Chauffage au bois: vers une réglementation à Québec

Dre Isabelle Goupil-Sormany, coordonnatrice des activités santé et environnement à la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale, rappelle que les particules fines provenant de la combustion du bois peuvent provoquer ou aggraver un problème d’asthme et des maladies cardiovasculaires, en plus d’être cancérigènes.

La Ville de Québec doit réglementer l’utilisation des appareils de chauffage au bois comme l’a fait la Ville de Montréal, estime la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale, qui rappelle que ce type de chauffage affecte considérablement la qualité de l’air en hiver. À la Ville, on affirme que «c’est déjà dans la réflexion de passer à l’acte un moment donné».


La santé publique présentera en janvier un bilan provisoire de l’étude sur la qualité de l’air commandée par la Ville de Québec. Selon ce qu’il a été possible d’apprendre, ce bilan — et éventuellement le rapport final qui sera publié au début de l’année 2020 — recommandera d’«utiliser des appareils de chauffage au bois certifiés et performants» et de «remplacer graduellement ce type de chauffage par d’autres modes d’énergie moins polluants». 

En entrevue au Soleil, la Dre Isabelle Goupil-Sormany, coordonnatrice des activités santé et environnement à la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale, s’est montrée préoccupée par les statistiques de qualité de l’air du ministère de l’Environnement, qui révèlent une problématique particulière dans le secteur Champigny (le ministère a des stations d’observation à trois endroits dans la capitale, soit à l’école Les Primevères, au Collège Saint-Charles Garnier et dans le Vieux-Limoilou).

En 2017, 28 jours de mauvaise qualité de l’air ont été enregistrés dans ce secteur, les pires mois ayant été décembre, janvier et mai. «On a plus de pollution par particules fines dans ce secteur-là qu’à la station du Vieux-Limoilou», observe la Dre Goupil-Sormany.

Au ministère de l’Environnement, on explique que «le nombre de jours de mauvaise qualité de l’air plus élevé à la station de l’école Les Primevères est dû à une topographie qui défavorise la dispersion des contaminants atmosphériques». 

«En 2017, tous les jours de mauvaise qualité de l’air de cette station ont été provoqués par les particules fines, et plus de 70 % de ceux-ci ont été observés pendant la saison hivernale. Dans ce secteur, le chauffage au bois est la principale source d’émission de particules fines», confirme le porte-parole du ministère, Clément Falardeau. 

Selon la Dre Isabelle Goupil-Sormany, le problème à Québec est double : le chauffage au bois l’hiver et «les citoyens qui brûlent des choses dans leur cour» les beaux jours venus.  

Après une dizaine d’années à sensibiliser la population à l’importance d’éviter d’utiliser leur appareil de chauffage au bois l’hiver lorsque des avertissements de smog sont en vigueur, la Dre Goupil-Sormany estime qu’on est mûr à Québec pour une réglementation. 

«Pour nous, c’est important que la Ville se saisisse du dossier. On est en train de collecter les données pour supporter la prise de décision. La Ville est sensibilisée», indique-t-elle. Avec les statistiques sur la pollution dans Champigny «qui se rapprochent de celles des quartiers centraux de la ville», la médecin estime qu’«on a les données pour affirmer que c’est un problème», insiste la médecin.

Évidemment, une réglementation à l’image de celle de Montréal ne s’adopte et ne s’applique pas du jour au lendemain. «Il faut bien documenter le problème. Il faut connaître l’inventaire des appareils, savoir pourquoi c’est utilisé», dit la médecin, soulignant que plus on sort de la métropole pour se rapprocher des régions, plus le bois est utilisé comme mode de chauffage. 

À Montréal, la règlementation en vigueur depuis 2015 interdit l'utilisation d'appareils à combustion solide durant les avertissements de smog. En dehors de ces périodes, seule l'utilisation d'appareils dégageant moins de 2,5 grammes à l'heure de particules fines est autorisée depuis le 1er octobre. Les Montréalais peuvent néanmoins utiliser tous leurs appareils à combustion solide lors de pannes d'électricité d'une durée de plus de trois heures. 

La Dre Isabelle Sormany-Goupil rappelle que les particules fines provenant de la combustion du bois peuvent provoquer ou aggraver un problème d’asthme et des maladies cardiovasculaires, en plus d’être cancérigènes.  

