Éric Caire: mettre fin aux trips d’informaticiens

Premier élu québécois à porter le titre de ministre délégué à la transformation numérique gouvernementale, Éric Caire prépare un plan de travail qui sera prêt dans quelques semaines, dit-il.

Le ministre Éric Caire veut mettre fin à la culture du papier et aux «trips d’informaticiens» au gouvernement du Québec pour faire place à des solutions numériques simples et conviviales.


Éric Caire est le premier élu au Québec à porter le titre de ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale. En entrevue au Soleil, il raconte vouloir s’en servir comme «bougie d’allumage» pour que le virage numérique s’opère enfin dans tous les ministères, organismes et sociétés d’État du Québec.

Grand critique de tous les ratés informatiques du gouvernement au cours de la dernière décennie, M. Caire croit que ces délais et ces dépassements de coûts ont été causés par «une incompréhension crasse» des réels besoins des citoyens. 

«Il faut plus que ce soit un trip d’informaticien de répondre à ces besoins-là», plaide-t-il. Lui-même informaticien, M. Caire raconte être déjà parti avec des collègues sur «des dérapes» dans le passé. «Au final, le client nous avait demandé un cheval et on lui livrait un éléphant.»

Le nouveau ministre veut que l’État mise sur des «architectes d’affaires» pour mieux analyser les solutions. «Si on ne comprend pas bien le besoin du citoyen, on va repartir dans nos trips, on va se faire des patentes incroyables, qui font des affaires complètement surréalistes, mais qui sont trop compliquées pour le monde et qui donnent un paquet de services dont le monde n’a pas besoin. Ça, il faut que ça arrête.»

Finis les fax

M. Caire n’en revient pas que certains ministères demandent encore en 2018 qu’on leur envoie la copie d’un document par télécopieur (fax). «C’est presque pittoresque, mais en même temps, c’est un peu triste», lance le ministre qui raconte que ses enfants ne savent même pas ce qu’est un fax. 

Il compte s’attaquer «au réflexe papier» de nombreux fonctionnaires et souhaite que les réunions du Conseil des ministres se déroulent bientôt sans papier, alors que ses collègues traînent parfois une valise à roulettes pleine de documents derrière eux. Lui-même y assiste avec son téléphone cellulaire branché sur son cyberaccès. 

Pour lui, la transformation numérique «n’est pas une option» et «le papier a assez rarement sa place maintenant». 

Le ministre comprend toutefois que tous les fonctionnaires et ministères ne sont pas égaux face au numérique. «Il y en a qui vont continuer à marcher, il y en a qui vont commencer à jogger et il y en a pour qui ça va être un sprint, c’est sûr.» Il compte toutefois les accompagner à partir de leur réalité sans «les juger». 

Résistance

Mais pourquoi le ministre réussirait-il là où de nombreux gouvernements se sont cassé les dents? Parce que le mot d’ordre de la transformation numérique va venir «du haut», soit du Conseil des ministres. «À partir de là, il n’y a plus nécessairement de résistance à ça, parce que ça veut dire résister à la plus haute autorité du gouvernement, ce qui serait, je pense, une mauvaise idée.»

M. Caire prépare à l’heure actuelle un plan numérique dont il ne veut pas dévoiler les détails, mais qui sera prêt bientôt. «C’est une question de semaines.»

Le rapport sur l’efficacité de l’État qu’il a écrit en 2015 lui sert de «base de travail», mais il indique «qu’il y a des choses qui ont évolué» depuis. 

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec a entre autres promis de réformer le Centre de services partagés du Québec et de réduire le nombre de centres de traitement de l’information, afin d’assurer la sécurité des données. Le Québec compte 457 centres à l’heure actuelle, dont certains «sont situés dans des endroits louches», avec des serveurs installés sous un gicleur par exemple, déplore le ministre. 

Dans l’univers numérique, l’État doit devenir une sorte de grand centre commercial où chaque ministère représente une boutique, image M. Caire. «Tu entres au début dans un périmètre sécurisé, on s’assure que tu es la bonne personne, mais après ça, tu te promènes comme tu veux et tu fais ce que tu as à faire.» Comme changer d’adresse, déposer une déclaration de revenus ou renouveler un permis de conduire.

Mais pour y arriver, «on doit investir», prévoit M. Caire. Le ministre croit que son plus grand défi sera la main-d’œuvre, à l’heure où les entreprises s’arrachent les informaticiens. 

Il se dit prêt à les payer davantage, mais il croit aussi devoir leur offrir un milieu de travail stimulant. «Si on les parque derrière les petits paravents bruns à faire toujours la même chose, je pense qu’on a beau déplier bien des dollars, ça va pas faire.»

Au final, l’objectif est toutefois d’économiser. «On va être capable de réduire la taille de l’État, tout en augmentant la rapidité et la qualité de nos services», évalue le ministre, qui voit poindre des «économies extrêmement importantes». Par exemple, des postes de saisie de données seront appelés à disparaître pour être remplacés par l’intelligence artificielle.

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LOIN DES PROJECTEURS

Habitué d’être actif sur la scène politique de Québec depuis son élection en 2007, Éric Caire évalue que «c’est une bonne chose» qu’il se retrouve dans un rôle plus effacé, loin des projecteurs des médias de la capitale.

«C’est une bonne idée de laisser de la place à d’autres», lance-t-il, pensant à sa collègue Geneviève Guilbault, devenue ministre responsable de la Capitale-Nationale. 

Le député de La Peltrie n’a toutefois pas l’impression d’avoir été placé sur les lignes de côté par le premier ministre François Legault. «Je pense sincèrement que j’ai un des plus gros mandats du conseil des ministres», clame-t-il. Parce que son défi est «majeur» et qu’il a le goût de le relever, lui a été programmeur-analyste et enseignant en informatique avant de faire le saut en politique. «Le veston me fitte parfaitement», assure-t-il.

Comme ministre délégué, M. Caire doit gérer un budget informatique de 3,5 milliards $. «C’est pas une petite affaire.» M. Caire travaille de pair avec le président du Conseil du Trésor Christian Dubé. «De savoir que lui est derrière moi et capable de m’aider, de me conseiller, c’est extrêmement rassurant et c’est très formateur.»

Reste que le ministre a «Québec tatouée sur le cœur» et promet d’être toujours présent auprès de ses collègues pour défendre les dossiers de la capitale. 

Quand il a entendu la députée de Québec solidaire Catherine Dorion tenter de démolir le projet de troisième lien entre Québec et Lévis — un projet qu’il a âprement défendu—, il raconte être resté zen. 

«Le débat, il a été fait. Québec solidaire est le seul parti à vouloir entrer dans le débat après l’élection, mais la population de Québec, elle a déjà tranché», lance-t-il, répétant que son gouvernement a toute la légitimité voulue pour aller de l’avant avec ce projet.