoire dans les gradins! Alerte, il s’est excusé et a réparé sa gaffe en échangeant la rondelle attrapée par un partisan avec un bâton autographié.
Le 26 décembre, c’était le Canadien. Je m’en tire avec un match nul de 3-3, un des deux verdicts nuls de ma séquence, alors que je venais en relève à Ken Wregget, blessé. L’équipe rappelle alors Philippe DeRouville de Victoriaville. Il y a une compétition: on vient du Québec tous les deux et nous avons le même âge.
N’empêche que je demeure concentré sur ma tâche. Si je laisse passer trois buts, l’équipe en marque quatre ou plus. Je domine la LNH pour la moyenne et le taux d’efficacité.
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Ma famille vit cette épopée à fond. Mon père vient me voir à Pittsburgh de temps en temps. Lui, il ne tient pas en place! Un soir, il a préféré rester à la maison plutôt que de se présenter à l’aréna. Trop stressé! On en rit encore aujourd’hui.
Le 11 janvier, à Ottawa, j’ai eu peur. Les Sénateurs ont marqué pour faire 3-3, mais je reste convaincu, encore aujourd’hui, que la rondelle n’a jamais traversé la ligne rouge. Au moins, la séquence se poursuit: 13 matchs de suite sans défaite.
Égaler, puis battre le record
Lors de la partie suivante, j’ai égalé le record de Ken Dryden, Bill Durnan et Ross Brooks, face aux Stars de Dallas. D’être associé à Dryden, c’était vraiment spécial. Le lendemain à Hartford, on gagnait 3-0. Ça y est, j’étais seul en tête! J’ai encore des vidéos de cette rencontre, avec coach Johnston et Mario Lemieux. Je pense que c’est lui qui m’avait donné la rondelle.
Il s’agissait de notre dernière sortie avant la pause du match des Étoiles. En revenant à l’aéroport à Montréal, un comité d’accueil m’attendait. Tout le monde me connaissait! J’ai fait la une du journal, je me souviens encore du titre: Une étoile est née.
J’ai dû recevoir 70 appels de journalistes, de gens qui me voulaient sur des shows. Le grand-père de ma conjointe était décédé. Des gens sont entrés au salon funéraire pour me demander un autographe. C’était un peu déplacé...
De retour à Pittsburgh, on a vaincu les Flames 4-2 et j’ai réalisé plus de 50 arrêts. Deux jours plus tard, j’affrontais mon idole de jeunesse, Patrick Roy...
La fin d’un incroyable parcours
Le 23 janvier, Roy se dressait devant moi. J’étais à la ligne rouge, m’étirant pendant la période d’échauffement. Je voulais seulement qu’il me salue! Mais il était dans sa bulle. On a pris l’avance dans le match et durant la soirée, Roy a dû quitter, blessé à un doigt.
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Le match s’est rendu en prolongation. Valeri Kamensky a mis un terme à ma séquence en marquant alors qu’il se trouvait dans mon demi-cercle, ce qui était interdit dans le temps. S’il y avait eu une reprise, le but n’aurait jamais été accordé. Malheureusement, c’était bel et bien terminé.
Les gens de Pittsburgh ont été incroyables envers moi pendant ces semaines magiques. J’avais une bonne équipe, je pense que c’est le record le plus amusant à détenir puisqu’il est collectif. J’ai été nommé recrue du mois à deux reprises.
Pour un jeune mousse qui, à 18 ans, entrait dans le vestiaire des Penguins en demandant à des vedettes de la LNH de signer ses cartes de hockey, disons que j’avais fait un bon bout de chemin!
Vrai toutefois que je n’ai jamais entretenu une grande relation avec Tom Barrasso. Il laissait peu de place aux autres: dès que je suis arrivé, j’ai senti qu’il voulait que je sois inconfortable. Il s’occupait moins des jeunes, mais d’un autre côté, tu dois te préparer à ce genre d’imprévus.
J’ai été encore plus déçu de ne pas pouvoir m’entendre avec les Penguins à la fin de la saison. On m’offrait un contrat à deux volets. J’étais prêt à accepter, sauf que je voulais m’assurer que la deuxième année soit à un volet. Ils ne voulaient pas. Les liens ont été brisés rapidement. Ç’a brisé la magie et je suis retourné dans les ligues inférieures. Au moins, j’ai pu poursuivre ma carrière par la suite dans la LNH. J’ai connu de très beaux moments à Ottawa.
Quand j’y repense, je classe mes débuts dans la LNH parmi les points marquants de ma carrière de 444 matchs et 12 saisons. Avec les Sénateurs, j’ai également vécu des moments assez mémorables, comme ma série de blanchissages face aux Flyers au printemps 2002. L’année suivante, nous sommes passés à un match d’atteindre la finale de la Coupe Stanley, avant de nous incliner face aux Devils.
En 2015, Andrew Hammond des Sénateurs est passé bien près d’égaler mon record, en ne subissant pas la défaite à ses 15 premiers matchs dans la LNH. Mes patrons de TVA Sports voulaient que je le rencontre avant son 16e match. J’étais mal à l’aise, mais Hammond tenait à me parler. J’avoue que j’avais des sentiments partagés. Au final, il n’a pas réussi à me rejoindre, mais quand on regarde ses 22 ou 23 premiers matchs dans la ligue, c’était encore plus impressionnant!
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Dans les années 90, le gardien auxiliaire des Red Wings, Norm Maracle, surfait à son tour sur une belle séquence. Il avait eu des propos assez durs envers moi, en ridiculisant le fait que je sois retourné dans les mineures après avoir battu le record. J’ai toujours gardé ça en tête, comme élément de motivation.
Propos recueillis par
Louis-Simon Gauthier