Aide psychosociale: des barrières freinent les hommes

Selon la chercheure Janie Houle, les médecins de famille devraient miser sur leur pouvoir d’influence pour encourager les hommes à consulter un intervenant psychosocial.

EXCLUSIF / En détresse, un homme québécois prend son courage à deux mains et appelle pour demander l’aide d’un intervenant psychosocial, mais il atteint la boîte vocale. Que fait-il? Dans un cas sur quatre, il laisse tomber.


C’est là une des nombreuses barrières qui découragent les hommes de demander de l’aide au Québec, révèle un sondage provincial obtenu par Le Soleil. 

Mené par la firme SOM auprès d’un échantillon de plus de 2000 hommes adultes québécois, le sondage montre que près d’un quart d’entre eux (22 %) rapporte une détresse psychologique. 

L’étude, commandée par le Regroupement provincial en santé et bien-être des hommes et supervisée par un comité scientifique de chercheurs de l’UQAM, de l’Université Laval et de l’UQAR, montre aussi que seulement 10 % des hommes rapportent avoir consulté un intervenant psychosocial au cours des 12 derniers mois.

«C’est vraiment inquiétant, d’autant plus qu’on sait qu’au Québec, trois suicides sur quatre sont commis par des hommes», note Janie Houle, professeure titulaire au département de psychologie de l’UQAM, qui a piloté le comité scientifique. 

Ces résultats confirment des constats établis dans d’autres études québécoises. Mais le sondage va plus loin en permettant de voir ce qui décourage les hommes de consulter un intervenant psychosocial, comme un psychologue, un travailleur social ou un psychoéducateur. 

«Ce qu’on constate, c’est qu’il faut absolument qu’on diminue les barrières à l’accès», souligne Janie Houle. 

Certaines barrières sont très concrètes, comme celle des boîtes vocales. Le sondage demandait ainsi aux hommes ce qu’ils feraient s’ils atteignaient une boîte vocale lors d’une demande d’aide dans un organisme. Ils ont été 24 % à répondre qu’ils laisseraient tomber. 

«On voit l’importance d’avoir des ressources 24/7, qui sont capables de répondre en tout temps au téléphone», remarque Janie Houle. 

Les hommes sondés mentionnent aussi qu’ils souhaiteraient pouvoir se rendre sur place sans rendez-vous pour rencontrer un intervenant. D’autres ont aussi mentionné qu’ils aimeraient avoir la possibilité de réserver une rencontre sur Internet.

Autre résultat qui a surpris les chercheurs : près d’un homme sur deux considère qu’il serait aidant pour lui d’être accompagné d’un proche lors du premier rendez-vous — ce qui n’est pas une pratique très répandue dans le milieu, note Mme Houle.

Et si les hommes se retrouvent sur une liste d’attente, vaut mieux maintenir un lien avec eux, montre le sondage. Ainsi, 70 % des sondés ont répondu qu’ils souhaiteraient qu’on prenne de leurs nouvelles durant la période où il attendent des services psychosociaux.

Certains CLSC ont commencé à le faire, note Janie Houle. Ils rappellent les gens sur la liste d’attente régulièrement pour vérifier l’évolution de leur situation. 

Le sondage révèle aussi que la gratuité des services et leur faible coût sont le deuxième facteur en importance pour inciter les hommes à consulter.

Le pouvoir des médecins

Par ailleurs, les résultats de l’étude indiquent que les médecins ont un pouvoir d’influence «considérable» sur les hommes, note Mme Houle. Les répondants estiment à 80 % la probabilité de consulter un intervenant psychosocial si un médecin leur recommandait de le faire, davantage, même, que si c’est leur conjointe ou des amis. 

Selon la chercheure, les médecins de famille devraient miser sur leur pouvoir d’influence pour encourager les hommes à consulter. «Les médecins sont des alliés», dit-elle. 

Par ailleurs, le sondage révèle que les services psychosociaux souffrent d’un problème de perception chez les hommes. Le sondage montre qu’un des facteurs les plus déterminants dans leur décision de consulter est de sentir que l’intervenant va pouvoir réellement les aider à régler leurs problèmes. 

«Il faut aller au-delà de la représentation de l’aide psychosociale comme étant : “je vais aller parler de mes problèmes et ça va être ça”», note Janie Houle. 

Un travail de démystification s’impose, ajoute-t-elle. Et la solution pourrait venir d’un site Internet provincial qui permettrait de mieux connaître les ressources disponibles pour les hommes, notamment par des capsules vidéo.

Globalement, le sondage révèle l’importance pour le système public et les organismes communautaires de saisir le «momentum». Lorsqu’un homme vulnérable décide de consulter, les intervenants ne doivent pas tarder à lui offrir des services, souligne Mme Houle. «Souvent, les hommes attendent très longtemps avant de consulter et lorsqu’ils arrivent aux ressources, ils sont très mal en point.»

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MÉTHODOLOGIE

Le sondage a été mené auprès de 1910 hommes en provenance d’un panel probabiliste de SOM et 185 en provenance d’un panel externe. La collecte en ligne a été réalisée du 4 au 16 octobre 2018. La marge d’erreur est de 2,9 % à un niveau de confiance de 95 %.