7 G$ pour des frégates: Davie s'attend à plus

Le NCSM Fredericton est l'une des 12 frégates de la classe Halifax de la Marine royale canadienne.

Il n’y a pas si longtemps encore, il y avait 1500 travailleurs à la Davie. Au dernier décompte, ils n’étaient plus que 60.


Bien sûr, l’intention annoncée jeudi par le gouvernement fédéral d’accorder des contrats aux trois grands chantiers navals au pays — Chantier Davie (Lévis), Irving Shipyards (Halifax) et Seaspan Shipyards (Victoria) — pour la réparation et la maintenance des 12 frégates de la classe Halifax constitue une «bonne nouvelle» pour la direction de Davie, le syndicat représentant ses salariés et la communauté politique et économique.

Trois contrats qui totaliseront une valeur de 7 milliards $.

«Il faut s’en réjouir», souligne le vice-président des affaires publiques de Chantier Davie, Frédérik Boisvert.

«Nous sommes heureux que le gouvernement fédéral reconnaisse enfin la place importante que Davie, le plus gros chantier au Canada, doit représenter au cœur de la stratégie maritime du Canada», ajoute le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau. «Mais nous devrons attendre de voir les détails de l’octroi des contrats avant de statuer si le Québec reçoit enfin sa juste part dans l’attribution du financement fédéral.»

En effet, Ottawa n’a pas identifié le nombre de bateaux qui seront attribués à chacun des trois chantiers.

«Si nous n’obtenons que trois frégates, on pourra conclure que ce sont des miettes», qualifie Ann Gingras, la présidente du Conseil central de Québec-Chaudière-Appalaches de la CSN.

«S’il n’en tenait qu’à nous, Davie pourrait exécuter les travaux pour toutes les frégates», insiste Frédérik Boisvert qui dénonce vertement la campagne «indécente» menée par Irving Shipyards et la Fédération des travailleurs de la construction navale d’Unifor pour faire en sorte que les travaux d’entretien des frégates de la classe Halifax ne soient pas octroyés au chantier québécois. Il a tenu à rappeler que le chantier de la Nouvelle-Écosse avait déjà en poche des contrats fédéraux totalisant 65 milliards $ et peinait, comme Seaspan, à livrer des navires au gouvernement fédéral dans les délais prévus.

Sept des 12 navires de la classe Halifax sont stationnés à Halifax et le port d’attache des cinq autres se trouve à Esquimalt en Colombie-Britannique.

Ce n’est certainement pas avant une quinzaine de jours que le gouvernement Trudeau devrait annoncer ses couleurs au sujet du partage des frégates entre les trois chantiers.

En effet, son annonce de jeudi s’inscrit dans un processus de préavis d’adjudication de contrats. Ottawa a établi, à la lumière d’une consultation lancée en 2016, que les trois chantiers navals possédaient les effectifs et l’infrastructure nécessaires pour exécuter les travaux nécessaires dont les frégates de la classe Halifax ont besoin. Si d’autres fournisseurs estiment qu’ils ont la capacité de satisfaire aux exigences décrites dans les préavis d’adjudication de contrats, ils disposent d’une période de 15 jours pour signaler leur intérêt.

Il s’agit du même processus qui avait permis à Davie, en août dernier, de décrocher un contrat de 610 millions $ pour l’acquisition et la transformation de trois brise-glace pour la Garde côtière.

Rien avant 2021

Les travaux sur les 12 frégates devraient débuter en 2021.

Or, il est légitime de se demander si la main-d’oeuvre sera encore au rendez-vous à la Davie à ce moment-là, fait remarquer le président de l’Association des fournisseurs de Chantier Davie, Pierre Drapeau.

«Dans le contexte actuel de la rareté de main-d’oeuvre, l’obtention d’un contrat pour la maintenance des frégates ne suffira pas à maintenir une main-d’oeuvre hautement qualifiée à Lévis», tranche le président du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval. «Il est important de continuer les efforts pour trouver de nouveaux contrats pour Davie.»

À la CSN, on parle d’un «trou» à combler d’ici 2021. Le contrat de 610 millions $ pour les brise-glace prévoit le maintien de 200 emplois seulement.

«Le fédéral doit trouver une façon d’aider la Davie», soutient le maire de Lévis, Gilles Lehouillier.

«Il est aberrant que Davie ne puisse rouler au maximum de sa capacité d’ici 2021», affirme Louis Bégin, le président de la Fédération de l’industrie manufacturière de la CSN. «Ce chantier-là peut faire vivre jusqu’à 2000 travailleurs.»

La solution passe, selon les patrons et les syndicats, par l’Obélix, ce navire ravitailleur que Davie veut construire pour la Marine royale. Il s’agit du jumeau de l’Asterix qui a été livré en 2017 par le chantier de Lévis dans les temps et les budgets prévus.

«Le gouvernement fédéral devrait considérer l’octroi du contrat Obélix qui répondrait à deux enjeux importants, livrer un navire ravitailleur nécessaire aux opérations de la Marine royale canadienne, et ce, à l’intérieur de 24 mois, et maintenir l’expertise sur place jusqu’au début des contrats annoncés, jeudi, pour 2021», avance le pdg de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Stéphane Forget.

Avec la collaboration de Patricia Cloutier

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Répondre aux nouvelles menaces

En attendant qu’un jour de nouvelles frégates viennent prendre la relève, Ottawa a choisi de continuer à exploiter les 12 navires de la classe Halifax pendant encore vingt ans.

À compter de 2021, les frégates, qui ont été mises en service au début des années ‘90, feront l’objet d’une vaste opération de modifications techniques, d’installations d’équipements et d’activités d’entretien correctif qui permettront d’en assurer le bon fonctionnement et l’utilité jusqu’à la fin de leur durée de vie.

«Ces travaux comprennent la modernisation des systèmes des plates-formes, les mises à niveau des systèmes des navires, l’acquisition et l’installation de nouvelles capacités, comme un radar de pointe, un nouveau système de guerre électronique et des systèmes de communication et des missiles améliorés intégrés dans un nouveau système de gestion de combat», signale Services publics et Approvisionnements Canada.

Dans la documentation transmise jeudi aux médias, le ministère explique que les frégates avaient été conçues, à l’époque, pour la guerre anti-sous-marine et la lutte antinavire, surtout en haute mer.

«Le rôle de la classe Halifax a changé. Les menaces maritimes actuelles et en évolution sont plus rapides et plus furtives, elles se manœuvrent plus facilement et passent de la haute mer à des régions plus proches des côtes», indique-t-on.

«Le milieu littoral présente des défis pour les capteurs et les systèmes d’armes en raison de la densité accrue de la circulation et la proximité aux menaces venant de la côte. De plus, les navires doivent maintenant faire face à des menaces asymétriques, comme des attaques de vaisseaux plus petits et plus facilement manœuvrables qui n’étaient pas envisagées au moment de la conception du navire. Des innovations en matière de procédures et de tactiques ont permis aux frégates de fonctionner de manière efficace dans le nouveau contexte de sécurité, et ce, malgré les limites du matériel. Cependant, des améliorations aux capteurs et aux armes sont nécessaires afin d’améliorer la capacité du navire à faire face à ces nouvelles menaces à l’avenir.»