La Ville au fait du problème

La conseillère municipale Suzanne Verreault, responsable de l’environnement à la Ville de Québec, est au fait du problème de qualité de l’air lié au chauffage au bois. «On parle des foyers à l’intérieur des maisons, mais il y a aussi les feux extérieurs l’été. Dans les milieux très denses comme le centre-ville et les quartiers centraux, les plaintes augmentent d’année en année. […] Ça incommode les voisins, qui peuvent être obligés de fermer les fenêtres l’été», expose Mme Verreault en entrevue au Soleil

S’il n’y a pas de réglementation prévue «à court terme», «c’est évident qu’il y a des réflexions», assure Mme Verreault. «Éventuellement, on va y arriver [à une réglementation sur l’utilisation de foyers intérieurs et extérieurs]. On n’aura pas le choix d’y arriver», dit-elle.

«On ne prend pas ça à la légère. L’étude sur la qualité de l’air, qui va nous donner des résultats plus concrets, sera une belle occasion de poser des actions», ajoute la conseillère, précisant que dans le cadre de cette étude, des capteurs mobiles sillonneront «toute la ville», pas seulement les quartiers centraux, afin d’avoir un portrait plus précis de la qualité de l’air dans la capitale et d’identifier avec exactitude les sources de pollution. 

«C’est évident qu’on va suivre les recommandations de la Santé publique, c’est pour ça qu’on l’a mandatée pour faire une étude. Et les autres acteurs, comme les industries, vont être obligés de les suivre aussi», souligne Suzanne Verreault. 

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LA VILLE DE LÉVIS NE RÉGLEMENTERA PAS

La Ville de Lévis n’a pas l’intention de réglementer l’utilisation d’appareils de chauffage au bois, particulièrement problématique dans le secteur de Charny et des Chutes-de-la-Chaudière. 

Pour un citoyen de Lévis, l’hiver est synonyme de fumée, son voisin alimentant son poêle à bois du matin au soir. «Certains jours, l’odeur de fumée envahit notre résidence et nous incommode, particulièrement mon épouse qui est asthmatique», nous écrit ce résident du secteur Charny, qui dit avoir rapporté la situation notamment à la Ville, au ministère de l’Environnement et à la Direction de santé publique de Chaudière-Appalaches, mais «personne ne semble vouloir s’occuper du problème». 

Vérification faite auprès de la Ville, l’article 43 du Règlement sur les nuisances stipule qu’on ne doit pas incommoder le voisinage avec la fumée, la suie et les étincelles. 

«Les citoyens qui en sont victimes peuvent porter plainte au service de police», indique la porte-parole Priscilla Bourque, précisant que le Règlement de prévention incendie permet également de gérer l’installation des systèmes de chauffage au bois afin que ceux-ci soient conformes aux normes applicables.

Épisodes limités

Mme Bourque souligne par ailleurs que selon les données recueillies à la station locale de qualité de l’air, située au parc Georges Maranda, plus de 99 % des jours de 2017 sont marqués par une qualité de l’air qualifiée d’acceptable à bonne. 

«À ce jour, les épisodes de smog sur le territoire lévisien demeurent limités», mentionne-t-elle, ajoutant que la Ville n’a pas l’intention de réglementer l’utilisation des systèmes de chauffage au bois. 

À la Direction de santé publique du CISSS de Chaudière-Appalaches, on dit avoir à cœur de prévenir les problèmes de santé de la population. «Nous émettons régulièrement des avis à la population lors d’épisodes de smog […]. Nous sensibilisons les instances gouvernementales à cette problématique», souligne la porte-parole, Mireille Gaudreau.

«Toutefois, dans le cas des foyers, il faut tenir compte de divers éléments comme l’acceptabilité sociale. Car beaucoup de citoyens du milieu rural ou urbain les utilisent de manière assez fréquente. Également, pour des populations plus dépourvues économiquement, le chauffage au bois peut représenter un moyen économique de se chauffer», fait valoir Mme Gaudreau.

Au ministère de l’Environnement, on rappelle que le Règlement sur les appareils de chauffage au bois (RACB) «vise à interdire, au Québec, la fabrication, la vente et la distribution d’appareils de chauffage au bois non conformes aux normes environnementales». 

«L’objectif de ce règlement est d’assurer une protection accrue de l’atmosphère, particulièrement en hiver où le chauffage au bois est le principal responsable des valeurs élevées de particules fines dans plusieurs quartiers résidentiels et des périodes de smog», souligne le porte-parole, Clément Falardeau, ajoutant que le RACB ne vise toutefois pas l’installation ou l’usage des appareils de chauffage au bois. 

«La problématique du chauffage au bois est une problématique souvent locale. Ainsi, en vertu de la Loi sur les compétences municipales, ce sont les municipalités qui peuvent agir en complémentarité du RACB en adoptant leurs propres règlements, en intervenant notamment sur l’installation et l’usage des poêles à bois», rappelle M. Falardeau.